Union européenne : les Îles britanniques à la dérive

Lors du sommet de Bruxelles, David Cameron a opposé son veto à une refonte des traités fondateurs de l’Union européenne. C’est ainsi : le Royaume-Uni a toujours aimé le grand large. Mais rompre les amarres avec le continent n’est pas sans risques.

David Cameron arrivant au sommet européen de bruxelles, le 8 décembre 2011. © François Lenoir/Reuters

David Cameron arrivant au sommet européen de bruxelles, le 8 décembre 2011. © François Lenoir/Reuters

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 23 décembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Le Premier ministre britannique, David Cameron a appliqué à la lettre le mot de Winston Churchill : « Entre l’Europe et le grand large, l’Angleterre choisira toujours le grand large. » S’étant vu opposer par Angela Merkel et Nicolas Sarkozy une fin de non-recevoir à ses exigences lors du sommet européen de Bruxelles (8-9 décembre), il a mis son veto à l’accord prévoyant une refonte des traités fondateurs de l’Union européenne et de sa monnaie… qui aura tout de même lieu sans lui.

À l’évidence, ce « splendide isolement », selon l’expression utilisée au XIXe siècle pour caractériser la diplomatie britannique, ravit l’opinion, si l’on en croit un sondage effectué au lendemain de ce veto par l’institut Survation et publié par The Mail on Sunday : 62 % de ses compatriotes applaudissent la posture du chef du gouvernement, et 19 % la déplorent. Le même sondage confirme l’attrait des Britanniques, dont 48 % espèrent une sortie prochaine de l’Union européenne, pour le grand large.

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Comme il l’a déclaré le 12 décembre à la Chambre des communes, Cameron a refusé la menace que représentait pour le royaume une modification des traités européens – mais sans expliciter cette menace. En revanche, il a estimé que les garanties demandées à ses partenaires concernant les services financiers étaient « modestes, raisonnables et appropriées ». Les élus conservateurs ont applaudi à tout rompre son combat de « bulldog » pour « protéger les intérêts britanniques ».

Lobby financier

La vérité, comme l’ancien ministre Jean-Pierre Jouyet, aujourd’hui président de l’Autorité française des marchés financiers, n’a pas manqué de le rappeler, est que Cameron a cédé à un « lobby financier ». C’est à la demande de la City, fleuron de l’économie britannique (elle représente 8 % du PIB), qu’il a tenté d’obtenir des libertés spéciales pour la place boursière de Londres, notamment l’abandon du projet de taxe sur les transactions financières et un droit de regard sur les régulations que mijotent Berlin et Paris pour empêcher une rechute dans la folie des subprimes et des « produits structurés » qui ont mis l’économie mondiale à genoux.

Sarkozy a estimé qu’accéder à ses demandes aurait fait du Royaume-Uni une « place offshore » au cœur de l’Europe. C’eût été une nouvelle mouture de la vieille tactique britannique consistant à profiter de la construction européenne tout en freinant son approfondissement et en s’abstenant de partager les fardeaux communs. Un pied dedans, un pied dehors.

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Autre raison de la position de Cameron : la rébellion fomentée, le 24 octobre, par les parlementaires conservateurs les plus eurosceptiques après le refus du gouvernement d’organiser le référendum qu’ils exigeaient sur l’adhésion à l’UE. Pour éviter une guérilla, il a préféré leur céder. Ce faisant, il s’est mis dans une situation délicate. Aucun autre État membre de l’UE ne l’a suivi. Même les plus réticents à l’égard de l’euro, comme le Danemark, et les plus proches des Britanniques, comme la Pologne, ont rejoint le projet franco-allemand.

Quel va être désormais le poids de Londres à Bruxelles ? Celui de la Suisse ? Cameron a martelé que « le Royaume-Uni demeure un membre à part entière de l’UE », mais il risque de subir des décisions sur lesquelles il aura peu de prise. Le commissaire européen Olli Rehn a prévenu que si le veto britannique « avait pour ambition d’empêcher les banquiers et le secteur financier de la City d’être réglementés, cela ne serait pas le cas ». Les Britanniques ne peuvent ni sortir de l’UE, avec laquelle ils réalisent 40 % de leurs échanges, ni rentrer dans l’euro, qu’ils exècrent.

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Sur le front intérieur, la coalition avec les libéraux-démocrates est fragilisée. Les « LibDem » sont des europhiles convaincus, et leur leader, le vice-Premier ministre Nick Clegg, est obligé de se livrer à des contorsions : en public, il estime que son allié a bien agi ; en privé, il redoute « l’isolement et la marginalisation du royaume ». La coalition peut-elle exploser ? Sans doute pas dans l’immédiat. Mais les travaillistes se sont moqués de l’absence de Clegg pendant le discours de Cameron au Parlement.

Pour autant, le couple Merkel-Sarkozy a-t-il eu raison de crier victoire ? La chancelière allemande s’est exclamée modestement : « Le monde entier va pouvoir constater que nous avons appris de nos erreurs passées. » Et le président français a claironné dans le quotidien Le Monde du 13 décembre : « Ce sommet marque une étape décisive vers l’intégration européenne ; à ce titre, il crée les conditions du rebond et de la sortie de crise. » Et, de fait, les avancées de l’accord de Bruxelles sont loin d’être négligeables.

Règle d’or

Les marchés redoutaient les déficits budgétaires européens ? Une « règle d’or » va être inscrite dans les Constitutions de tous les pays membres. Elle interdira à l’avenir que le déficit dépasse 3 % du PIB. Et que la dette en franchisse la barre des 60 %. Parmi les sanctions automatiques figurera une amende représentant 0,2 % du PIB pour tout pays visé par une procédure communautaire pour déficits excessifs.

Les marchés ne savaient pas qui pilotait l’économie communautaire ? Les Vingt-Six vont poser les bases d’un gouvernement économique en harmonisant leurs législations fiscales et sociales. Toutes les grandes réformes seront examinées en commun et, tant que durera la crise, les chefs d’État et de gouvernement se réuniront une fois par mois.

Les marchés étaient terrorisés par la perspective d’une faillite grecque ou espagnole ? Tout en refusant de racheter systématiquement la dette des pays en difficult­é, la Banque centrale européenne (BCE) a décidé d’offrir des fonds, à des prix très bas, aux établissements bancaires. Le Fonds européen de stabilité financière travaillera la main dans la main avec la BCE, et son successeur à compter de juillet 2013, le Mécanisme européen de stabilité, aura une capacité d’intervention de 500 milliards d’euros. L’Europe est-elle pour autant tirée d’affaire ? À long terme, peut-être ; à court terme, sûrement pas. D’ailleurs, la grosse voix des agences de notation a recommencé à se faire entendre. Moody’s, par exemple, estime qu’en l’absence de « mesures décisives », aucun pays n’était à l’abri d’une dégradation de sa note.

Et c’est reparti à la baisse, comme après chaque réunion pourtant déclarée « historique » par le couple Merkel-Sarkozy. Les Bourses ont dévissé, l’euro s’est affaissé et les taux des emprunts d’État ont repris leur ascension, signes que le sommet de Bruxelles n’a pas plus convaincu que les précédents.

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