Fer de lance de la grogne 
ou simples suiveurs ?

Hier parmi les plus virulentes du continent, les organisations de défense des travailleurs burkinabè sont en perte de vitesse. Pour preuve, les mouvements de février et mars sont nés, avant tout, de la rue.

Publié le 14 novembre 2008 Lecture : 4 minutes.

Organisés depuis le 12 mars en « coalition nationale de lutte contre la vie chère, la corruption, la fraude, l’impunité et pour les libertés », les syndicats burkinabè ont multiplié les mots d’ordre de grève générale et de manifestation entre le 15 mars et le 15 mai. Objectif : « réveiller le gouvernement de son long sommeil » face à la montée des prix des produits de première nécessité. Et, aujourd’hui – comme on pouvait s’y attendre de leur part –, beaucoup de leaders syndicaux constatent que la réponse des autorités n’a pas été à la hauteur de leurs attentes. « Nous n’avons pas obtenu ce que nous voulions. Il y a un problème de volonté politique, c’est pourquoi nous allons reprendre la lutte prochainement », lance Jean Kafando, le secrétaire général du Syndicat national des enseignants africains du Burkina (Sneab). Problème de volonté politique ? Peut-être. Mais pas seulement… Si certains syndicalistes se félicitent de la mobilisation dans les cortèges, d’autres remarquent que la grande majorité des Burkinabè s’est plutôt contentée de les regarder marcher. De à penser que le mouvement n’a pas rencontré un public suffisamment important pour instaurer un rapport de force en sa faveur, il y a un pas que plusieurs franchissent allègrement. Faisant du même coup le douloureux constat d’un lent mais inexorable déclin de l’emprise du syndicalisme sur la vie économique et sociale du pays.

SPONTANÉITÉ ET RÉCUPÉRATION

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« Contrairement à celles de Côte d’Ivoire ou de Guinée, les centrales burkinabè sont désormais incapables de paralyser la capitale, comme ce fut le cas d’Abidjan ou de Conakry », déplore Magloire Somé, secrétaire général du Syndicat national autonome des enseignants chercheurs (Synadec). « Ce ne sont d’ailleurs pas les syndicats qui ont battu le rappel des troupes en février, explique-t-il. Tout a commencé par des violences spontanées dans les rues de Ouaga, Bobo, Ouahigouya et Banfora. » Selon lui, les centrales n’ont fait que suivre le mouvement et, après coup, ont réussi à le structurer pour engager des pourparlers avec le gouvernement.  Force est de constater, en effet, que si les organisations de défense des travailleurs n’en sont pas encore réduites à un simple rôle de « service d’ordre » en temps de grogne sociale, l’époque où elles étaient capables de provoquer un soulèvement populaire paraît bien loin. Comme celui qui a conduit au renversement de Maurice Yaméogo, le premier président de la Haute-Volta indépendante (en janvier 1966), ou de son successeur, le général Sangoulé Lamizana (en novembre 1980). Tout juste semblent-elles en mesure de surfer sur l’émotion provoquée par une grande crise nationale, susceptible de remettre en cause la démocratie ou les droits de l’homme, comme ce fut le cas en 1999 et 2000, à la suite de l’assassinat de Norbert Zongo, le directeur de publication du journal L’Indépendant, le 13 décembre 1998 (voir p. 108).  

Les raisons du déclin

À l’origine de cette perte d’influence se trouve d’abord le morcellement extrême du paysage syndical local, conséquence directe des guerres fratricides dans lesquelles les organisations se sont affrontées ces vingt-cinq dernières années, notamment à propos du rôle politique qu’elles devaient jouer ou pas. Même si des tentatives d’unification existent aujourd’hui, le pays compte pas moins de six centrales et une vingtaine d’organisations autonomes (voir encadré). Ce qui, d’ailleurs, rend presque impossible le décompte du nombre de syndiqués dans le pays. L’émiettement n’explique cependant pas tout. La faiblesse actuelle du syndicalisme burkinabè résulte aussi d’une politique de marginalisation systématique des centrales de la part des autorités. Et ce depuis le début des années 1980. À l’instar de leurs prédécesseurs, craignant que les mouvements syndicaux ne déstabilisent le pouvoir, les sankaristes se sont ainsi attachés à les mettre au pas dès leur arrivée aux commandes du pays, en août 1983 – leur préférant leurs propres relais avec la société civile : les Comités de défense de la révolution (CDR). Pour l’exemple, en mars 1984, le Conseil national de la révolution (CNR) n’hésite pas à licencier plus d’un millier d’instituteurs qui avaient pris part à un mouvement lancé par le Syndicat national des enseignants africains de Haute-Volta. Avant d’interdire purement et simplement le droit de grève… Et si, en 1991, le retour à l’ordre constitutionnel rétablit les syndicats dans leurs pleins droits, l’avènement du régime de Blaise Compaoré ne signifie pas pour autant leur retour sur le devant de la scène. Le système qui se met alors en place repose, en effet, sur un parti présidentiel fort régnant sur l’ensemble de l’administration nationale. « L’ODP/MT puis le CDP ont bâti une politique économique privilégiant le chacun pour soi et des rapports sociaux basés sur la recherche de solutions individuelles », explique Luc-Marius Ibriga, professeur de droit à l’université de Ouagadougou. Par ailleurs, au lendemain des grandes manifestations provoquées par l’assassinat de Norbert Zongo, le pouvoir – qui a senti passer le vent du boulet – renforce cette politique, cherchant parallèlement à décrédibiliser les syndicats, qu’il accuse d’être inféodés à l’opposition. « En bref, si vous voulez aujourd’hui faire carrière dans les rouages de l’État, mieux vaut prendre la carte du parti que celle d’un syndicat ! » résume, dépité, un militant d’une importante organisation burkinabè…

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