roulez jeunesse !
Face au malaise d’une partie des moins de 30 ans, le président Ben Ali a placé l’année 2008 sous le signe du dialogue avec la jeunesse. Objectif : amener celle-ci à s’engager dans l’action citoyenne, voire politique.
La jeunesse tunisienne était au centre de deux grands débats nationaux qui se sont déroulés tout au long de l’année. Deux événements inédits organisés par les autorités et auxquels des partis d’opposition – mais pas tous – se sont fait représenter. Le premier – la « Consultation nationale sur l’emploi » – s’est achevé les 7 et 8 octobre. Au cœur de la problématique : le chômage des jeunes. Le second – le « Dialogue avec la jeunesse » – a connu son épilogue le 11 octobre, sanctionnant plusieurs mois de débats avec les jeunes à travers le pays. Politiquement liées, ces deux grandes consultations se sont tenues, à dessein, à un an exactement des élections législatives et présidentielle d’octobre 2009. Et ce n’est pas non plus un hasard si le président Zine el-Abidine Ben Ali a décidé, cette année, d’ouvrir davantage le champ électoral aux jeunes en ramenant l’âge légal pour voter de 20 ans à 18 ans. Ces débats se voulaient tournés vers l’avenir, mais il faut revenir en arrière pour comprendre pourquoi le pouvoir s’est résolu à prendre la question des jeunes à bras-le-corps. C’est qu’il a tiré les leçons de deux événements qui ont révélé l’existence d’un malaise chez une partie d’entre eux : l’apparition d’un groupe de jeunes salafistes à la fin de 2006 et la « révolte » des jeunes du bassin minier de Gafsa en 2008 (voir J.A. n° 2475). La cellule salafiste se composait d’une trentaine d’activistes dont la moyenne d’âge se situait autour de 22 ans. Ils avaient pris le maquis au sud de Tunis d’où ils ont été délogés par l’armée au prix de plusieurs jours d’affrontements sanglants (voir J.A. n° 2452). On apprendra par la suite que certains d’entre eux s’étaient entraînés dans les camps d’Al-Qaïda au Maghreb islamique (AQMI) en Algérie. L’incident, qui est venu troubler la quiétude traditionnelle du pays, a été vite circonscrit, mais l’alerte a été chaude. Au point de faire prendre conscience au pouvoir, selon une expression qu’il a mis du temps à admettre, que « la nature a horreur du vide ». Jusque-là, il avait tendance à décourager l’activisme politique des jeunes en dehors des structures contrôlées par le parti au pouvoir, le Rassemblement constitutionnel démocratique (RCD). Le chef de l’État décide alors de faire de 2008 l’année du dialogue avec la jeunesse pour l’amener à s’engager dans l’action politique. Et charge l’ancien ministre et actuel président du Conseil économique et social (CES) Sadok Chaabane, que certains présentent comme un théoricien du « Benalisme », d’en superviser la préparation. Le RCD, bien qu’il n’apparaisse pas officiellement, est omniprésent dans l’organisation et l’orientation des débats à l’échelle des villes et villages, avec le concours des ministères, des organisations professionnelles, des mouvements associatifs qui lui sont liés et des mouvements politiques d’opposition membres de la mouvance présidentielle. L’Union générale des étudiants de Tunisie (Uget) et certains partis d’opposition radicaux sont absents des débats. Tunisianité et modernité. Le 11 octobre, plus de 1 200 jeunes ont participé au Forum national de la jeunesse, à la Cité des sciences de Tunis, pour des travaux couronnant le dialogue national en présence du Premier ministre, Mohamed Ghannouchi. De toute évidence, à en juger par les discours prononcés au nom de chaque région, la majorité écrasante a usé de la langue de bois dont le RCD lui-même tente désormais de se départir. Certains se sont même fendus de poèmes dithyrambiques d’une autre époque. On était loin de la « crème » de la jeunesse dont on nous disait qu’elle n’allait pas garder sa langue dans la poche. Le slogan officiel du début de l’été – « Ne laissez pas à d’autres le soin de décider à votre place, participez au dialogue ! » – a d’ailleurs été rapidement remisé au placard. On apprendra par la suite qu’on était en présence de jeunes étudiants et cadres « sans problèmes » issus de la « majorité silencieuse » qui s’étaient « distingués » durant la phase du dialogue et qu’on avait sélectionnés pour être intégrés dans la vie politique. Probablement au RCD, s’ils n’en sont pas déjà membres. « J’ai une liste de plus de 5 000 d’entre eux », nous a déclaré Chaabane, qui estime à 400 000 le nombre de jeunes qui ont suivi le débat sous toutes ses formes. Les échanges, parfois assez vifs, entre groupes de jeunes se sont déroulés cet été dans des cafés et des salons de thé sous l’égide de comités locaux désignés par le gouverneur (préfet). Les interventions tournaient autour de thèmes préétablis tels que la tunisianité (« la Tunisie d’abord » est le slogan officiel de la consultation), la modernité, la nécessité d’avoir un engagement politique, la citoyenneté active. Autant d’axes qui constituent le canevas du Pacte de la jeunesse, dont la version finale sera signée en novembre par les partis et les associations. Les jeunes ont demandé, ajoute Chaabane, que plus de place leur soit réservée dans la direction des partis et que ce débat se poursuive en permanence. On n’en saura pas plus sur le contenu des échanges, hormis ce qu’en rapporte le quotidien arabophone Assabah, qui fait état de suggestions telles que la surveillance par des magistrats des phénomènes de la corruption et du trafic d’influence, ou encore le contrôle des responsables locaux et régionaux pour lutter contre les abus de pouvoir. La synthèse des débats directs au sein des groupes reste pour le moment confidentielle, répondent les organisateurs, qui renvoient les journalistes au Forum de la jeunesse, accessible sur le site officiel du dialogue (www.pactejeunesse.tn), où un débat parallèle ouvert à tous les internautes s’est poursuivi durant tout l’été. Là aussi, les axes de la discussion ont été fixés à l’avance par les organisateurs. Pourtant, les filtreurs ont tout de même laissé passer des interventions politiquement incorrectes, mais futiles, comme cet anonyme qui a demandé que l’on supprime du site l’usage de la couleur mauve, dont tout le monde sait qu’elle est la préférée du président Ben Ali. Ou encore ces autres anonymes, un rien farfelus, qui recommandent que l’on remplace l’actuel drapeau tunisien frappé du croissant et de l’étoile, ou que l’on supprime l’enseignement de la langue arabe pour lui substituer l’apprentissage de langues étrangères. Ou encore ce débat autour de problématiques d’un autre âge sur l’identité, une polémique idéologique stérile étrangère aux préoccupations réelles de ceux qui demain bâtiront l’avenir du pays. Le dialogue avec la jeunesse mérite assurément mieux.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Politique
- Le livre « Algérie juive » soulève une tempête dans le pays
- L’Algérie doit-elle avoir peur de Marco Rubio, le nouveau secrétaire d’État améric...
- Au Bénin, arrestation de l’ancien directeur de la police
- Maroc-Algérie : que contiennent les archives sur la frontière promises par Macron ?
- En Algérie, le ministre Ali Aoun affaibli après l’arrestation de son fils pour cor...