Cameroun : le coach Biya joue la continuité

Prudence est une fois encore le maître mot du chef de l’État camerounais Paul Biya. Dans le remaniement ministériel que celui-ci a récemment opéré, pas de bouleversement. Les nouveaux ministres ne sont pas des inconnus, les alliances sont préservées et l’opposition reste à sa place. Analyse et portraits.

Pour son dernier mandat, Paul Biya veut soigner sa sortie, donc son bilan. © AFP/Seyllou

Pour son dernier mandat, Paul Biya veut soigner sa sortie, donc son bilan. © AFP/Seyllou

Clarisse GEORGES-DOUGUELI_2024

Publié le 27 décembre 2011 Lecture : 4 minutes.

Réélu à la présidence le 9 octobre dernier avec 77,9 % des suffrages camerounais, Paul Biya a attendu le 9 décembre pour remanier son gouvernement. Loin de l’ivresse des lendemains de victoire, ici jouée d’avance, et dans la solitude du joueur d’harmonium, le président camerounais a dévoilé l’équipe du Cameroun censée donner un nouveau souffle à un pays plongé dans l’immobilisme. Les discours de campagne n’annonçaient-ils pas une vague de chantiers et une offensive en règle contre la pauvreté ? Ceux qui ont cru y voir le signe annonciateur d’un vaste renouvellement ont de quoi être déçus. Comme à son habitude, Biya a bougé quelques pions sur son échiquier mais s’est bien gardé d’en bouleverser les grands équilibres fondamentaux. La prudence qui le caractérise a prévalu sur la tentation de la table rase.

La plupart des entrants ont déjà été membres de gouvernements précédents. Ismaël Bidoung Kpwatt (Jeunesse et Éducation civique), Philippe Mbarga Mboa (chargé de missions à la présidence), Pierre Moukoko Mbonjo (Relations extérieures, lire son portrait ici)… Quant au fidèle parmi les fidèles René Emmanuel Sadi (lire son portrait ici), après avoir placé ses hommes de confiance au sein de l’appareil du Rassemblement démocratique du peuple camerounais (RDPC), le voilà titulaire du portefeuille de l’Administration territoriale. À la clé, une mainmise sur les puissants leviers de l’État. De quoi donner des arguments à ceux qui le voient gagnant dans la course à la succession…

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L’autre réflexe classique qui a fonctionné est la préservation des alliances, dont celle qui lie le parti au pouvoir à l’Union nationale pour la démocratie et le progrès (UNDP), avec pour conséquence le maintien de Bello Bouba Maïgari au gouvernement comme ministre d’État chargé du Tourisme et des Loisirs. En revanche, l’ouverture à d’autres partis d’opposition n’a pas eu lieu. Pas de Social Democratic Front (SDF) de John Fru Ndi ni d’Alliance pour la démocratie et le développement (ADD) de Garga Haman Adji, en dépit de sa troisième place à la présidentielle. Il va également falloir compter sans Maurice Kamto, ministre délégué à la Justice, qui a démissionné par surprise le 30 novembre dernier pour des motifs encore non dévoilés.

Technocrates

Pour son ultime mandat, la volonté du chef de l’État est connue : soigner sa sortie, donc son bilan, et ainsi marquer de son empreinte l’histoire de son pays. Avec la priorité qui en découle : le développement économique, qui garantit la croissance, l’emploi et la paix sociale. D’où la relative percée des « technos », symbolisée par l’arrivée au ministère des Finances d’Alamine Ousmane Mey (lire son portrait ici). Équilibrer les comptes, faire entrer l’argent dans les caisses et investir opportunément, le banquier d’Afriland sait faire. Sur sa feuille de route également : calmer la mauvaise humeur des opérateurs économiques, qui apprécient modérément la création d’un tout nouveau ministère des Marchés publics rattaché à la présidence. « Je crains que cette centralisation ne complexifie davantage les procédures qui ne sont déjà pas fluides », s’inquiète un chef d’entreprise de Douala.

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Passé du ministère de l’Économie et de la Planification au secrétariat général des services du Premier ministre, Louis-Paul Motaze se retrouve au centre du dispositif mis en place pour faire avancer les chantiers du septennat. L’administrateur civil de 52 ans, entré au gouvernement en 2007, devient le principal collaborateur du Premier ministre reconduit, Philémon Yang. Ferdinand Ngoh Ngoh, le nouveau secrétaire général de la présidence, affiche lui aussi un profil de technocrate. Ce diplomate de 50 ans venu du ministère des Relations extérieures est proche de Martin Belinga Eboutou, tout-puissant directeur du cabinet civil du président.

Corruption

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Le deuxième défi du septennat est de poursuivre la lutte contre la corruption en donnant plus d’efficacité à la justice. Le retour de Laurent Esso (lire son portrait ici), en remplacement d’Amadou Ali (lire son portrait ici), magistrat de 69 ans, dans ce ministère qu’il avait déjà occupé entre septembre 1996 et mars 2000 peut être perçu comme une volonté d’accélérer des procédures qui s’enlisent. Au sommet de la pile de dossiers du nouveau garde des Sceaux : la liste des magistrats à nommer au sein du tout nouveau tribunal criminel spécial pour les crimes économiques, créé par une loi votée le 3 décembre dernier à l’Assemblée nationale. Cette nouvelle juridiction sera compétente pour juger « les infractions de détournements de deniers publics […] lorsque le préjudice est d’un montant minimum de 50 millions de F CFA (environ 76 000 d’euros) ».

Disgrâce

Enfin, Paul Biya a fait tomber en disgrâce certains de ses anciens ministres. Cité dans l’affaire de l’avion présidentiel Albatros et peut-être jugé trop ambitieux, Marafa Hamidou Yaya (lire son portrait ici) sort du gouvernement. Michel Zoah n’a pas résisté non plus aux piètres performances de la sélection nationale de football et aux scandales à répétition qui ternissent l’image des Lions indomptables et du pays. S’agissant de l’ancien ministre des Travaux publics Bernard Messengue Avom, il est limogé à la suite d’un rapport de la Commission nationale de lutte anticorruption (Conac), qui pointe des dysfonctionnements et détournements de fonds dans des projets routiers. Les Camerounais qui espéraient des changements plus radicaux peuvent toujours miser sur les législatives prévues en 2012…

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Par Georges Dougueli et Clarisse Juompan-Yakam

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