RFI-France 24 : ondes de fronde

Grève à Radio France Internationale pour contester la fusion avec la chaîne de télévision France 24, rapports financiers alarmants, querelles de chefs, les voix de la France dans le monde vivent une période de cacophonie.

Grève de salariés de Radio France internationale , le 16 juin 2009 à Paris. © AFP

Grève de salariés de Radio France internationale , le 16 juin 2009 à Paris. © AFP

Julien_Clemencot

Publié le 11 décembre 2011 Lecture : 4 minutes.

Inquiets, déçus, mais aussi combatifs, solidaires et déterminés : les salariés de Radio France Internationale (RFI) restent vent debout contre le projet de fusion avec la chaîne d’information France 24. En grève du 28 novembre au 12 décembre, le personnel de la radio livre un baroud d’honneur après des mois de discussion stérile avec sa direction, quitte à torpiller une antenne considérée par certains, en Afrique, comme un service public. « Le mouvement a été suspendu pour donner la priorité à des actions de communication. Il peut reprendre à tout moment », explique une source interne. L’an dernier, les équipes de RFI célébraient le cinquantenaire des indépendances africaines, aujourd’hui, elles refusent de voir la leur s’envoler. Pourtant, mi-janvier 2012, les instances de l’Audiovisuel extérieur de la France (AEF) – holding rassemblant les médias publics à vocation internationale – entérineront sans doute de manière définitive le rapprochement. Alors, en coulisses, les syndicats tentent d’arracher quelques garanties.

Face à la contestation, le patron de l’AEF, Alain de Pouzilhac, également président de France 24, garde le cap : « Cette fusion est une vraie nécessité. Elle n’a qu’un objectif : renforcer par la radio, la télévision et le multimédia l’influence de la France dans le monde. »

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Pour beaucoup de salariés, cette issue engendre de nombreuses inquiétudes. « Le projet est vide. Ni l’approche éditoriale ni l’organisation de la rédaction commune n’ont été étudiées », regrette Marc Tiebault, représentant du syndicat CFDT. L’élu dénonce un management du style « flingue sur la tempe » d’Alain de Pouzilhac. « La direction parle de produire une même émission pour la radio et la télévision, alors que ce sont deux médias différents. Sur un plateau de TV, vous ne présentez pas les gens chaque fois qu’ils prennent la parole ; à la radio, c’est indispensable. La seule chose qui compte, c’est de faire des économies », se désole un correspondant.

Angoisse

Certains reconnaissent néanmoins qu’il faudra contenir les dépenses et revoir le fonctionnement de la rédaction. Comme ailleurs en Europe : BBC World, ambassadeur de l’influence anglaise dans le monde, verra son budget baisser de 16 % (soit de 33 millions d’euros). « Pas à n’importe quel prix », rétorquent les salariés, minés par les 126 départs prévus pour 2012. « On nous dit que nous allons devoir travailler pour RFI et la télé, mais où va-t-on trouver le temps ? Nous ne voulons pas réduire notre niveau d’exigence », explique un reporter.

L’angoisse est d’autant plus forte que les cultures d’entreprise sont différentes. « France 24 oblige ses journalistes à l’étranger à créer leur propre société de production. La chaîne ne paie aucune cotisation, c’est très précaire », s’insurge Amélie Poinssot, en poste à Athènes pour RFI. Du côté de France 24, en revanche, l’indifférence domine. « Les journalistes sont plus préoccupés par la valse des directeurs que par le rapprochement. Tous les professionnels expérimentés quittent le navire, laissant les jeunes livrés à eux-mêmes », se lamente un salarié. Si la chaîne a bénéficié d’importants efforts financiers, ses chiffres d’audience – environ 30 millions de téléspectateurs cumulés – restent loin des 74 millions de BBC World News. Née en 2006, France 24 affronte la terrible concurrence d’Euronews, de la CCTV chinoise, d’Al-Jazira, de CNN… Et son manque d’expérience lui colle une image de média de deuxième division. Pour passer à la vitesse supérieure, la chaîne manque de moyens. Un constat connu des salariés de RFI, qui redoutent une gestion en faveur de France 24. Car, sur le plan économique, de nombreux arbitrages seront nécessaires.

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Dans un rapport publié début novembre, l’Inspection générale des finances (IGF) pointe « une zone d’incertitude budgétaire » – un risque de déficit – de 54,2 millions d’euros sur 2011-2013. Pas vraiment une surprise, l’AEF est un habitué de ce type de dérapage. En 2011, la rallonge de l’État dépassait de 100 millions d’euros le montant des subventions décidé en 2008 (l’État versant 365 millions d’euros à l’AEF). Ces dernières années, Alain de Pouzilhac a fait montre d’un manque de réalisme dans ses prévisions de recettes, revues par trois fois à la baisse. Bouclé en février dernier, son dernier plan d’affaires vise une progression des ressources de 135 % pour RFI et France 24. Certes, le montant ne serait pas mirobolant, 19 millions d’euros, comparable à celui de la Deutsche Welle en 2010 (15 millions d’euros). Mais la marche semble bien haute en période de crise… D’autant que, malgré le bond de l’audience hebdomadaire (+ 232 % entre 2007 et 2010), les revenus publicitaires n’ont augmenté que de 24 %. En outre, les économies annoncées laissent les inspecteurs incrédules. Moins 4,7 % sur les frais généraux en 2012 et moins 10 % en 2013, alors qu’aucune piste n’était définie pour atteindre ces objectifs en mai dernier.

Incurie

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Pour tenir le budget, l’IGF propose des solutions, comme l’abandon des ondes courtes et moyennes. Un crève-cœur pour RFI, qui perdrait à coup sûr une partie importante de son audience, notamment en Afrique, où réside la majorité de ses 36 millions d’auditeurs. Les conclusions des rapporteurs effraient aussi les salariés de TV5 – dont la fusion avec l’AEF est clairement souhaitée, au mépris des accords signés avec les partenaires suisse, belge et canadien.

La situation délicate de l’AEF incombe avant tout aux politiques et aux dissensions gauche/droite. À preuve, l’incurie du gouvernement Fillon qui a laissé dégénérer le conflit opposant Alain de Pouzilhac à son numéro deux, Christine Ockrent. Une « non-gestion » également caractérisée par le partage de la tutelle de l’AEF entre Matignon et le ministère de la Communication. L’année des révolutions arabes et de la crise ivoirienne, Alain Juppé, ministre des Affaires étrangères, a vivement regretté pareille ineptie – qui devrait être prochainement corrigée.

Et si les socialistes, à l’image de François Hollande, se mobilisent en faveur des salariés, on ne peut s’empêcher d’y voir un opportunisme de campagne. Une récupération qui n’empêchera pas le gouvernement désigné en 2012 de se poser les véritables questions. Par exemple, une chaîne d’information a-t-elle toujours un sens pour relayer l’influence française à l’heure d’internet ?

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