Anémie pernicieuse

Publié le 13 novembre 2008 Lecture : 5 minutes.

Je ne peux pas faire autrement que de vous entretenir à nouveau cette semaine de ce qu’il est convenu d’appeler la crise. Ce mot inquiète, et ce qu’il désigne est l’événement qui surclasse tous les autres ; il mobilise l’attention des responsables comme celle de nous tous qui craignons ses conséquences négatives sur notre vie et l’avenir de nos enfants. Ces conséquences nous angoissent d’autant plus que nous les supposons graves et durables, sans être en mesure de les identifier. Par honnêteté, je me dois de vous indiquer, d’emblée, que la plupart des dirigeants de nos pays et de nos économies, ainsi que l’écrasante majorité des analystes-commentateurs qui dissertent sur la crise dans les médias ont perdu leurs marques. Que nous le reconnaissions ou non, nous sommes incapables de prévoir l’évolution de ce mal qui s’est abattu sur l’économie mondiale et dont nous ne sentons, pour le moment, que les premiers symptômes. Il nous faut donc traiter du sujet avec modestie, nous astreindre à ne décrire et à n’analyser que les faits avérés, et ce avec la plus grande prudence. Il nous faut nous souvenir de ce mot d’humoriste : « La prévision est difficile, surtout lorsqu’il s’agit de l’avenir. »  On dit que le sida est né en Afrique, qu’il s’est propagé ensuite en Amérique avant de contaminer le reste de la planète, de proche en proche. La crise dont nous vivons les prémices est, elle aussi, un mal contagieux : il s’est déclaré, lui, aux États-Unis d’Amérique sous la forme d’une crise immobilière. On a espéré qu’elle serait locale et bénigne, mais elle n’a pas tardé à gagner Wall Street et, au-delà, le monde américain de la finance. Qui l’a transmise aux systèmes financiers européen et mondial auxquels il est lié. La finance étant à l’économie ce que le sang est au corps des êtres vivants, de financière, la crise est en train de devenir économique et de se transmettre du monde développé aux pays émergents, puis, mondialisation oblige, au reste du monde. Je pense qu’elle prendra peu à peu la forme d’une anémie pernicieuse : il y aura pendant une longue période « beaucoup moins de globules rouges dans le sang » ; les économies seront sans ressort, des secteurs dépériront… Le moral des nations sera atteint, car il y aura résurgence du chômage et de l’égoïsme national, aggravation, si cela est encore possible, de la pauvreté et, probablement, troubles sociaux ou même politiques. Si l’anémie n’était pas vite vaincue, nous pourrions revivre la grande misère américaine de 1929 (et des années suivantes), mais à l’échelle mondiale. Le pire n’est pas sûr cependant, car, en ce début de XXIe siècle, sont au chevet de l’économie du monde développé des thérapeutes mieux formés et mieux outillés que ceux dont disposait le monde fragmenté de 1929. Même s’il a commis des erreurs parce qu’il était en première ligne, Hank Paulson, le secrétaire américain au Trésor, a su faire face aux premières attaques du mal. Ses homologues européens, banquiers centraux ou chefs d’exécutif, ont fait encore mieux, et tout observateur objectif est favorablement impressionné par la manière dont ils ont tenu la barre. Ce qu’en dit Gideon Rachman du Financial Times me paraît juste : « Les crises donnent la mesure des hommes politiques. C’est ce que démontrent la métamorphose du Premier ministre britannique, Gordon Brown, et l’attitude du président américain, G. W. Bush. En temps normal, Brown paraît souvent indécis, peu engageant et sans allant. En temps normal, Bush paraît ouvert, décidé et sympathique. Mais la crise financière a changé les deux hommes, l’un en bien et l’autre en mal : Brown a soudain paru calme, déterminé et sûr de lui. Bush a eu une tendance malheureuse à se montrer paniqué et désemparé […]*. La chancelière Angela Merkel ne s’est pas non plus couverte de gloire. En proposant une réponse européenne, puis en annonçant des mesures allemandes unilatérales, elle n’a pas fait preuve de beaucoup de suite dans les idées – c’est le moins que l’on puisse dire. En revanche, Nicolas Sarkozy a été très bon. Il s’est montré énergique et déterminé et, la France assumant la présidence de l’Union européenne, il a eu la responsabilité d’élaborer une réponse européenne commune. Le sommet qu’il a réuni à Paris le dimanche 12 octobre, a été nettement plus réussi et beaucoup plus digne que de nombreuses réunions de crise européennes. En évitant tout dérapage et en présentant un front uni, Sarkozy a sauvé la mise pour l’Union européenne. Aux États-Unis, il semble clair que la crise a davantage profité à Barack Obama qu’à John McCain. Leur comportement a été très différent. Dans une crise financière, pour un haut responsable, les maîtres mots sont calme, cohérence et maîtrise de soi. Sur les trois points, Obama a fait mouche. En revanche, les premières réactions de McCain ont été désordonnées et contradictoires […]. » De même que l’intégrisme islamiste est une maladie de l’islam dont celui-ci guérira, la crise économique dans laquelle nous entrons est une maladie du capitalisme dont celui-ci se remettra. Mais, sachons-le, le combat n’en est qu’à son début, et le front principal est aux États-Unis : c’est là que le mal s’est déclaré et c’est là qu’il faut porter le fer. Ne serait-ce que parce que ce pays a l’économie la plus puissante et la plus élaborée du monde, et qu’il est La Mecque du capitalisme. Il se trouve que les Américains sont sur le point de se libérer d’un président-boulet qu’ils traînent, ainsi que son administration, depuis près de huit ans. Et que, par chance pour eux et pour le monde, on a de bonnes raisons de croire que le successeur de G. W. Bush sera Barack Obama. Si c’est lui, l’impact psychologique positif sera immense dès le 5 novembre. S’y ajoutera, à partir du 20 janvier 2009, celui des hommes et femmes de grande compétence (leurs noms sont déjà connus) qui recevront de lui la charge de redresser l’économie. Il y a là, pour la lutte contre cette anémie pernicieuse qu’est la crise, une promesse de globules rouges et un facteur d’accélération de la guérison. Mais quid du « front africain » et des pays de l’ex-Tiers Monde ? En période de crise, ils ont encore plus besoin de paix, de bonne gestion, d’amis et d’aide. L’économiste américain Jeffrey Sachs, que j’ai déjà bien souvent cité, le dit à sa manière : « On peut s’étonner que les États-Unis aient pu sortir 700 milliards de dollars pour remettre à flot des banques mal gérées par des dirigeants corrompus, que les Européens en soient venus à en faire plus encore et qu’ils n’aient pas pu donner une fraction de cette somme faramineuse pour les pauvres. On s’en étonne d’autant plus que les mêmes banques qu’on arrose aujourd’hui si généreusement s’étaient offert plus de 30 milliards de dollars de bonus en début d’année, soit à peu près le total de l’aide mondiale accordée aux 800 millions d’habitants de l’Afrique subsaharienne. Conclusion : l’argent nécessaire pour mettre fin à la pauvreté existe et existera même en période de crise : il faut et il suffit que les riches et les puissants apportent leur obole… »

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