Les Hommes intègres s’impatientent

Le pays a été confronté depuis le début de l’année â©à divers mouvements de fronde, qui ont touché toute la société. Pourquoi ces crises, comment le gouvernement les a-t-il gérées, quelles sont désormais ses priorités ?

Publié le 14 novembre 2008 Lecture : 4 minutes.

La saison des pluies, particulièrement vigoureuse cette année, rend les axes de Ouagadougou, la capitale du Burkina, impraticables pour de nombreux véhicules. Mais, pas plus qu’à Dakar, Bujumbura ou au Caire, les aléas climatiques ne détournent les habitants d’une autre préoccupation : l’augmentation du coût de la vie. Ces flaques de boue saumâtre à l’origine d’embouteillages dignes des go slow nigérians font figure de réjouissance, comparées au prix de l’essence, devenu inabordable, et à la forte dégradation du pouvoir d’achat. Bien ancrés dans les esprits depuis fin 2007, les soucis sont là et pas ailleurs. Dans les prix à la pompe. Mais aussi dans ceux des loyers, de l’électricité, de l’eau et de la plupart des denrées alimentaires, dont les étiquettes continuent de grimper. Pour ce pays aride de 274 000 km2 niché au cœur de l’Afrique de l’Ouest, l’impact de la conjoncture mondiale et du renchérissement des cours des matières premières est lourd. Enclavée et bordée par six frontières, l’ancienne Haute-Volta ne produit pas une goutte de pétrole et, à quelques exceptions près, importe la totalité des produits manufacturés que ses 15 millions d’habitants consomment. Des habitants de plus en plus lassés face à une situation que leur salaire moyen annuel, établi cette année à 148 620 F CFA (226,50 euros), peut difficilement soutenir. Ici, la flambée des prix n’est pas un slogan de barricade mais une réalité. « Aucun produit n’échappe à la hausse, même pas la bière ! » se désole Clément Badio, mécanicien. Sur les étals de rue, dans les épiceries et supérettes de quartiers, il faut désormais débourser près de 2 250 francs pour déguster le fameux « poulet bicyclette », qui ne coûtait que 1 400 francs il y a huit mois. De février à septembre, le prix de la baguette de pain est passé de 125 à 130 francs, celui du kilo de riz de 275 à 400 francs. Le prix du litre d’huile a doublé, de 750 à 1 500 francs. Même tendance pour le sucre, les conserves, les médicaments… Idem pour les matériaux de construction, à commencer par le ciment : en un an, le prix du sac de 50 kg est passé de 10 000 à plus de 18 000 francs. Et, bien entendu, l’immobilier suit le mouvement : un appartement d’une pièce loué 10 000 francs l’an dernier l’est désormais à 15 000 francs. Principaux responsables : les cours historiquement élevés du pétrole, qui se sont répercutés sur le prix du transport. Comme les ménages, les opérateurs sont touchés de plein fouet. « Le coût de l’acheminement par la Sitarail [Société qui exploite la ligne ferroviaire Abidjan-Ouagadougou, NDLR] a augmenté de 3 500 francs la tonne, explique Salif Ouédraogo, président du groupe Kossuka, propriétaire des Grands Moulins du Burkina. Étant donné que nous importons entre 50 000 et 60 000 tonnes de blé par an, le calcul est vite fait… » Ce contexte a poussé des milliers de Burkinabè dans les rues. Aux cris de « Vie chère, tu veux notre chair ! », ils ont défilé en février et mars derniers sur les grandes artères de Bobo-Dioulasso et Ouahigouya, avant que la contagion ne gagne Fada N’Gourma, Koudougou, et jusqu’à la capitale, Ouagadougou. Avec son lot de casse, de destructions de commerces et de bâtiments publics… Comme ce fut le cas au même moment dans une quarantaine de pays à travers le monde. Fermeté et pondérationâ©Manifestations contre la vie chère, manque de solidarité de certains de ses ministres, en particulier Salif Diallo, ministre de l’Agriculture, dont il a obtenu le limogeage le 23 mars… la première année de Tertius Zongo à la primature n’a pas été un long fleuve tranquille. « Les gens auront beau marcher et remarcher, nous serons sortis d’affaire lorsque nous produirons ce que nous mangeons », rétorque le Premier ministre (voir p. 90). Un slogan qui n’est pas sans rappeler celui des mobilisations révolutionnaires des années 1980 : « Produisons et consommons burkinabè ! » En attendant, le gouvernement a répondu par la fermeté. Et la pondération. Plutôt qu’une augmentation des salaires qui « privilégierait une catégorie par rapport à une autre », il a opté pour la politique des vases communicants. Ainsi, quelques prix ont été bloqués, certaines hausses n’ont pas été répercutées et les taxes à l’importation de produits sensibles, comme le riz, ont été levées de février à début octobre. Intransigeance, également, en réponse à toute velléité de radicalisation. « Il s’agit de ne pas mêler à la voix des mécontents de la vie chère celle des étudiants, note un diplomate. Vous auriez un cocktail explosif et une menace de grève générale. » De fait, en juin, les forces de l’ordre ont été envoyées sur le campus universitaire de Ouagadougou dès les premiers jours de grève des étudiants : 35 d’entre eux ont été arrêtés et décision fut prise de fermer l’établissement jusqu’en septembre. Par ailleurs, 29 personnes sur quelque 200 arrêtées lors des « émeutes de la faim » – telles qu’on les a baptisées – ont été condamnées par le tribunal de Bobo-Dioulasso, le 29 février, à des peines comprises entre trois et trente-six mois de prison ferme. Au-delà de cette gestion de l’urgence, la relance des productions locales est clairement devenue indispensable pour permettre au Burkina de réduire la dépendance, souvent dangereuse, dans laquelle il se débat depuis son indépendance. Les efforts actuels portent sur la filière riz, avec de premiers résultats encourageants (voir p. 101). Cela suffira-t-il ? Autres motifs de satisfaction et d’espoir dans cette conjoncture tendue : le Burkina se classe au sixième rang, sur 181, des pays réformateurs dans le dernier rapport « Doing Business » de la Banque mondiale. Et, grâce à une bonne campagne céréalière, il peut compter cette année sur une croissance de plus de 7 %. Au gouvernement d’en redistribuer correctement les fruits, sous peine de voir se généraliser les tensions sociales.

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