Michaëlle Jean

Gouverneure générale du Canada

Publié le 13 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Elle a été, avec Stephen Harper, le chef du gouvernement canadien, et Jean Charest, le Premier ministre de la province du Québec – les deux coorganisateurs de la conférence –, une parfaite maîtresse de cérémonie. Michaëlle Jean, 27e gouverneure générale du Canada, a accueilli, chez elle, dans sa résidence de la Citadelle, avec un plaisir non dissimulé, la trentaine de chefs d’État et de gouvernement des pays de la Francophonie qui avaient fait le déplacement à Québec pour assister, du 17 au 19 octobre, au 12e sommet des pays ayant le français en partage. Rayonnante, elle a fait forte impression. Femme, Noire, descendante d’esclaves haïtiens, devenue premier personnage de l’État et icône du multiculturalisme canadien : difficile d’échapper aux clichés pour qui se hasarde à décrire son extraordinaire parcours commencé il y a cinquante et un ans à Port-au-Prince, dans un pays « barbelé de pied en cap », vivant sous le joug d’une dictature impitoyable, celle des Duvalier. En 1968, persécuté par les sinistres tontons macoutes et ayant miraculeusement échappé à la mort, son père, Roger Jean, directeur du collège épiscopal Saint-Pierre, fuit avec sa famille en Amérique du Nord et débarque au Québec. « Nous avons plongé nos racines dans cette terre francophone et généreuse qui est devenue notre terre et où nous avons fait l’apprentissage de la liberté et de la citoyenneté », se souvient-elle. Après des études de littérature comparée à Montréal et plusieurs séjours en Italie, à Florence, Milan et Pérouse, elle se lance dans le journalisme, entre à Radio-Canada, anime des émissions d’information, avant de devenir une des présentatrices vedettes du Téléjournal. Au milieu de l’été 2005, elle reçoit un coup de téléphone d’un émissaire mandaté par le Premier ministre de l’époque, le libéral Paul Martin, qui lui apprend qu’elle est pressentie pour succéder à l’honorable Adrienne Clarkson au poste de gouverneur général du Canada. Elle n’en croit pas ses oreilles. « C’était un honneur tellement inattendu ! Ma réflexion a porté sur une seule question : qu’est-ce qu’une personne comme moi, qu’est-ce que mon histoire singulière pourrait signifier pour mes concitoyens, qu’est-ce que le symbole que j’incarnais pourrait leur apporter ? Quand j’ai été convaincue qu’ils pourraient se projeter sur la différence que je représentais, j’ai accepté. » Le 27 septembre 2005, elle est donc officiellement désignée par la reine d’Angleterre, Élisabeth II. Le poste de gouverneur général, qu’on peut assimiler à celui de vice-roi, car, formellement, le souverain britannique est toujours le chef de l’État canadien, est essentiellement protocolaire : lecture des discours du Trône, promulgation des lois, accréditation des ambassadeurs, remise des décorations. « Cheffe » nominale des armées, elle est tenue informée du déroulement des opérations en Afghanistan, où le Canada a déployé plus de 3 000 soldats et essuyé ses plus lourdes pertes militaires depuis la guerre de Corée (une centaine de tués). « Son Excellence met un point d’honneur à assister au retour des corps, sur la base aérienne de Trenton, en Ontario, et à réconforter les familles », raconte une de ses proches collaboratrices.â©Troisième femme et deuxième représentante issue des « minorités visibles » à accéder à cette fonction, Michaëlle Jean a grandement contribué à rajeunir une institution vieille de quatre cents ans et un peu désuète, comme tout ce qui touche à la monarchie anglaise dans les anciens dominions. Son style et sa liberté de parole et d’appréciation – « non négociable » – lui ont d’ailleurs valu quelques tiraillements avec l’actuel Premier ministre conservateur. C’est que, quand il le faut, elle sait mettre les pieds dans le plat. Elle est ainsi récemment intervenue pour réclamer le rapatriement d’un jeune Canadien, Omar Khadr, emprisonné à Guantánamo, âgé seulement de 16 ans lors de son arrestation. « Son boulot n’a rien d’une sinécure, note un politologue de l’université de Montréal. Il faut composer en permanence avec les susceptibilités d’un pays aux identités à vif. Y compris celles des Québécois, qui se sont sentis un peu vexés par l’épisode de sa participation aux cérémonies du 60e anniversaire du débarquement de Normandie. Ils ont trouvé que le battage médiatique autour de sa visite avait un peu trop éclipsé les festivités du 400e anniversaire de la ville de Québec… » Mariée à un Français naturalisé canadien, le réalisateur Jean-Daniel Lafond, qu’elle a rencontré alors qu’elle tournait un documentaire sur le chantre martiniquais de la négritude, le poète Aimé Césaire, la locataire de Rideau Hall revendique son appartenance à la diaspora africaine. « Je ne me dis pas africaine, car ce serait usurpé. Mais je suis sensible à l’histoire dont je suis issue. Et j’en suis fière. J’ai mis les pieds sur le continent pour la première fois en novembre 2006, pour une visite officielle qui a duré un mois (Afrique du Sud, Algérie, Ghana, Mali, Maroc). Je ne savais pas comment j’allais réagir, et, comme on dit en créole, j’ai senti l’Afrique me marcher dans le sang. » C’est par l’Algérie qu’elle a débuté son périple. Pour rendre hommage au peuple algérien, à ses femmes et aux journalistes qui ont fait courageusement front pendant la décennie noire. L’accueil qu’elle y a reçu restera à jamais gravé dans sa mémoire. Mais c’est peut-être sa visite au château d’Elmina, au Ghana, qui a constitué le moment le plus émouvant de son voyage. « Ce lieu était surnommé “la porte du non-retour”, c’était le fort où étaient entassés les esclaves avant leur déportation vers les plantations d’Amérique et où on laissait mourir de faim et de soif les chefs des communautés pour annihiler complètement les leurs. Mon hôte, le président John Kufuor, a profité de ma présence pour renouveler les excuses du peuple ghanéen à toutes celles et tous ceux qui avaient été déportés au cours des âges. Les Ashantis, groupe auquel il appartient, avaient servi de rabatteurs d’esclaves aux commerçants de la traite. Le roi des Ashantis est venu et a fait la même chose. C’était bouleversant. » Même si rien n’est officiellement arrêté, Michaëlle Jean espère retourner prochainement sur le continent. Et peut-être dès mars 2009, à l’occasion d’une conférence internationale sur le pouvoir des femmes, la women’s empowerment, organisée au Liberia par la présidente Ellen Johnson-Sirleaf.

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