Ces albinos devenus stars
En Afrique, les albinos sont souvent montrés du doigt, menacés et persécutés. Certains, pourtant, ont su transformer la couleur de leur peau en atout, jusqu’à se faire un nom sur la scène internationale. Portraits de ces hommes et de ces femmes qui ont réussi, envers et contre tous.
Leurs noms figurent rarement dans le Who’s Who. Ils ne riment pas non plus avec hôtels particuliers ou villas cossues, et pourtant ils ont réussi. Car pour les albinos, parfois surnommés nègres blancs à cause de leur peau sans mélanine, réussir, c’est d’abord dépasser cette anomalie génétique et se réaliser en tant qu’individus, en dépit de leurs problèmes (sensibilité au soleil, troubles oculaires…), des préjugés et des persécutions. À force de persévérance et grâce à un énorme talent, certains sont même parvenus à gagner un petit bout d’immortalité.
Salif Keita est sans doute le plus célèbre d’entre eux. Depuis quarante ans, l’enfant mandingue, banni par les siens, incarne la musique malienne, qu’il a su faire évoluer, et enregistre à Los Angeles, Paris ou Bamako. Il a créé une fondation destinée à promouvoir l’insertion des albinos, et son volontarisme a inspiré certains de ses compatriotes.
C’est le cas de Thierno Diallo (en photo ci-contre, crédit : Emmanuel Daou Bakary pour J.A), responsable de l’information et de l’orientation à l’ambassade du Mali à Bruxelles. Fils d’intellectuels très tôt divorcés, il est le seul albinos dans ses deux familles recomposées (six demi-frères du côté de son père, cinq du côté de sa mère). Aujourd’hui marié à « une très belle femme toute noire », cet ingénieur de 45 ans quitte la direction générale de la Pyramide du souvenir – construite en hommage aux martyrs et acteurs du 26 mars 1991 – sur de belles réalisations.
Curiosité
Écartelé entre ses deux régions d’origine – celle de son père, musulmane, dans le Nord, où l’enfant albinos est accueilli comme une bénédiction, et celle de sa mère, dans le Sud, traditionaliste, fétichiste et peu ouverte –, Thierno Diallo s’amuse d’être l’objet de toutes les curiosités. Militant dans l’âme, il bénéficie du soutien de la première dame malienne, Lobo Touré Traoré, et affirme avoir noté une évolution des mentalités depuis la création, en 1992, de son association, SOS Albinos, en réaction aux signes de rejet. Comme fermer les yeux, se cracher sur la poitrine ou se pincer le nombril dès qu’un albinos vient à passer, histoire de conjurer le sort. S’il dit avoir vécu dans un environnement protégé, il se souvient qu’un féticheur avait fait trembler ses parents, lorsqu’il était enfant, en insinuant que la chair d’albinos était très prisée par ceux de sa caste.
Albinisme (n.m) :
Anomalie génétique héréditaire qui touche l’homme et certains animaux. Elle est due à un défaut de pigmentation (absence de mélanine) et est caractérisée par une peau très blanche, des cheveux blancs ou blond paille et un iris rosé. Elle entraîne souvent des problèmes oculaires. L’albinisme touche une personne sur 20 000. Son incidence est toutefois beaucoup plus élevée en Afrique subsaharienne que dans le reste du monde. Particulièrement touchés : la Tanzanie, l’Afrique du Sud, le Zimbabwe, le Cameroun et le Burundi.
Aujourd’hui, la jeune génération a son icône, Natacha Dale-Kingue, véritable star de la mode. À 30 ans, des mensurations de rêve timidement dévoilées (1,75 m pour 55 kg ; 87-61-88 cm), elle correspond parfaitement aux canons de beauté des agences de mannequins.
Le combat du moment pour ce « Yé Fégué » (celui qui a une mauvaise vue, en bambara) : convaincre le gouvernement malien d’accorder des bourses d’étude à tous les bacheliers. En première ligne pour la défense des droits des albinos, cet amoureux de rumba et de chanson française milite pour une fédération d’associations sur l’ensemble du continent. Thierno Diallo affirme être en contact avec des structures internationales, dont la canadienne Under the Same Sun, qui travaille sur une cartographie africaine de l’albinisme sur un axe Maroc–Zimbabwe. En passant par le Cameroun, qui est, avec le Mali, le pays qui compte le plus d’albinos. Yaoundé a su très tôt les intégrer. On se souvient encore de la voix chaude et envoûtante de Richard Ekoka Sam Ewandè, directeur de la Radiodiffusion nationale, dans les années 1970 et 1980.
Mais pour ce top-modèle hors normes, l’histoire d’amour avec la profession ne débute pas par la fable habituelle du casting de rue qui vous expédie sur les podiums. Elle commence en 2001 par l’invitation d’une copine à prendre part à une séance d’entraînement dans une agence spécialisée… juste pour rire. Les photographes s’émerveillent alors de la manière dont son extraordinaire blancheur capture la lumière. Et depuis une dizaine d’années, elle truste les défilés des plus grands stylistes africains, d’Imane Ayissi à Pathé’O en passant par Alphadi. La belle Camerounaise parle sans se presser, cherche ses mots pour expliquer qu’elle est la preuve que la différence peut être un atout. Elle rend grâce à ce corps qui, dit-elle, lui a permis de sortir des arrière-cuisines familiales, où elle aurait pu rester. « Mon physique ne laisse personne indifférent, qu’on le trouve magnifique ou simplement étrange. »
Natacha Dale-Kingue affirme tout oublier sur un podium, jusqu’aux projecteurs qu’elle redoutait à ses débuts à cause de sa piètre vue. Et si elle ne touche pour l’instant que 150 euros par défilé, cette titulaire d’un BTS comptabilité se projette désormais en Shaun Ross, mannequin albinos afro-américain déjà habitué des podiums de Berlin, New York et Paris. Elle s’imagine aussi en Diandra Forrest, autre mannequin africain-américain albinos, révélée par Elite Model. Mais, lucide, cette native de Douala sait que pour passer de l’anonymat à la gloire il lui faudra travailler et retravailler sa démarche chaloupée. « Parce qu’un albinos doit toujours en faire deux fois plus que les autres. »
La Camerounaise Natacha Dale-Kingue, star de la mode. (Crédit : Nicolas Eyidi pour J.A)
Médecin généraliste à l’hôpital du district de la Cité verte à Yaoundé, le docteur Abanda Tueche, 28 ans, confirme. Il est passé par toutes les phases, du renoncement à l’exaltation. Au lycée, des camarades aux professeurs, tous lui assuraient qu’il n’y arriverait pas. À l’université, en cours de biologie, il doit disséquer une vingtaine de cochons d’Inde quand ses camarades peuvent s’en tenir à un seul. S’y reprendre à plusieurs fois pour produire une vue microscopique, retourner la nuit au laboratoire pour ses titrations, c’est-à-dire s’entraîner à percevoir les changements de couleur. En école de médecine, entre la 4e et la 6e année, il examine quelque 115 nouveau-nés pour se familiariser avec les pathologies infantiles. Son albinisme en fait un médecin plus pointilleux que les autres.
Si le récit de sa vie est peuplé de moqueries et de souffrances, il estime qu’évoquer les problèmes de vue pour justifier l’échec scolaire est une mauvaise excuse. « Il faut identifier son handicap et le dompter », recommande-t-il.
Bagarres
Pour Jean-Jacques Ndoudoumou, directeur général de l’Agence de régulation des marchés publics, cette anomalie génétique n’a pas non plus été un frein, même s’il admet qu’elle a souvent été invalidante. À l’école, se lever continuellement pour lire au tableau lui a valu bien des noms d’oiseaux de la part de ses camarades, qu’il gênait. Il dit ne plus se souvenir du nombre de bagarres qu’il a dû livrer dans la cour de récréation. Désigné en 2001 pour combattre la corruption, moraliser le secteur des marchés publics et coordonner des actions de bonne gouvernance, cet administrateur civil de 57 ans est passé par divers cabinets ministériels. Il jure qu’il y avait toujours une certaine condescendance dans le regard de ses collègues, persuadés qu’il cachait des tares et avait forcément besoin d’aide pour accomplir certaines tâches. Chef traditionnel de Mvoutessi 1 (120 km au sud de Yaoundé), il s’amuse des marques d’étonnement des participants aux réunions qu’il préside. « Très peu de nos concitoyens conçoivent qu’un albinos puisse se trouver à un tel niveau de responsabilités. »
Idées reçues : de la plus courante à la plus aberrante !
• L’albinisme est une maladie contagieuse
• Les albinos sont généralement le fruit d’une relation adultère entre une femme noire et un homme blanc
• Ils ne meurent jamais, mais s’évanouissent dans la nature
• En cas d’éruption volcanique, seul le sang des albinos peut calmer le dieu de la Montagne (Cameroun)
• Être en possession d’une partie du corps d’un albinos procure richesse et bonheur (Tanzanie).
Jean-Jacques Ndoudoumou a tiré parti de son poste pour mener sa croisade pour l’insertion des albinos. Avec fierté, il cite tous « ses jeunes », devenus médecins, ingénieurs ou universitaires. Son Association mondiale pour la défense des intérêts et la solidarité des albinos, l’Asmodisa, reçoit de l’État une subvention annuelle de 1 million de F CFA (1 525 euros). « C’est déjà ça », déclare-t-il, philosophe, préférant insister sur les partenariats créés avec les professionnels de santé, notamment en dermatologie et en pharmacie, ce qui permet aux membres d’obtenir certains produits à des taux préférentiels.
Mais ses multiples casquettes, dont celles de président du Comité national paralympique du Cameroun et de propriétaire de chorale souvent en concert, poussent ses détracteurs à douter de sa capacité à traquer le crime économique.
Vitamine C
Jean-Jacques Ndoudoumou fait fi des critiques. Il vante ses méthodes de travail et regrette simplement de n’avoir jamais rencontré ces albinos qui ont fait leur chemin en politique, Thierry Moungalla par exemple, ministre congolais des Postes et Télécommunications. Ou encore le député tanzanien Saloum Khalfani Bar’wani, dont l’entrée au Parlement en octobre 2010 avait fait l’effet d’une bombe. Il était le premier albinos élu en Tanzanie, pays qui affiche l’un des plus forts taux de prévalence (un albinos pour 1 429 habitants, contre un sur 20 000 en moyenne dans le monde) et d’incompréhension : régulièrement, des albinos y sont tués (62 depuis 2008, dont 16 atrocement mutilés). À 51 ans, ce membre du comité exécutif central du Civic United Front (CUF), l’un des deux principaux partis d’opposit
ion, s’était même payé le luxe de battre le candidat du parti au pouvoir lors des élections générales. Certains de ses adversaires affirmaient par exemple que les albinos n’absorbant pas assez de vitamine C, ils ne peuvent penser clairement. Saloum Khalfani Bar’wani perçoit néanmoins sa victoire comme un ras-le-bol à l’égard des meurtres d’albinos, mais affirme qu’il n’en a pas fait un argument de campagne.
Thierry Moungalla, ministre congolais des Postes et Télécommunications. (Crédit : Vincent Fournier pour J.A)
Bar’wani fait la fierté des siens, dont Bernard Membe, ministre des Affaires étrangères originaire, comme lui, de la région pauvre de Lindi. Ou Ernest Kimaya, président de l’Association tanzanienne des albinos. Son cheval de bataille : la défense de leurs droits et la fin des persécutions dans tout l’Est africain.
La carrière politique, où priment l’image et la séduction, est évidemment loin d’être aisée pour les albinos. Thierry Moungalla admet ainsi une certaine appréhension à ses débuts, il y a une dizaine d’années. Mais à sa grande surprise, lorsque ses adversaires l’attaquaient sur son albinisme, cela ne le desservait pas, bien au contraire. Issu d’un milieu favorisé et protégé, il dit bien vivre son albinisme grâce à l’amour dont il a été entouré. « Si de bonnes conditions de vie sont assurées, notamment pour ce qui est de la vue, nous n’avons aucune raison, nous autres albinos, d’être considérés comme moins brillants. » Élu député du 7e arrondissement de Brazzaville en 2007, nommé ministre quatre mois plus tard, il se dit fortement impressionné par les actions de Salif Keita dans le cadre de sa fondation, et serait même disponible pour en animer la branche congolaise. « En le regardant, j’ai eu la preuve frappante que le talent et les compétences triomphaient toujours des préjugés. »
Peau
Sans être aussi connue que Keita, Annick Mokto exerce elle aussi ses talents au niveau mondial. La fondatrice de l’association Écran total a en effet organisé la première rencontre internationale sur le sujet, à Bruxelles, en avril 2011. Ce qui impressionne chez cette étudiante (elle a interrompu sa scolarité en classe de troisième avant de la reprendre à Bruxelles dix ans plus tard à la Ligue Braille, un institut pour aveugles et malvoyants), c’est son énergie, sa capacité à intéresser les gens sur tous les continents. « Hélas, en Afrique, les enseignants ne sont pas suffisamment formés pour appréhender toute notre singularité. » Dans sa famille, la couleur de sa peau était un sujet tabou. Alors, son truc à elle, c’est libérer la parole : informer le public, les parents d’albinos et les albinos eux-mêmes, car « ne pas savoir pourquoi on est différent est déjà, en soi, une souffrance ».
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