Pétrole : avec Pazflor, l’innovation naît aussi sur le continent
Au large de l’Angola, une plateforme de dernière génération dessine de nouvelles perspectives. Le Gabon, le Congo ou le Cameroun pourraient en bénéficier un jour.
Une première mondiale, non sans conséquence pour l’Afrique. L’inauguration, le 22 novembre dernier, de la plateforme Pazflor, au large de l’Angola, par le français Total est plus qu’une mise en production parmi tant d’autres. La technologie mise au point, qui permettra dès le 1er trimestre 2012 de sortir 220 000 barils par jour du fond de l’océan Atlantique (les réserves totales sont estimées à 590 millions de barils), est déjà accueillie avec enthousiasme par les pays voisins. Au Gabon, par exemple, Alilat Antseleve-Oyima, directeur général des hydrocarbures au ministère des Mines, du Pétrole et des Hydrocarbures, assure ainsi « regarder avec intérêt » ce lancement. « Si cette technologie nous est proposée, nous l’étudierons », affirme-t-il. Le pays est d’ailleurs en pleine consultation et reçoit une à une les compagnies désireuses de venir forer à grande profondeur dans ses eaux territoriales.
De quoi s’agit-il ? Pazflor, située à 150 km au large de Luanda, est l’une des quatre plateformes de production réparties sur les 5 000 km2 du bloc 17, avec Girassol, Dalia (déjà en activité) et Clov, dont le lancement est prévu en 2014. Ces plateformes aux noms de fleur ont en commun l’extraction d’or noir en eau très profonde, entre 600 et 1 400 m sous la surface de la mer – et jusqu’à 2 500 m sous le fond de l’océan. En outre, toutes produisent à partir de plusieurs puits (49 pour Pazflor), couvrant une surface sous-marine de plusieurs centaines de kilomètres carrés (600 pour Pazflor). Le liquide est ensuite acheminé dans une barge géante (Floating Production, Storage and Offloading Unit, FPSO), pouvant stocker jusqu’à 1,9 million de barils (des tankers viennent le récupérer tous les cinq jours).
Séparation
Ce qui distingue Pazflor de ses grandes sœurs est invisible depuis la surface. Le système mis au point pour elle traite simultanément, au fond de la mer, deux huiles de différentes qualités, issues de réservoirs d’âge miocène et oligocène (datant de 24 à 5 millions d’années pour les premiers, de 34 à 24 millions d’années pour les seconds), en séparant le gaz de l’huile avant qu’ils ne soient remontés sur le FPSO via des ombilicaux semi-rigides. Les unités de séparation sous-marine (SSU), d’une hauteur équivalente à celle de l’arc de triomphe de Paris (50 m), jouent un double rôle : pomper et séparer, sous une pression de 70 bars en moyenne. La température ambiante, en profondeur, est de 4 °C, mais grâce à une isolation spécifique, le liquide est maintenu à une température supérieure à 30 °C afin d’éviter le durcissement des paraffines et des hydrates présents dans le pétrole (qui conduirait à l’obturation des infrastructures).
Elle ouvre la voie pour des champs encore plus profonds et des huiles plus visqueuses.
Louis Bon, directeur du projet chez Total
Si l’industrie pétrolière maîtrise depuis longtemps ces technologies de manière indépendante, Pazflor permet pour la première fois de les regrouper pour créer un ensemble autonome dans un environnement a priori hostile. « Cette innovation ouvre la voie pour des champs encore plus profonds et le traitement d’huiles plus visqueuses », explique Louis Bon, directeur du projet – qui a nécessité la constitution d’une filiale ad hoc – chez Total. La réussite de Pazflor légitime aussi l’exploitation de plusieurs champs satellites de taille modeste qui, regroupés par un seul FPSO, deviennent rentables. En l’occurrence, à travers ses 49 puits, Pazflor exploite quatre réservoirs, Perpetua (le premier découvert), Hortensia, Zinia et Acacia.
Cette technologie offre des perspectives intéressantes pour le reste de l’Afrique, même si un certain nombre de conditions doivent être réunies. Le projet Pazflor aura par exemple mobilisé 9 milliards de dollars (6,7 milliards d’euros) d’investissements, soit près de quatre fois plus que la plateforme Girassol, inaugurée il y a tout juste dix ans (2,4 milliards de dollars). Les charges annuelles de fonctionnement de Pazflor avoisinent 200 millions de dollars. Le cours du pétrole est donc une donnée essentielle pour rentabiliser le projet (quatre à cinq ans dans le cas de Pazflor). « Le projet reste rentable à partir du moment où le prix du baril demeure entre 60 et 80 dollars », expliquait ainsi Christophe de Margerie, PDG de Total, lors de l’inauguration de Pazflor.
Suivi de près
Parce que les prospectives ne prévoient pas, sur le long terme, une chute des cours, les pays producteurs ont des raisons d’espérer, notamment ceux qui voient leur production stagner ou diminuer, comme le Congo, le Gabon, ou encore le Cameroun. À Brazzaville, les équipes de la filiale congolaise de Total ont suivi de près le développement chez leur voisin angolais et n’excluent pas d’importer le système sur l’un de leurs nombreux projets en cours. Comme pour le développement du champ Moho Bilondo nord, dont la décision d’investissement (le projet est estimé à 10 milliards de dollars) sera prise en 2012.
Retour sur un chantier titanesque
Jusqu’à 4 500 personnes de 22 nationalités, œuvrant sur 4 continents… La conception puis le développement de Pazflor ont mobilisé plus d’une quinzaine de sous-traitants. FMC Technologies à Houston (et à Luanda) et CMP Arles, en France, ont par exemple conçu et fabriqué les unités de séparation sous-marine spécialement étudiées pour ce projet. À l’autre bout du monde, les coréens DSME ont été chargés de construire la barge géante (Floating Production, Storage and Offloading Unit, FPSO) de 325 m de long et de 120 000 t destinée au stockage du pétrole. Le consortium SBM Offshore/APL (bouées de chargement) et la société Subsea 7 (pipelines) ont aussi apporté leur savoir-faire. Dans la ville de Lobito (au sud de Luanda), l’angolais Sonamet a fabriqué, entre autres, les ancres, lignes d’ancrage, et une partie des lignes d’injection d’eau et de gaz. Angoflex (filiale du français Technip et de Sonangol, également basée à Lobito) s’est occupé des 180 km d’ombilicaux. Sur les 32 millions d’heures travaillées sur le projet, 10 % ont été effectuées en Angola. M.P.
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