Israël et le Printemps arabe
Correspondant à Paris de « Israel Magazine ».
À la veille des révolutions arabes, la situation qui prévalait dans la région n’était pas pour déplaire à Israël, car elle lui permettait d’utiliser sa diplomatie et sa communication afin d’affirmer haut et fort qu’il était le seul État démocratique de la zone. C’était un leitmotiv dans la stratégie de défense de l’État hébreu, notamment au sein des instances internationales. Car comment normaliser ses relations avec des dictatures et faire confiance à des autocrates, qui justifiaient d’ailleurs souvent leurs excès par le fait qu’ils étaient en conflit avec l’« entité sioniste », voire carrément en guerre avec les Juifs ?
Cet argument de l’establishment israélien, gauche et droite confondues, n’était pas démagogique. Il exprimait la nature profonde de la perception israélienne du monde arabo-musulman, la réciproque étant tout aussi vraie.
Mais avec le glissement du Printemps arabe vers un hiver islamiste, il reste pour Israël la possibilité de maintenir sa ligne politique et diplomatique en recourant cette fois à un argument non moins authentique que le premier : la défiance idéologique que lui vouent les protagonistes islamistes, si « modérés » soient-ils. C’est en effet une réalité que l’islamisme, dans son idéologie autant que dans sa praxis, est résolument anti-israélien, voire, pour certains, résolument antisémite. À moins que cette défiance n’ait été, depuis la naissance des Frères musulmans en Égypte (1928), qu’un thème mobilisateur destiné à galvaniser les populations arabes.
Les islamistes au pouvoir vont-ils passer de l’antisionisme au pragmatisme?
Dans cette nouvelle configuration politique et géopolitique, la grande inconnue reste donc la question de savoir si les islamistes qui ont été portés au pouvoir vont passer de la démagogie à la realpolitik. Autrement dit, quitte à caricaturer, la question de savoir si les islamistes qui ont été portés au pouvoir vont passer de la démagogie à la realpolitik. Une telle mutation est d’autant plus envisageable qu’il existe déjà des signes avant-coureurs dans les déclarations volontairement rassurantes des Frères musulmans égyptiens et de leurs alter ego tunisiens. Dans leurs derniers discours, l’on peut deviner cependant l’empreinte des pressions occidentales, et principalement de l’allié historique et stratégique d’Israël, à savoir les États-Unis d’Amérique. L’enjeu et le pari étant d’obliger dès à présent les islamistes portés au pouvoir à marcher sur les traces de l’AKP turc, dont les dirigeants ont fait leurs preuves en matière de gestion et de bonne gouvernance en Turquie.
Il s’agit là d’un pari malgré tout risqué, car l’islamisme turc reste jusqu’à présent un cas très particulier eu égard aux conditions historiques, sociologiques et politiques de son émergence. S’il est probable que l’islamisme triomphant au Maghreb et au Moyen-Orient est capable, par tactique ou par stratégie, de changer d’attitude envers Israël, rien ne nous permet d’affirmer que les islamistes qui viennent d’arriver au pouvoir en Tunisie, en Égypte ainsi qu’en Libye puissent se défaire de leurs propres conditions et spécificités historiques, sociologiques et politiques.
Autre inconnue, qui peut considérablement peser sur la nouvelle géopolitique : l’attitude iranienne. Si l’islamisme sunnite est capable de mutation, en sera-t-il de même de l’islamisme chiite ? En d’autres termes, l’axe Téhéran-Bagdad-Damas-Beyrouth (via le Hezbollah) peut-il devenir la réplique de l’arc sunnite Rabat-Alger-Tunis-Tripoli-Le Caire-Ankara ? Rien n’est moins sûr. Une chose est certaine : pour l’État d’Israël, rien ne sera plus comme avant.
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