Littérature : comment faire son miel des pourriels
La jeune Adaobi Tricia Nwaubani s’est inspirée des célèbres escroqueries nigérianes pour bâtir un premier roman délicieusement subversif.
« Cher ami, je ne viens pas à vous par hasard. Dans ma quête d’une entreprise ou d’un homme d’affaires étranger de confiance, la chambre de commerce et d’industrie du Nigeria m’a communiqué vos coordonnées. J’espère pouvoir me fier à vous pour gérer une transaction de cette ampleur… » Ces quelques lignes extraites du roman de la Nigériane Adaobi Tricia Nwaubani ne vous rappellent-elles rien ? Un e-mail que vous auriez vu passer par votre boîte aux lettres électronique et que vous vous seriez empressé de supprimer car il empestait l’arnaque ? Beaucoup de gens ont reçu ce genre de « pourriel » en provenance d’Afrique, et notamment du Nigeria, où ces arnaques sont sanctionnées par la justice. Les « fraudes 419 », d’après le numéro de l’article du code pénal qui les interdit, ont tout de même fait de nombreuses victimes. Comme cette pauvre dame du Wisconsin et ces Blancs naïfs mis en scène par Nwaubani, qui s’est saisie du phénomène avec un brio délicieusement subversif.
Tragicomique
Couronné par de nombreux prix, dont le Commonwealth Writers’ Prize du premier roman pour la région Afrique en 2010, Je ne viens pas à vous par hasard est un premier roman très abouti. Son auteure, âgée de 35 ans, fait partie de la riche postérité de Chinua Achebe et Wole Soyinka qui est en train de renouveler la fiction nigériane en l’arrachant à ses premières inspirations – le mythe et l’Histoire – pour l’enraciner solidement dans le quotidien tragicomique de son pays. Entrée en littérature à 13 ans en remportant le premier prix d’un concours de nouvelles, Nwaubani a expliqué combien elle fut, pendant longtemps, paralysée par l’idée d’être condamnée, en tant qu’Africaine, à ne raconter que des histoires de guerre et de lutte pour survivre. « Je m’étais plus ou moins résignée à cet avenir peu séduisant quand j’ai découvert, en 2006, Les Cendres d’Angela : une enfance irlandaise, de Franck McCourt. Le récit le plus sombre d’une vie d’épreuves et de privations que j’aie jamais lu, dans un style qui n’est pourtant pas dépourvu d’humour. Je me suis dit que, moi aussi, je pourrais raconter des histoires africaines où tout ne serait pas qu’amertume et mélancolie. »
Je me suis dit que je pourrais raconter des histoires où tout ne serait pas qu’amertume
Le thème de la fraude 419 s’est imposé à elle parce que la corruption constitue la réalité de la vie nigériane. Sur un ton mêlant humour et ironie, elle raconte le quotidien d’un antihéros, Kingsley, qui, faute de piston, est condamné au chômage malgré ses brillantes études d’ingénieur en pétrochimie. Pour subvenir aux besoins de sa famille, le jeune homme se laisse convaincre par un oncle qui a fait fortune en extorquant des fonds à des étrangers crédules. Très vite, il prend goût au jeu des e-mails frauduleux, attendant qu’un mugu (un « Blanc ») morde à l’hameçon. Et les mugu sont nombreux à se laisser piéger !
Revanche
Débrouillardise ? Corruption ? Tout en restant dans le cadre d’une histoire morale où l’argent sale ne profite guère, Nwaubani met en scène des personnages complexes. Son héros est tiraillé entre les idéaux reçus en héritage de son père et l’argent facile. Son oncle et parrain, Cash Daddy, incarnation de la luxure et de la corruption, est à mi-chemin entre Idi Amin Dada et Robin des Bois, n’hésitant pas à utiliser sa fortune pour aider ses semblables. Ses vols ne sont-ils pas une simple revanche après des siècles d’esclavage et d’exploitation ? D’ailleurs, les destinataires des pourriels qu’oncle et neveu envoient ont pour noms Rumsfeld, Albright, Condoleezza, révélant le riche substrat idéologique d’un roman qui ne se réduit pas à une histoire d’escrocs.
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus – Culture
- Algérie : Lotfi Double Kanon provoque à nouveau les autorités avec son clip « Ammi...
- Stevie Wonder, Idris Elba, Ludacris… Quand les stars retournent à leurs racines af...
- RDC : Fally Ipupa ou Ferre Gola, qui est le vrai roi de la rumba ?
- En RDC, les lampions du festival Amani éteints avant d’être allumés
- Bantous : la quête des origines