Présidentielle en RDC : autopsie d’un fiasco
Même si elles ne remettent pas forcément en question l’ordre d’arrivée des candidats, les irrégularités constatées lors de la présidentielle du 28 novembre en RDC sont telles qu’elles décrédibilisent l’ensemble du processus électoral. Et affectent la légitimité du vainqueur proclamé et investi président mardi 20 décembre : Joseph Kabila.
«Oui, 1 375 000 voix ont été perdues, c’est vrai, mais comme Joseph Kabila devance Étienne Tshisekedi de plus de 3 millions de voix, cela ne change pas le résultat », explique le plus naturellement du monde Daniel Ngoy Mulunda, le président de la Commission électorale nationale indépendante, la Ceni. En RDC, c’est comme ça. Tout le monde sait que les chiffres ne sont pas fiables. La Ceni elle-même le reconnaît. Mais, « en gros », Joseph Kabila a gagné. Ici, on compte les voix « au doigt mouillé ». C’est l’exception congolaise.
C’est au Katanga et dans le Bandundu que les résultats mis en ligne par la Ceni depuis le 9 décembre sont les plus incroyables. Au Katanga, le taux de participation atteint 69,6 %, soit 11 points de plus que la moyenne nationale, et Kabila écrase Tshisekedi : 89,9 % contre 7 %. « Pas crédible, affirme un observateur international. Tshisekedi ne peut pas plafonner à 221 000 voix dans une région où les Kasaïens [les gens de la même région que le vieil opposant, NDLR] en âge de voter représentent au moins 800 000 voix. » Dans certaines circonscriptions du Katanga, la fraude est grossière, et il suffit d’aller sur le site de la Ceni pour s’en rendre compte. Dans le territoire de Malemba-Nkulu (268 121 votants), le taux de participation est de 99,46 % – il n’y a donc aucun malade, aucune femme en couches –, et le candidat Kabila obtient… 100 % des voix. Pas 99,9 %, non. 100 % ! Les dix autres candidats ne recueillent aucune voix.
(Des manifestants affrontent la police congolaise au lendemain de la réélection de Joseph Kabila)
Copyright AFP
Dans le Bandundu, Kabila est aussi très loin devant Tshisekedi : 73,4 % contre 19,5 %. Or, au second tour de la présidentielle de 2006, le même Kabila n’avait obtenu que 39,4 % des voix [face à Bemba]. « À l’époque, se rappelle un fin connaisseur du Congo, le Palu [Parti lumumbiste] de Gizenga était fort dans cette province et avait appelé à voter Kabila. Aujourd’hui, le Palu est divisé et affaibli par la gestion du Premier ministre Muzito. Je me demande bien par quel miracle Kabila a réussi à doubler son score. »
Introuvables
En revanche, au Kasaï, la région d’origine de Tshisekedi, le taux de participation est inférieur à la moyenne nationale de 58,8 % : 50,6 % au Kasaï-Occidental et 54,1 % au Kasaï-Oriental. Comme dit le Centre Carter, l’ONG américaine spécialisée dans l’observation électorale, « au Kasaï-Oriental, Tshisekedi obtient plus de 90 % des voix dans neuf centres locaux de compilation des résultats (CLCR), mais le taux de participation est nettement en dessous de la moyenne nationale ». Et à Mbuji-Mayi, le chef-lieu du Kasaï-Oriental, les procès-verbaux de 122 bureaux de vote (16 % des bureaux) sont introuvables. Pas de chance… À Kinshasa, autre fief de l’opposition, ce sont carrément près de 2 000 bureaux de vote dont les PV ont été perdus – ce qui représente 350 000 voix. « En brousse, on peut comprendre, dit notre observateur, mais dans la capitale… »
Comment s’explique le faible taux de participation dans les fiefs de Tshisekedi ? « Par les actes de violence », dit le président de la Ceni. « Au Kasaï, on attaque les bureaux de vote, les électeurs fuient, ils ne vont pas voter, et on dit que c’est la faute de la Ceni », s’offusque Daniel Ngoy Mulunda. Il est vrai que, dans certaines localités, les partisans de Tshisekedi ont menacé les agents de la Ceni et tenté eux aussi de bourrer les urnes. Et le taux de participation très élevé sur les terres de Kabila ? « C’est parce que les partisans du chef de l’État se sont organisés ». Et Ngoy Mulunda de conclure, d’un ton définitif : « La déclaration du Centre Carter se base sur une observation faite dans un nombre limité de CLCR, 25 sur 169. Elle est nulle et sans effet. » Rideau.
Selon les résultats provisoires de la Ceni, sur le plan national, Kabila a obtenu 48,9 % des voix, et Tshisekedi 32,3 %. Les irrégularités multiples de ce scrutin peuvent-elles avoir modifié l’ordre d’arrivée des candidats ? C’est bien sûr la question clé. Le Centre Carter : « Nos constatations ne signifient pas que l’ordre final des candidats soit nécessairement différent de celui annoncé par la Ceni. » La mission des observateurs de l’Union européenne (UE) : « Cette question n’entre pas dans le cadre de notre mandat. » Bref, chez les observateurs internationaux, on ne prend pas trop de risques. Mais on invite le lecteur à regarder de plus près le communiqué de l’UE et à en tirer lui-même ses conclusions.
Main lourde
Que dit ce rapport ? L’élection présidentielle n’a été transparente à aucun stade du processus de dépouillement. D’abord – et peut-être surtout – au niveau des quelque 63 000 bureaux de vote. La Ceni a bien publié sur CD les résultats bureau par bureau. Mais pas le scan des 63 000 procès-verbaux établis et affichés le soir du 28 novembre. Non. En réalité, elle a publié la saisie informatisée de ces PV. Or cette saisie n’a pas été faite sur place. Elle a été réalisée quelques jours plus tard au sein des 169 centres de compilation – les fameux CLCR –, et « parfois sans témoins », précise la mission de l’UE. Et les observateurs européens d’enfoncer le clou : « Plusieurs résultats de bureaux de vote rendus publics le soir du dépouillement et observés par nos équipes sur le terrain, notamment à Lubumbashi, ne correspondent pas à ceux publiés par la Ceni. » On comprend mieux comment le candidat Kabila a pu obtenir 100 % des voix dans le territoire de Malemba-Nkulu. Certains opérateurs de saisie ont eu la main lourde…
Au niveau de ces 169 centres de compilation, justement, beaucoup d’opérations se sont faites à huis clos. Au Katanga, au Sud-Kivu, en Province-Orientale et à Kinshasa, les observateurs européens et les témoins des candidats ont été empêchés d’assister à l’ensemble des travaux de compilation. À Lubumbashi et Kinshasa, des observateurs du Centre Carter ont surpris des chefs de CLCR en train d’expliquer à leurs équipes qu’il ne fallait leur donner aucune information.
Plus édifiant encore, à Lubumbashi (Katanga), Goma (Nord-Kivu), Kisangani (Province-Orientale), Mbandaka (Équateur), Mbanza-Ngungu (Bas-Congo) et Kinshasa, le bureau national de la Ceni a demandé aux chefs de centres de compilation de ne pas afficher immédiatement les résultats de leurs travaux, comme le prévoit pourtant la loi électorale. La Ceni a exigé que ces résultats compilés soient d’abord envoyés à son siège de Kinshasa pour « un contrôle de cohérence ». Bref, les multiples entraves à la transparence ne sont pas venues seulement de petits chefs locaux…
Preuve que les ordres venaient d’en haut : les témoins congolais et les observateurs internationaux n’ont pas eu accès au saint des saints, le Centre national de traitement (CNT), installé dans l’immeuble de la Ceni, boulevard du 30-Juin, à Kinshasa. C’est là que les résultats compilés des 169 CLCR ont été reçus et vérifiés. Aucune personne extérieure à la Ceni n’a pu entrer dans cette chambre forte. Conclusion des observateurs de l’UE : « L’absence de témoins et d’observateurs lors de cette phase essentielle de consolidation et de vérification ne peut qu’affecter la confiance dans les résultats annoncés et leur crédibilité. » Comme le dit en off un diplomate occidental à Kinshasa, « il y avait une volonté très claire d’écarter tout regard extérieur ».
Doublons
Alors, qui aurait gagné s’il n’y avait pas eu fraude ? Toujours la même question. « Attention, confie un observateur international, la fraude n’a pas commencé le soir du vote. En avril, mai et juin derniers, lors de l’enrôlement des électeurs, il y a eu beaucoup de doublons, c’est-à-dire des personnes enrôlées deux fois. Peut-être 2 millions sur les quelque 32 millions de Congolais inscrits sur le fichier. Et comme le régime a toujours refusé un audit indépendant sur ce fichier… » Et notre observateur d’ajouter : « Si vous additionnez ces doublons au 1,3 million de bulletins de vote perdus et à toutes les fausses saisies de PV de bureaux de vote dans les centres de compilation, l’écart de voix officiel entre Kabila et Tshisekedi n’a plus de sens. »
La fraude n’a pas commencé le soir du vote.
Un observateur international
En fait, quand on regarde la carte, c’est essentiellement dans trois provinces du pays que Kabila creuse l’écart avec Tshisekedi : le Katanga (2,6 millions de voix d’avance), le Bandundu (1 million) et la Province-Orientale (1 million). Or le Katanga concentre toutes les graves anomalies constatées par les témoins et les observateurs : PV falsifiés, CLCR inaccessibles, etc. Quant au Bandundu, il donne des résultats tellement surprenants que beaucoup n’y croient pas. Autre province suspecte, le Nord-Kivu. Dans les territoires de Masisi et de Rutshuru, Kabila devance nettement Kamerhe, le candidat « régional », qui est arrivé officiellement troisième à l’échelle nationale avec 7,7 % des voix. Or, selon plusieurs témoins, les ex-rebelles du Congrès national pour la défense du peuple (CNDP) – aujourd’hui ralliés au régime – ont « aidé » les populations à voter.
Que faire ? Recompter, ce n’est pas possible. De l’aveu même de la Ceni, les 1 375 000 bulletins de vote perdus ne sont pas récupérables. Lors de la compilation des résultats, de nombreux sacs de PV ont été éventrés, égarés, voire confisqués par des agents des forces de l’ordre. Des journalistes l’ont vu de leurs propres yeux au centre de compilation de Kinshasa. « Les Casques bleus de la Monusco ont été beaucoup plus efficaces pour déployer le matériel de vote que pour sécuriser la collecte des PV », persifle un observateur. Arrivé officiellement quatrième avec 4,9 % des voix – et premier dans l’Équateur –, Léon Kengo wa Dondo ne voit plus qu’une solution : annuler et recommencer. Après tout, dans toute démocratie à peu près acceptable, une élection avec un tel taux d’incertitude ne pourrait qu’être invalidée. « Oui, ça coûte cher, dit le président du Sénat, mais on ne peut pas accepter n’importe quel résultat sous prétexte qu’on n’a pas les moyens de recommencer une élection. Surtout, la paix n’a pas de prix ».
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