RDC : l’Église divisée face au bras de fer Kabila-Tshisekedi
Le 12 décembre, l’archevêque de Kinshasa a mis en doute la crédibilité des résultats de la présidentielle congolaise, contre l’avis de sa hiérarchie. Et mis en lumière les divisions de l’Église catholique de RDC.
Appauvrie, divisée, l’Église catholique congolaise a bien du mal à parler d’une seule voix. La preuve : la cacophonie ambiante, depuis le 4 décembre dernier. Ce jour-là, alors que les premières contestations des résultats partiels de la présidentielle du 28 novembre annoncés par la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) se font entendre, la Conférence épiscopale nationale du Congo (Cenco) publie une déclaration. Les évêques parlent de leurs 30 000 observateurs électoraux déployés « sur une bonne partie de l’étendue du territoire congolais », mais qui n’ont pu couvrir que « 23,9 % des bureaux prévus ». Ils relèvent « des irrégularités, des tentatives de fraude et des violences ». Les choses n’en restent pas là.
Le 12 décembre, le cardinal Laurent Monsengwo Pasinya, archevêque de Kinshasa, monte au créneau. Se basant sur des résultats rendus publics par la Ceni trois jours plus tôt, il met en doute la crédibilité du scrutin et estime que les résultats publiés ne sont pas « conformes à la vérité et à la justice ». Il recommande « aux contestataires d’interjeter appel et de recourir aux voies de droit ». Or, le 4 décembre, Mgr Nicolas Djomo, évêque de Tshumbe et président de la Conférence épiscopale, avait clairement indiqué que l’Église de RDC n’avait pas pour rôle de publier des résultats.
Sous Mobutu déjà, une relation avec des hauts et des bas
Les passes d’armes entre les cardinaux et le pouvoir ne datent pas d’aujourd’hui. La plus célèbre des batailles a opposé, de 1972 à 1975, le président du Zaïre, Mobutu Sese Seko, au cardinal Malula. Pomme de discorde : la politique du retour à l’authenticité prônée par Mobutu. La querelle atteint son point culminant lorsque le chef de l’État, en voyage à l’étranger en février 1972, décide que le prélat doit quitter le pays avant son retour. Malula doit alors s’exiler pendant trois mois au Vatican. Ce qui n’empêchera pas une réconciliation entre les deux hommes. Lors de son jubilé, en 1984, le cardinal annonça publiquement avoir reçu un généreux cadeau de Mobutu. Quant au cardinal Etsou, successeur de Malula, il avait mis en doute la crédibilité des résultats du second tour de la présidentielle de 2006, remportée par Kabila face à Jean-Pierre Bemba.
Les déclarations de Monsengwo ont deux conséquences. D’abord, elles lui attirent les foudres du pouvoir, comme ce fut déjà le cas en février lorsqu’il avait dénoncé la révision de la Constitution ayant débouché sur le principe d’une présidentielle à un seul tour. Ensuite, Monsengwo se retrouve isolé dans la mesure où la Conférence épiscopale ne le soutient pas publiquement. Pour Aubin Minaku, secrétaire général de la majorité présidentielle, le primat n’a eu que ce qu’il méritait. « Je reste convaincu que l’Église catholique peut jouer un rôle dans ce pays, notamment en matière d’éducation civique, reconnaît-il. Mais en période électorale, elle doit se contenter de prodiguer des conseils neutres. La position du cardinal Monsengwo est partisane. »
Le politologue Mwayila Tshiyembe voit dans les différentes déclarations de l’archevêque de Kinshasa plus qu’un simple coup de gueule. Selon lui, le prélat veut « rester dans l’Histoire comme garant de la légalité, après être passé à côté du dialogue intercongolais au début des années 2000. Il veut se réapproprier les idées et le combat de la Conférence nationale souveraine de 1992, qu’il avait dirigée. »
Mamelles du pouvoir
Sur cette question du manque de transparence de l’élection du 28 novembre, l’Église a montré son visage habituel : celui de la division. L’abbé José Mpundu en est conscient. Curé, doyen d’une paroisse à Matete, une commune populaire de Kinshasa, il ne mâche pas ses mots : « La hiérarchie de l’Église a toujours été du côté du pouvoir. Les loups ne se mangent pas entre eux. » Évoquant le processus électoral, l’abbé Mpundu déplore le « manque d’organisation et d’efficacité » de l’Église, qui n’a mobilisé « que » 30 000 observateurs alors qu’il y avait plus de 60 000 bureaux de vote. Pourtant, souligne-t-il, vu sa très large implantation à travers le pays, elle aurait dû être présente partout. Un autre prêtre, l’abbé Richard Mugaruka, professeur aux Facultés catholiques de Kinshasa, abonde dans le même sens : « La Conférence épiscopale a fait des déclarations sans aucune stratégie de communication, soutient-il. La seule conclusion à tirer, après le constat du mauvais déroulement de l’élection, aurait dû être l’invalidation et l’annulation. Quant au cardinal Monsengwo, il a personnalisé le débat. S’il avait mis ses propos dans la bouche du bas clergé, qui côtoie au quotidien les 70 % des Congolais qui souffrent, ils auraient eu un autre retentissement. »
Les divisions au sein de l’Église catholique se traduisent, concrètement, par une rupture de fait entre le haut et le bas clergé, ce dernier accusant le premier d’être nourri aux « mamelles du pouvoir ». Les évêques, dans un contexte de pauvreté extrême, choisissent ce qui peut assurer leur survie. Transformés par la force des choses en présidents-directeurs généraux sans base, beaucoup posent des actes individuels sans recourir à une base qu’ils ne maîtrisent plus tout à fait. Selon l’abbé Mugaruka, cette Église, devenue la « propriété privée d’une cinquantaine de personnes », souffre des mêmes maux que le reste du pays : tribalisme, corruption, mauvaise gouvernance, impunité… Et elle a hérité des pratiques coloniales qui la rendaient très proche de l’administration et des milieux d’affaires. S’il admet que l’Église catholique congolaise aspire au changement, il constate un manque d’idées fortes pour une action digne de ce nom. Richard Mugaruka signale un autre aspect dont on ne parle pas assez : la révocation pour mauvaise conduite ces dernières années, par le Saint-Siège, d’une dizaine d’évêques congolais.
Ouailles
Il fut une époque où l’Église était en mesure de suppléer les carences du gouvernement en menant des actions sociales. Aujourd’hui, la paupérisation est telle qu’elle n’est plus capable de jouer ce rôle. C’est la conséquence du départ des différentes congrégations étrangères qui la finançaient et de l’apparition de nombreuses organisations non gouvernementales. Cela réduit l’impact de son discours sur les ouailles. D’où, peut-être, une perte de crédibilité qui fait le bonheur, depuis plusieurs années, des Églises évangéliques.
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