Tunisie : la mauvaise foi des intégristes

Ouvertement antidémocrates, les islamismes radicaux tunisiens n’en invoquent pas moins la liberté de conscience… pour mieux la dénier aux autres.

Manifestation d’islamistes radicaux, à la faculté de La Manouba, le 29 novembre 2011. © AFP

Manifestation d’islamistes radicaux, à la faculté de La Manouba, le 29 novembre 2011. © AFP

Publié le 22 décembre 2011 Lecture : 3 minutes.

La visibilité de la mouvance salafiste en Tunisie est un phénomène nouveau surgi dans le sillage de la révolution. Après de timides provocations lors de manifestations pour la défense des droits de la femme ou de la modernité, ses membres ont fait monter la tension de plusieurs crans en provoquant la fermeture de bars, en saccageant le cinéma Afric’Art, en attaquant Nessma TV et le domicile de son patron, et, plus récemment, en s’invitant dans les universités, devenues leur terrain de prédilection. Leurs revendications, exprimées dans la fureur, sont toujours les mêmes : abrogation de la mixité et autorisation du port du niqab. Malgré ce marquage de territoire, les islamistes radicaux, dont les drapeaux noirs, les tuniques afghanes et les appels au djihad semblent venus d’un autre temps, demeurent une mouvance assez obscure.

Ridha Belhaj : objectif califat

Porte-parole du Hizb al-Tahrir (né en Jordanie, en 1953, d’une scission au sein des Frères musulmans), ce professeur d’arabe de 49 ans originaire de Djerba prône la restauration du califat mais rejette le recours à la violence.

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Réseau

Leur émanation politique, Hizb al-Tahrir (Parti de la libération), prône « la souveraineté de la Oumma » et rejette la démocratie. « Le retour de l’islam dans notre vie ne sera pas assuré par un simple article de la Constitution stipulant que la religion officielle de l’État est l’islam. Cet article à portée symbolique n’aurait aucune valeur, puisque les gouvernants y recourent par hypocrisie, par ruse et pour faire taire les masses. Le retour de l’islam dans la vie, la bonne gouvernance et la souveraineté ne sauraient se réaliser sans un État qui mette la foi à la base même de la Constitution et des lois », peut-on lire sur leurs tracts. Ridha Belhaj, porte-parole du mouvement, affirme même qu’il est inutile d’élaborer une Constitution, puisqu’elle est déjà inscrite dans le Coran, et considère que la démocratie n’est qu’un moyen d’accéder au pouvoir. Le programme du Hizb al-Tahrir est succinct : restauration du califat et stricte application de la charia. Corollaires de ces objectifs : interdiction des partis politiques et remplacement de l’étoile et du croissant sur le drapeau tunisien par la chahada (profession de foi). Si le parti ne compte que quelque deux mille adhérents, il n’en contrôle pas moins quelques mosquées et profite d’un réseau international de cinquante pays. Belhaj discute d’ailleurs avec ses homologues libyens d’un projet d’union.

Inutile d’élaborer une constitution puisqu’elle est déjà inscrite dans le Coran.

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Approché par des dirigeants d’Ennah­dha en vue des élections du 23 octobre, le président du bureau politique d’Al-Tahrir, Abdelmajid Habibi, avait appelé au boycott du scrutin : « On ne peut élire des personnes qui permettent ce que Dieu a interdit et interdisent ce que Dieu autorise. » Ahmed Gaaloul, d’Ennahdha, confirme cette « différence de perception de l’islam et des objectifs sociaux ».

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Nébuleuse

La mouvance regroupe plusieurs autres tendances : la salafiya djihadiya, la salafiya ilmiya (chargée de purifier l’idéologie islamiste), Al-Daawa wa Al-Tabligh, sorte de secte dédiée au prêche, et Al-Takfir wa Al-Hijra, en rupture totale avec la société, qu’il juge mécréante. Tous œuvrent dans les quartiers pauvres pour enraciner leur idéologie. Ils exercent un contrôle sur plus de 400 mosquées, ont fondé une école coranique à Sidi el-Bokri, sur la route de Bizerte, et ont pour chefs Abou Ayoub, prêcheur à Oued Ellil, et Abou Iyadh, figure connue de la cité populaire d’Ettadhamen. Ils sont également nombreux à sévir dans les régions fragilisées par la révolution. À Sidi Bouzid, Gafsa ou Kasserine, les salafistes tentent d’imposer une mutation sociale selon les normes fondamentalistes d’un pouvoir islamiste. On estime le nombre de leurs partisans à 3 000, scindés en une centaine de groupuscules.

Pourtant, ces salafistes-là sont dénués d’objectifs politiques. Nabil Manaï, un ancien de Hizb al-Tahrir, les décrit comme « des franges sans cause définie, facilement manipulables faute d’encadrement réel. Ils réclament le port du niqab, mais c’est un objectif bien mince, sans impact. Ils contribuent à soutenir Ennahdha, car ils apprécient les démonstrations publiques, ce sont des agitateurs et des agités ». Le chercheur français Vincent Geisser affirme que « ces groupes bénéficient d’aides secrètes de la part de certains milieux du Golfe dont le rêve est de casser la « petite démocratie tunisienne » ».

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