Bande dessinée : les BD reporters, porte-paroles des sans-voix

De plus en plus de dessinateurs se comportent en reporters, privilégiant le temps long à l’immédiateté. Même, et surtout, lorsqu’il s’agit de couvrir des conflits comme ceux qui agitent le Moyen-Orient.

Une femme à Gaza dans les débris d’une habitation. © Joe Sacco/éditions Futuropolis

Une femme à Gaza dans les débris d’une habitation. © Joe Sacco/éditions Futuropolis

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Publié le 13 janvier 2012 Lecture : 3 minutes.

Bande dessinée : les cases du siècle
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Bande dessinée : les cases du siècle

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L’interminable conflit israélo-palestinien est couvert, à longueur d’année, par des hordes de journalistes. Les images et les commentaires plus ou moins partisans s’accumulent jusqu’à former un inextricable embrouillamini défiant toute velléité de compréhension. Dans ce contexte, le recul que les auteurs de bande dessinée ont la possibilité de prendre est un avantage considérable.

Le temps de la réflexion

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Condamnés à travailler lentement (le temps de réaliser des croquis), relativement discrets (carnet et crayon pour seules armes), ils se positionnent dans le temps long plutôt que dans l’immédiateté, dans la réflexion plutôt que dans la réaction.

Chroniques de Jérusalem, du Québécois Guy Delisle – déjà auteur des Chroniques birmanes –, raconte ainsi la vie d’un jeune père de famille dont la femme, expatriée pour Médecins sans frontières (MSF), travaille en Palestine. Touche par touche, case par case, Delisle brosse le portrait d’une société qu’il découvre au gré de ses rencontres et de ses visites touristiques, par l’intermédiaire des histoires que lui racontent les uns et les autres ou, plus simplement, à la faveur de ces petits événements du quotidien (un embouteillage, un problème de clés, une sortie au parc avec les enfants…) qui en disent tant sur l’atmosphère d’une ville, d’un pays.

Faussement naïf, très efficace, le trait de l’auteur-dessinateur est à l’image du propos : clair et sans appel. Sans le moindre effet de manches, la violence politique, économique, religieuse, sociale imprègne chaque page, alors même que Guy Delisle a in fine refusé de se rendre sur cette colline où tous les journalistes allaient observer ce qui se passait dans la bande de Gaza à l’heure de l’opération Plomb durci, quand l’aviation israélienne bombardait sans répit la ville exsangue…

L’équilibre ne doit pas être un écran de fumée pour cacher la paresse.

Refuser la règle de l’équilibre

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En se mettant en scène et en rapportant de nombreux témoignages, le Québécois suit l’exemple de Joe Sacco – le créateur le plus en vue de ce genre nouveau qu’est la BD reportage. Dans Gaza 1956 et Reportages, l’Américain d’origine maltaise s’intéresse lui aussi de près au conflit israélo-palestinien. À Hébron, à Gaza, il est allé sur le terrain recueillir les témoignages de ceux qui vivent la guerre au jour le jour. Refusant avec force l’idée qu’un bon reportage doive être équilibré vis-à-vis des deux camps, il écrit : « L’équilibre ne doit pas être un écran de fumée pour cacher la paresse. S’il existe une, deux ou davantage de versions des événements, un journaliste doit explorer et examiner chacune des affirmations. Mais à la fin, il doit aller au fond des choses et en rendre compte de manière indépendante. » Et il ajoute, pour enfoncer le clou : « Je me soucie surtout de ceux qui ont rarement l’occasion d’être entendus, et je ne crois pas qu’il m’incombe de contrebalancer leurs voix avec les excuses bien ourdies des puissants. Ces derniers sont souvent excellemment servis par les médias traditionnels et les organes de propagande. »

Une position qui semble appelée à faire école. Ainsi, le Suisse Chappatte, très doué pour la caricature et le dessin d’humour, s’est essayé lui aussi – avec un peu moins de réussite – à la BD reportage. Avec BD reporter, du Printemps arabe aux coulisses de l’Élysée, il entraîne ses lecteurs du Caucase à la Tunisie, de la Palestine à la Côte d’Ivoire, en s’octroyant même une petite pause sous les ors de la République française. À l’heure d’internet et de l’info instantanée, la BD humaniste semble paradoxalement à même d’imposer son propre tempo. 

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