Idrissa Seck : « Mon seul problème, c’est Abdoulaye Wade »

Bis repetita. En avril, Idrissa Seck, l’ex-Premier ministre sénégalais a de nouveau été exclu du parti au pouvoir. Et il sera de nouveau candidat à la présidentielle, le 26 février. Autrefois très proche du chef de l’État, il promet de le battre dans les urnes.

L’ex-Premier ministre sénégalais Idrissa Seck le 12 janvier 2009 à Dakar. © AFP

L’ex-Premier ministre sénégalais Idrissa Seck le 12 janvier 2009 à Dakar. © AFP

ANNE-KAPPES-GRANGE_2024

Publié le 10 janvier 2012 Lecture : 9 minutes.

La prison, a-t-il longtemps répété, est un raccourci vers le Palais. Les sept mois qu’Idrissa Seck a passés dans sa cellule de Rebeuss, entre 2005 et 2006, à l’époque où il était accusé de détournement de fonds et d’atteinte à la sûreté de l’État dans l’affaire des chantiers de Thiès, lui ont permis de se forger une image de martyr, il en est convaincu, et d’arriver deuxième à l’élection présidentielle sénégalaise de 2007 (avec 14,9 % des suffrages). Idrissa Seck, 52 ans, n’a jamais fait mystère de ses ambitions. Le 26 février prochain, il compte bien bouter Abdoulaye Wade, 85 ans, hors de la présidence.

Elle est loin l’époque où le chef de l’État ne tarissait pas d’éloges sur « ce jeune homme doué » originaire de Thiès, tantôt beau parleur, tantôt tonitruant, mais toujours « doté d’une capacité d’analyse hors du commun ». Lui, l’ex-Premier ministre (de novembre 2002 à avril 2004), dit ne pas avoir d’amertume envers son ancien mentor. Au siège dakarois de son parti, Rewmi, il est précis, concentré. Toujours avare de paroles, mais avec la formule choc, il attaque les ambitions supposées de Karim Wade – l’autre fils, le vrai – et s’agace de la comparaison avec Macky Sall, autre candidat à la présidentielle, autre ancien chef du gouvernement, autre déçu du Parti démocratique sénégalais (PDS, au pouvoir).

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À Dakar, certains l’ont affublé du surnom de « girouette » en référence à son exclusion du parti (2005), à son retour (2009) puis à sa nouvelle exclusion (2011). Lui proteste, jure qu’il est resté fidèle aux valeurs libérales et que son seul problème, c’est… Abdoulaye Wade.

Jeune Afrique : Vous êtes candidat, mais vous étiez, mi-décembre, au congrès d’investiture d’un autre prétendant au fauteuil présidentiel : Macky Sall. Pourquoi ?

Idrissa Seck : Parce qu’il m’a invité et que, au-delà des divergences qu’on a pu avoir dans le passé, nous sommes tous les deux déterminés à faire partir le président Wade.

N’était-ce pas une provocation à l’égard d’un rival que l’on donne, pour l’instant, parmi les favoris ?

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J’ai mieux à faire. En outre, j’ai déjà dit que j’avais pardonné à Macky Sall le rôle qu’il avait joué dans le complot d’État qui a été organisé contre moi alors qu’il était Premier ministre. À l’époque, il a pu penser qu’il en serait le bénéficiaire, mais il s’est trompé et a été victime du même complot. Il a fini par comprendre que Wade ne travaillait que pour une seule personne : son fils.

Fin novembre, vous vous êtes montré offensif à son égard, allant jusqu’à lui demander de « rendre des comptes » sur la gestion de plusieurs milliards de francs CFA versés par Taiwan lorsqu’il était aux affaires…

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Qui dit bonne gouvernance dit obligation de rendre des comptes. Trouvez-vous normal que des gens qui ont eu à gérer des sommes colossales n’aient pas reçu la visite d’un inspecteur général d’État ? Rendre des comptes, dans une entreprise comme dans un pays, cela se fait. Il n’y a que chez nous que l’on se sent agressé dans ces cas-là. Mais pourquoi ? Si on n’a rien fait, on ne s’énerve pas, on s’explique. Point.

Vos parcours, à Macky Sall et à vous, présentent un certain nombre de similitudes… Vos candidatures ne sont-elles pas redondantes ?

J’ai une communauté de destin avec le Sénégal, pas avec Macky Sall. Ce qui m’intéresse moi, c’est qu’un Sénégalais sur deux vit au-dessous du seuil de pauvreté. Qu’un Sénégalais sur deux est au chômage. Que l’espérance de vie n’atteint pas 60 ans. Voilà des faits extrêmement précis que je ne perçois pas qu’à travers des statistiques. J’ai vu ma mère porter le toit de notre case, par jour de pluie, pour qu’il ne s’écroule pas sur ses enfants. J’ai vu mes parents se saigner pour ma santé et pour mon éducation. Et ce que je suis devenu par la suite est le résultat de l’effort de ces gens-là. Aujourd’hui, ce parcours exceptionnel, je le veux pour chaque Sénégalais. C’est cela qui retient mon attention, pas une comparaison avec Macky Sall.

Dans l’hypothèse d’un second tour, pourriez-vous vous unir avec d’autres candidats pour battre Abdoulaye Wade ?

J’ai déjà dit clairement, et sans attendre de négociations, que quel que soit le candidat de l’opposition qui se trouvera en face du représentant issu du camp présidentiel, il aura mon soutien.

L’opposition est très divisée. Ne risque-t-on pas d’avoir un scrutin à un seul tour ?

Non, parce qu’il est impossible que Wade passe dès le premier tour. En juin dernier, si le pouvoir a tenté de réviser la Constitution et de permettre qu’un candidat soit élu avec seulement 25 % des suffrages exprimés, c’est bien parce que le président avait compris qu’il ne pouvait pas avoir la majorité.

L’opposition n’avait-elle pas la même certitude en 2007 ?

Les résultats de 2007 correspondaient à une réalité de terrain et je n’ai pas été surpris. Mais regardez : en 2007, le chef de l’État avait réuni 1,9 million de suffrages. Deux ans plus tard, aux élections locales de 2009, sa coalition ne rassemble plus que 1,1 million de voix. Cela veut dire que, dans l’intervalle, presque un électeur sur deux qui avait voté pour lui l’a abandonné. L’autre facteur qu’il faut prendre en compte, c’est que, à toutes les élections depuis 1993, les deux candidats arrivés en tête ont toujours totalisé plus de 75 % des suffrages. Cela veut dire que même si les candidats sont nombreux, et quand bien même ils seraient une cinquantaine, l’électorat, lui, ne se disperse pas.

Le projet de dévolution monarchique du pouvoir que vous dénoncez a-t-il encore une réalité ?

C’est une évidence. Wade l’a déclaré au quotidien La Croix [édition du 22 juillet 2011, NDLR] : cela ne lui déplairait pas de voir son fils président de la République après sa mort. C’est un projet né il y a longtemps et qui n’a pas changé, même après que Karim Wade a échoué à prendre la mairie de Dakar, en 2009.

Avez-vous des doutes quant à la transparence du scrutin présidentiel ?

Non. Le pouvoir n’a aucune possibilité de frauder.

Aucun doute non plus quant à l’indépendance du Conseil constitutionnel, chargé de se prononcer sur la validité de la candidature de Wade ?

Ça, c’est le vrai sujet. Si les juges disent le droit, ils doivent dire que Wade ne peut pas être candidat. S’ils ne le font pas, ils perdront toute crédibilité.

Faut-il craindre des violences si le Conseil validait la candidature présidentielle ?

Si le président persiste dans sa volonté de violer la Constitution, il y aura risque de violence.

Appellerez-vous, le cas échéant, vos militants à sortir dans la rue ?

J’appellerai mes militants à s’opposer à toute violation de la Constitution.

Quelles sont vos relations avec Abdoulaye Wade ?

Inexistantes. Je n’ai plus aucun contact, direct ou indirect, avec lui.

Vous avez longtemps été son homme de confiance, un deuxième fils, en quelque sorte, avant d’être jeté en prison. Que ressent-on dans ces cas-là ?

On est d’abord surpris. Quand j’ai quitté la primature, le 22 avril 2004, il m’a écrit une lettre dithyrambique, la plus belle lettre que j’aie jamais reçue. Les mois passent, je reste numéro deux du parti. En décembre 2004, nous avons toujours de bonnes relations. Et en juin 2005, le complot démarre pour m’écarter et installer le fils biologique…

Avez-vous le sentiment d’avoir été trahi dans votre affection pour le chef de l’État ?

Non, j’éprouve de la pitié pour lui. Il avait le potentiel pour être un dirigeant africain exceptionnel. Il a été très bien élu. Il n’y a presque pas eu de troubles à l’ordre public pendant son premier mandat : aucune manifestation, une adhésion populaire exceptionnelle… Il avait de très bonnes idées. Mais tout cela s’est évaporé, son leadership a été fissuré par ce projet insensé de dévolution monarchique d’un pouvoir pourtant conquis de haute lutte, par la voix démocratique.

C’est l’amertume qui vous fait parler ?

Non. C’est le même type de sentiment qu’a dû éprouver le général de Gaulle, qui connut Philippe Pétain en colonel vigoureux et intelligent à Arras, puis en héros à Verdun, et qu’il a vu, vieillard à Vichy, déshonorer la France. J’ai vu Wade opposant exceptionnel, avec des idées novatrices, je l’ai vu commencer par être un bon président… C’est après que tout a changé.

Pourriez-vous retravailler pour lui ?

C’est exclu.

Vous avez pourtant déjà fait des allers-retours dans le passé…

Il y en a eu un, il n’y en aura pas deux. Et puis ce n’était pas à proprement parler un aller-retour. Il faut me faire justice : je suis resté fidèle au PDS. J’en ai été exclu, mais je ne l’ai jamais quitté. Quand l’opportunité m’a été offerte de revenir, je suis revenu, mais toujours en conformité avec les valeurs que je défendais.

Vous êtes tidjane. Comptez-vous sur des soutiens dans les communautés religieuses ?

Je suis musulman et j’ai des soutiens de taille dans toutes les communautés. Mais cette année, il n’y aura pas de ndiguël [consigne de vote des chefs religieux], et c’est le signe que tout peut changer.

Vous êtes critique à l’égard du bilan de Wade, un bilan dont vous êtes en partie comptable en tant qu’ancien Premier ministre. Qu’auriez-vous fait différemment ?

Je me serais occupé des gens plus que de mon prestige personnel. Au lieu de dépenser des centaines de milliards de francs CFA sur une corniche qui relie le palais de la République à l’aéroport, j’aurais désenclavé la Casamance, le grenier du Sénégal. J’aurais désenclavé la vallée du fleuve Sénégal, je me serais attaché à compléter le réseau hydrographique, je me serais intéressé à tous les villages qui n’ont pas d’eau potable, de salle de classe, de poste de santé et ne serait-ce qu’une piste qui les relie au reste du pays… La priorité, ce n’était pas les grands travaux, c’était de s’occuper des gens, de leur trouver du travail.

Comment relance-t-on l’emploi au Sénégal ?

Par l’agriculture. Près de 70 % des Sénégalais travaillent dans le secteur, mais 10 % du produit intérieur brut seulement en provient. Voilà le gap qu’il faut corriger. Chaque année, nous dépensons 211 milliards de F CFA pour importer du riz, 63 milliards pour importer du blé, 12 milliards pour importer du maïs… Voilà près de 300 milliards qui auraient pu être des revenus pour les paysans sénégalais. Nous avons 240 000 hectares de terres au bord du fleuve Sénégal. Seuls 60 000 sont exploités et aménagés. C’est par là qu’il faut commencer.

À propos de la Casamance : il y a eu ces dernières semaines plusieurs attaques meurtrières alors que Wade avait fait du dossier sa grande priorité. Qu’est-ce qui n’a pas fonctionné ?

Il ne fallait pas écarter les Gambiens et les Bissau-Guinéens des discussions. Où pensez-vous que les rebelles soient ? Ce n’est pas de la géostratégie, c’est de la géographie.

Mais la rébellion casamançaise est éclatée et, à la décharge du chef de l’état, il est difficile d’avoir un interlocuteur unique…

Ce n’est pas un argument. On sait parfaitement avec qui on parle. On sait combien de camps il y a, on sait qui les dirige, on sait où ils sont. La question, c’est d’avoir la crédibilité d’un plan et d’impliquer la sous-région. Surtout, il faut redonner le sentiment aux populations de Casamance que c’est pour elles que l’on cherche une solution. Et c’est là que l’on revient au problème de l’enclavement de la région. Comment faire si on a des difficultés à traverser la Gambie, si on n’a pas une voie maritime fonctionnelle, si on n’a pas un accès ferroviaire ou routier… Unifions notre territoire avant de faire des toboggans sur la corniche !

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Propos recueillis à Dakar par Anne Kappès-Grangé.

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