Amine Bahnini

Chirurgien vasculaire dans deux des plus grands hôpitaux de Paris, ce Franco-Marocain trouve encore le temps de parcourir le monde, de séminaires en congrès.

Publié le 14 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Au palais royal de Skhirat, ce 10 juillet 1971, on s’apprête à fêter les 42 ans de Hassan II. En début d’après-midi, des hommes aux ordres du général Medbouh et du colonel Ababou interrompent brutalement les réjouissances. Armés jusqu’aux dents, ils tirent sur tout ce qui bouge, sans faire de distinction entre simples fonctionnaires, artistes ou dignitaires du régime. Le putsch échoue quelques heures plus tard, mais fait plusieurs centaines de morts. Parmi les victimes figure le président de la Cour suprême, Ahmed Bahnini, 62 ans, signataire du manifeste d’indépendance, le 11 janvier 1944, et Premier ministre du Maroc entre 1963 et 1965. Il laisse trois enfants. Dont Amine, alors âgé de 16 ans. « Je vivais dans un milieu privilégié, cultivé, plutôt intellectuel, se souvient l’intéressé. Nos conditions de vie étaient tout à fait plaisantes, jusqu’au décès de mon père. Ensuite, il y a eu une période très difficile compte tenu de la violence des circonstances. Cela nous a privés d’une certaine insouciance. » Aujourd’hui encore, installé en blouse blanche dans un bureau du fort luxueux Hôpital américain de Paris, à Neuilly-sur-Seine, Amine Bahnini n’a rien, mais alors rien d’un homme désinvolte. Posé, réfléchi, le professeur au collège de médecine avoue au détour d’une phrase être « un gros travailleur ». Chirurgien vasculaire depuis bientôt trente ans, il exerce ses compétences en France, dans le public comme dans le privé, à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière (Paris), à l’Hôpital américain, on l’a vu, et à la clinique Geoffroy-Saint-Hilaire (Paris). Pour expliquer la nature de son travail, il a recours à ces images simples et frappantes qu’affectionnent ceux qui réparent la chair humaine au scalpel. « Les chirurgiens cardiaques s’occupent de la pompe ; nous, nous prenons en charge les tuyaux. » Entendez : les veines et les artères. Certaines opérations sont bénignes – comme celles qui touchent aux varices –, d’autres beaucoup plus délicates, puisqu’elles consistent à reconstruire des vaisseaux. Amine Bahnini, lui, se consacre surtout aux artères qui irriguent le cerveau. D’ailleurs, l’article qu’il publiera prochainement dans une revue spécialisée portera sur les traumatismes de la carotide consécutifs à un coup de couteau ou à un étranglement… L’attrait exercé sur lui par la médecine remonte à loin. « J’ai toujours voulu faire ça. Peut-être parce que j’étais souvent malade, quand j’étais gosse, et que j’ai beaucoup fréquenté les hôpitaux », confie Bahnini, qui, en raison de son asthme, fut contraint de fuir le climat humide de Rabat pour poursuivre ses études secondaires à Fès. D’hésitations, il n’en a guère eu. À 17 ans, le bac en poche, il met le cap sur Nancy (est de la France) et sa faculté de médecine. La mère d’Amine préfère que son fils évite les « tentations » de la capitale française. Et puis elle connaît quelques personnes en Lorraine. Lui souhaite découvrir le monde, s’extraire d’une vie finalement plutôt recluse et, surtout, suivre un cursus de haut niveau. L’arrivée en France est difficile. Non qu’Amine Bahnini ne maîtrise pas la langue – il a fait toutes ses études au sein de la Mission française –, mais il n’a pas l’habitude de se débrouiller seul. Il en rit : « J’étais inadapté au système. Comme je vivais dans un milieu privilégié, je n’avais jamais pris le bus. Quant aux conditions de vie en cité U, elles sont spartiates… Et puis, Nancy est une ville froide, dans tous les sens du terme. Le contact avec les gens n’est pas évident, même si je m’y suis fait des amitiés très solides. » Le racisme ? Il ne l’a jamais ressenti de la part des enseignants, quelquefois de la part d’un videur de boîte de nuit qui lui trouvait le teint un peu trop basané. Mais « jamais de situation violente », dit-il. En 1977, Bahnini passe le concours de l’internat et choisit de venir à Paris. C’est décidé, il sera chirurgien. Il s’essaie à plusieurs disciplines – la neurochirurgie, l’orthopédie, la chirurgie digestive – avant d’opter pour la « tuyauterie ». « C’est ce qui correspondait le mieux à mon tempérament, explique-t-il. C’est une chirurgie reconstructrice qui demande beaucoup de rigueur et de précision. Elle est de surcroît très diversifiée : on se promène dans toutes les régions du corps. » Son mentor en ce domaine est le chirurgien Édouard Kieffer, qui exerce toujours à la Pitié-Salpêtrière et est devenu son ami. Dès le début des années 1980, Amine Bahnini gagne sa vie avec des gardes et des remplacements dans le privé. Dans l’idée de rentrer un jour au Maroc, il se forme aussi en chirurgie digestive. Il sait qu’au pays il n’aura pas les moyens de se consacrer uniquement à la chirurgie vasculaire et préfère se doter d’une « double casquette ». En 1985, après avoir beaucoup écrit, travaillé, publié, il décide qu’il est temps de rentrer. « J’ai trouvé la porte fermée », raconte-t-il. Impossible pour lui d’intégrer directement l’université marocaine. Il lui faudrait repasser tous les concours, avec comme examinateurs des gens parfois moins qualifiés que lui ! « J’ai trouvé que c’était injustifié. Je me suis mis en colère et j’ai décidé de rester en France. J’ai pris la nationalité française sous le coup de l’énervement. » La porte s’ouvrira de nouveau dix ans plus tard. Trop tard : « Je me voyais mal tout abandonner. » De cet épisode, il ne garde aucune rancune. Il retourne souvent au Maroc et caresse l’idée de s’y installer, l’heure de la retraite venue. Mais pour l’instant, son emploi du temps ne lui laisse guère de loisirs. Entre ses patients dans les trois hôpitaux où il exerce, les congrès à travers le monde, la préparation des réunions franco-maghrébines de pathologie vasculaire qu’organisera son association pour la coopération internationale cardio-vasculaire, à Marrakech, en 2009, et les formations qu’il dispense au Maroc, en Roumanie, en Argentine, au Chili ou à l’île Maurice, il trouve à peine le temps de voir ses deux filles de 6 et 8 ans. Si l’on évoque la politique, Amine Bahnini apparaît soudain désabusé : « En France, j’évite de voter, car je n’en vois pas trop l’utilité. La politique est toujours la même, suspendue à des impératifs économiques mondiaux. Je me tiens au courant des grandes tendances au Maroc, mais je ne peux pas voter puisque rien n’est organisé pour les Marocains de l’étranger. » Fausses excuses ? « La politique me répugne un peu, peut-être à cause de mes antécédents… » En réalité, son engagement est ailleurs. Il s’agit de soigner, d’abord. « La bonne façon de faire de la médecine, c’est de se mettre à la place des autres et de se demander ce qu’ils ressentent », dit-il. Il s’agit d’enseigner, ensuite. Pour Selma Ami Moussa, la jeune chirurgienne algérienne de 30 ans qu’il a formée : « Amine Bahnini s’investit totalement dans la transmission. C’est un excellent chirurgien qui donne beaucoup de lui-même en tant qu’enseignant. Même si je rentre en Algérie, je sais qu’il sera toujours là pour moi. C’est le meilleur ! »

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