Bénin : Boni Yayi, l’homme pressé

Réélu en mars, le président du Bénin, Boni Yayi, doit accélérer le rythme des réformes, institutionnelles comme économiques. Le tout sous le signe de la rigueur. Pas simple…

Le président Boni Yayi en mars 2011, entre les deux tours de l’élection présidentielle. © AFP

Le président Boni Yayi en mars 2011, entre les deux tours de l’élection présidentielle. © AFP

Publié le 16 janvier 2012 Lecture : 7 minutes.

Bénin : Boni Yayi II ou l’éloge de la rigueur
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Bénin : Boni Yayi II ou l’éloge de la rigueur

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« Boni Yayi est un homme libéré du poids de la campagne, il peut donc se mettre au travail. Et il veut que ça aille vite ! » déclare Albert Tévoédjrè, médiateur de la République du Bénin. En effet, Thomas Boni Yayi est un homme pressé. Il s’est rendu compte qu’un quinquennat passe bien trop vite, surtout lorsque l’on doit se battre sur plusieurs fronts : juguler les contrecoups d’une crise financière mondiale, réformer un secteur cotonnier en déconfiture et un système de santé dépassé, guerroyer avec une opposition pugnace et des syndicats rétifs…

L’ex-banquier s’est mué en politicien maniant la carotte et le bâton pour se faire entendre.

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Le Boni Yayi qui a été réélu dès le premier tour de la présidentielle du 13 mars dernier, avec 53,14 % des voix, est aussi un homme nouveau. « Il a du ressort et il a enfin compris la mécanique béninoise, observe même un opposant. À présent, il sait exactement ce qu’il faut faire pour atteindre ses objectifs. »

L’ex-banquier s’est donc mué en politicien, maniant la carotte et le bâton pour se faire entendre. « La méthode est un peu brusque parfois, reconnaît l’un de ses confidents. Mais c’est ainsi que fonctionne la politique béninoise et qu’il parviendra à atteindre son but », à savoir : laisser son empreinte sur le Bénin, être celui par qui le changement est arrivé.

Ralliement d’opposants

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S’il est fermement décidé à mettre le pays sur les rails du développement, le chef de l’État sait que la chose est impossible dans un climat tendu. Aussi s’est-il attelé dans un premier temps à apaiser la sphère politique. Cela n’a pas été très difficile : abattu par sa défaite, l’ex-candidat de l’Union fait la nation (UN, la coalition d’opposition) à la présidentielle, Adrien Houngbédji, s’est retiré de l’arène, passant le plus clair de son temps hors du pays. Quant à son Parti du renouveau démocratique (PRD), il se meurt, depuis que l’ex-secrétaire général Moukaram Badarou a rejoint le camp Yayi. Deuxième coup dur pour l’UN : la défection en mai dernier de la Renaissance du Bénin (RB). Son président, Léhady Soglo, avait pourtant été la cheville ouvrière de la coalition. En annonçant son appartenance à la « majorité plurielle » au sortir d’une rencontre avec le chef de l’État, il signait le ralliement de ses députés aux Forces cauris pour un Bénin émergent (FCBE), la mouvance présidentielle au Parlement.

Qui sera le dauphin ?

Autour du chef de l’État, ce ne sont ni les appétits ni les capacités qui manquent. Parmi les noms qui circulent pour succéder à Thomas Boni Yayi en 2016, citons d’abord celui de Mathurin Coffi Nago. Originaire de Bopa, dans le Mono (Sud-Ouest), il est l’actuel président de l’Assemblée nationale. Universitaire, ex-doyen de la faculté des sciences agronomiques de l’université d’Abomey-Calavi, où il enseignait la biochimie et les sciences alimentaires, il se fait discret, évitant autant que faire se peut les débats politiciens.

Autres dauphins possibles : le Premier ministre, Pascal Koupaki, et le ministre de l’Analyse économique, du Développement et de la Prospective, Marcel de Souza. Tous les deux originaires de Ouidah, ils bénéficient, pour le premier, d’un large capital sympathie auprès de la population et, pour le second, des statuts de beau-frère du président et de neveu de Mgr Isidore de Souza, l’ex-président du Haut Conseil de la République, qui organisa les premières élections démocratiques du pays.

Enfin, l’actuel ministre des Affaires étrangères et de l’Intégration africaine, Nassirou Bako-Arifari : originaire de Karimama (extrême Nord), l’ancien député d’opposition rallié au camp présidentiel pourrait surfer sur la vague nordiste pour prendre la relève du chef de l’État.

Mais, comme le dit un ministre en fonction, rien ne sert de courir : « La meilleure façon pour un potentiel candidat de se griller pour 2016, c’est de sortir du bois dès maintenant. » M.G.-B.

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« Puisque Boni Yayi effectue son dernier mandat et que la Cour constitutionnelle a coupé court à toutes les spéculations en s’opposant à toutes les réformes, le chef de l’État se concentre sur l’essentiel : son bilan et son action », justifie Léhady Soglo. Pour sa part, Boni Yayi n’a de cesse de rappeler qu’il s’agit bien de son second et dernier mandat, et qu’il n’a pas l’intention de se livrer à une quelconque acrobatie juridique pour rester au pouvoir. Dernier rappel en date : en novembre, lors de la visite du pape Benoît XVI.

"Refondation"

Son leitmotiv, désormais, c’est la « refondation ». Pas celle à l’ivoirienne, qui a vu les caciques de l’ex-pouvoir s’enrichir impunément ; mais une refonte du Bénin, de son économie et de ses institutions. Il faut dire qu’il n’a pas le choix. Avec une croissance de 3,8 % en 2011 au lieu des 6 % espérés, l’économie béninoise va assez mal (lire pp. 115-117). La production cotonnière est en baisse, et la réforme entamée lors du premier mandat ne semble pas porter ses fruits. Quelque 90 % des actifs travaillent dans le secteur informel, et l’État tire l’essentiel de ses ressources (55 % du budget national) du Port autonome de Cotonou, qui peine à se réformer (lire pp. 118-119).

L’heure est donc à l’austérité, et le président béninois se voit contraint de donner des signes de bonne gouvernance. Le nombre de conseillers a été réduit d’un tiers, le gouvernement resserré : 26 membres au lieu de 30. Le poste de Premier ministre, abandonné depuis 1998, a été remis au goût du jour, et c’est l’ex-ministre du Développement et de la Prospective, Pascal Koupaki, qui hérite de la fonction. Auprès des bailleurs de fonds et des partenaires au développement, cet homme sérieux, à la limite austère, est un atout certain pour le président. De par ses anciennes fonctions, il était déjà au cœur des grands dossiers, et son peu d’ambition politique – a priori – ne le distraira pas dans la conduite des affaires de l’État. Autre avantage : il est très respecté des partenaires sociaux. À peine entré en fonction, Pascal Koupaki a dû négocier avec les fonctionnaires, bien décidés à rendre le pays ingouvernable. Au terme de longs mois de négociations, le Premier ministre et les syndicats ont trouvé un terrain d’entente : des augmentations successives de salaires, de 5 % sur les deux ans à venir, de 10 % en 2014.

"Dépoussiérer" la constitution

Pour sa part, le président se concentre désormais sur la diplomatie. Il est temps que le petit Bénin devienne grand. Pour obtenir la présidence de la Commission de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), il monte au créneau, multipliant les rencontres avec les chefs d’État des pays membres. De la même façon, il accepte avec un plaisir non dissimulé de reprendre ses activités de président du Conseil de l’entente, qui tente de renaître de ses cendres : du 5 au 8 décembre, à Cotonou, une réunion a ainsi rassemblé autour du président béninois ses homologues ivoirien, togolais, burkinabè et nigérien.

Sur le plan intérieur, Bon Yayi mène ses réformes à grand train. Il faut mettre en route la loi portant création d’une Cour des comptes et d’une Haute Cour de justice. Déjà passée devant les députés en août, une loi contre l’enrichissement illicite et la corruption a été votée, ce qui devrait faire oublier les deux scandales financiers retentissants du premier quinquennat : en 2009, une histoire de détournement d’argent dans le cadre de l’organisation du sommet de la Communauté des États sahélo-sahariens (Cen-Sad) ; en 2010, l’affaire ICC Services, du nom d’une des structures de « placement » qui avaient floué, à hauteur de plus de 100 milliards de F CFA (150 millions d’euros), des centaines de milliers de petits épargnants dont une grande partie n’a pas encore été dédommagée.

Également en chantier, une loi référendaire – une première fois retoquée par le Conseil constitutionnel – qui autoriserait à amender la Constitution, « pas pour la tripatouiller, mais la dépoussiérer », souligne Amos Elègbè, conseiller spécial à la politique du président béninois. Sur le plan économique, la mise sur pied du Programme de vérification des importations (PVI), attribuée à Bénin Control – dont le patron, Patrice Talon, est un proche de Boni Yayi –, doit optimiser les recouvrements des recettes douanières et, surtout, écarter les douaniers indélicats du processus de recouvrement.

Popularité intacte

« Même si les idées sont bonnes, c’est la manière qui continue de poser des problèmes. On a toujours l’impression d’un grand cafouillage », commente un businessman béninois. Comme dans l’affaire des primes des agents de la fonction publique : en novembre, un audit des structures d’État révélait que certains directeurs d’administration touchaient des primes deux fois plus élevées que leurs salaires. « Il y a d’abord eu une annonce de suppression, puis, deux jours après, on a parlé d’une suspension, poursuit cet homme d’affaires. Comme si les décisions étaient prises à l’emporte-pièce. »

Même si les idées sont bonnes, on a toujours l’impression d’un grand cafouillage.

Un homme d’affaires béninois

Il n’empêche que cette spontanéité ne semble pas nuire à la popularité du président béninois. Dans les salons et les maquis, ses décisions sont même accueillies avec une certaine satisfaction. « On a le sentiment qu’il prend les choses en main, déclare un fonctionnaire. Pendant très longtemps, rien ne bougeait au Bénin, alors que maintenant, on a l’impression que le gouvernement travaille. » Pour le conseiller spécial Amos Élègbé, l’explication est simple : « Les Béninois ont compris que l’objectif de Boni Yayi, c’est de moraliser les institutions. Il y a un problème de morale et d’éthique dans la société béninoise que nous sommes bien décidés à corriger. » D’où le retour dans l’enseignement public de l’instruction civique et morale, dès la prochaine rentrée académique. 

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