Génocide arménien : entre la France et la Turquie, toute une Histoire…
L’adoption par l’Assemblée nationale française d’une loi pénalisant la négation du génocide arménien a provoqué la fureur de la Turquie. Et des conséquences non négligeables sur les relations économiques des deux pays…
Recep Tayyip Erdogan n’y est pas allé par quatre chemins. Après que les députés français ont adopté, le 22 décembre, une proposition de loi sanctionnant d’un an de prison et de 45 000 euros d’amende toute personne qui nierait l’existence d’un génocide – en l’occurrence celui des Arméniens (500 000 à 1,5 million de morts entre 1915 et 1917), dont Ankara conteste la qualification et l’ampleur –, le Premier ministre turc a renvoyé la France à son propre passé colonial. « Génocidaire », puisqu’il a abouti « à la mort de 15 % de la population algérienne entre 1945 et 1962, et au massacre de plus de 800 000 Rwandais en 1994 ».
Cette loi (déjà votée par l’Assemblée nationale en 2006, avant d’être rejetée par le Sénat en mai dernier) ne fait en réalité que compléter celle du 29 janvier 2001 marquant la reconnaissance du génocide arménien. Mais Erdogan se montre d’autant plus virulent qu’il a le soutien de l’état-major, des principaux partis d’opposition, des milieux d’affaires et même d’éminents représentants de la communauté arménienne de Turquie, qui refusent que cette douloureuse question fasse l’objet d’une exploitation politique.
Brouille
Dans les jours qui ont précédé le vote, deux délégations turques, l’une composée de députés, l’autre de représentants du patronat, s’étaient rendues à Paris pour faire pression sur le gouvernement afin qu’il retire ce texte de l’ordre du jour de l’Assemblée, ainsi que sur les députés et sur les patrons français inquiets des conséquences de cette brouille. Volkan Bozkir, président de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée de Turquie, et Osman Korütürk, député d’opposition et ancien ambassadeur en France, avaient notamment rencontré Alain Juppé et Jean-David Levitte, le conseiller diplomatique de Nicolas Sarkozy.
Bien que la proposition de loi émane d’une députée UMP des Bouches-du-Rhône (où vit une importante communauté arménienne) et qu’elle ait aussi été votée par les socialistes, elle passe pour « téléguidée » par le chef de l’État. Les Turcs accusent Sarkozy de chercher les suffrages des 500 000 Arméniens de France en vue de la présidentielle de 2012, de complaire aux électeurs du Front national en manifestant une nouvelle fois son hostilité à la candidature d’Ankara à l’Union européenne et – suprême affront – d’avoir refusé de répondre au coup de fil du président Abdullah Gül.
Résultat : la Turquie a rappelé son ambassadeur pour consultation et suspendu toute coopération politique et militaire avec la France. Elle souligne aussi que les échanges commerciaux (12 milliards d’euros en 2010) et les 960 entreprises françaises installées en Turquie (parmi lesquelles Renault, Peugeot, Carrefour, Danone, Lafarge, Alcatel, BNP Paribas…) pourraient pâtir de ce coup de froid. Comme en 2001, Ankara n’exclut pas le boycottage de produits français, l’annulation de contrats (Turkish Airlines projette l’achat de plusieurs Airbus) ou l’éviction d’entreprises lors de passations de marchés publics. La bataille n’est pas finie, puisque le Sénat devrait se prononcer à son tour sur ce texte, ce qu’il ne fera probablement pas avant la présidentielle d’avril-mai 2012…
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