Indignation sélective
Lorsque, le 14 octobre au Stade de France, Salem s’est mis à siffler juste avant le coup d’envoi du match amical France-Tunisie (3-1), il était loin d’imaginer le tollé qu’il allait provoquer dans la classe politique française. Mais au fait, que sifflait-il ? La Marseillaise ou les Bleus ? Exprimait-il son ressentiment face à une intégration qui ne fonctionne pas ? Ou a-t-il simplement fait comme le type assis à ses côtés dans les gradins ? Qu’importe, au fond. Le fait est que de nombreux Français ont été choqués. Et que les hommes politiques se sont aussitôt emparés de l’affaire. Une enquête a été ouverte pour « outrage à l’hymne national ». Le lendemain, le président Nicolas Sarkozy, délaissant un instant son opération de sauvetage de l’économie mondiale, a convoqué une réunion d’urgence en présence de Jean-Pierre Escalette, le président de la Fédération française de football (FFF). Désormais, tout match au cours duquel l’hymne national sera sifflé sera immédiatement arrêté. Les membres du gouvernement quitteront sur-le-champ le stade et tous les matchs amicaux avec le pays concerné seront suspendus sine die. Des décisions largement inapplicables… Mais c’est Bernard Laporte, le secrétaire d’État aux Sports, qui décroche la palme de la démesure – pour ne pas dire plus. Il suggère en effet que les Bleus ne jouent jamais plus au Stade de France contre des équipes du Maghreb, ce qui reviendrait à sanctionner les amateurs de foot d’origine maghrébine, pourtant habitués du Stade de France et supporteurs de l’équipe de France… quand elle ne joue pas contre leur pays d’origine. « Confusion mentale », juge Élisabeth Guigou, l’ancienne ministre socialiste. « S’il a dit un truc pareil, c’est vraiment une connerie ! » renchérit le député UMP Benoist Apparu. Commentaire, enfin, de Michel Platini, président de l’Union des associations européennes de football (UEFA) : « Il y a trente ans, La Marseillaise était sifflée sur tous les terrains. À l’époque, les politiques ne s’intéressaient pas au foot et cela ne choquait personne. Tout cela est absurde. Irresponsables. Côté tunisien, l’ambassadeur Mohamed Raouf Najjar estime que « les sifflets qui ont accompagné La Marseillaise sont irresponsables, gratuits et doivent être unanimement condamnés ». Mais il suggère d’éviter les amalgames afin de « ne pas donner de grain à moudre aux intolérants de tous bords ». Joint par Jeune Afrique, Kamel Ben Amor, le président de la Fédération tunisienne de football, qui se trouvait dans la tribune officielle au Stade de France, confirme : « C’est un incident que nous regrettons, le sport devant rester une invitation au respect mutuel et à l’amitié. Mais, en dehors de cette fâcheuse parenthèse, nous n’avons pas vu de débordements. » Dans les médias tunisiens, l’incident est relaté brièvement, en pages sportives, sur la base de dépêches d’agences et souvent sans commentaires. Téléspectateurs et internautes sont eux aussi surpris par l’extrême médiatisation de l’incident. Mais ce qui choque les Maghrébins, dans leur ensemble, c’est l’indignation sélective des responsables français, prompts à dénoncer des incidents similaires survenus lors de France-Algérie (6 octobre 2001) ou France-Maroc (16 novembre 2007), en oubliant que les supporteurs d’origine maghrébine n’ont pas été les seuls, dans un passé récent, à siffler l’hymne national. En mai 2002, toujours au Stade de France, des supporteurs corses l’avaient fait lors d’une finale de la Coupe de France (Lorient-Bastia). En mars 2005, au stade Ramat Gan de Tel-Aviv, La Marseillaise a été une nouvelle fois copieusement sifflée lors d’un match Israël-France. À l’époque, un porte-parole du Quai d’Orsay avait avoué être « surtout préoccupé par le résultat du match ». Même sifflets regrettables lors d’un Espagne-France (juin 2006) et d’un Italie-France (septembre 2007)… « Je trouve qu’on accorde une importance démesurée à tout ça, commente l’ancien ministre Hubert Védrine dans Le Figaro. Les supporteurs sont comme ils sont. Ils ont l’habitude de se siffler entre eux et de siffler les hymnes des autres. C’est stupide, naturellement, mais il ne faut pas exagérer non plus. » On pourrait ajouter que les injures racistes, si fréquentes dans les stades, ou les bananes lancées en direction des joueurs noirs ne suscitent pas autant d’indignation.
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