Tunisie : Ghannouchi vu par les Américains
Le leader d’Ennahdha Rached Ghannouchi a passé trois jours aux États-Unis. Une visite discrète, mais commentée avec une certaine méfiance par la presse locale.
C’est sur un ton dubitatif que les journaux washingtoniens ont commenté la visite aux États-Unis de Rached Ghannouchi, patron du parti islamiste Ennahdha et grand vainqueur des élections tunisiennes du 23 octobre. Invité par le magazine Foreign Policy (FP), qui lui a remis une récompense le 1er décembre, Ghannouchi en a profité pour passer trois jours à Washington. Marc Lynch, journaliste à FP, le décrit comme un intellectuel, mais aussi comme un prêcheur portant la bonne parole. Pour l’éditorialiste, cette visite est un « signe des temps ». Après le Printemps arabe, qui a enthousiasmé les Américains, l’islamiste, longtemps persona non grata aux États-Unis, est en pleine opération séduction. Son but : rassurer ceux qui craignent l’arrivée des « barbus » au pouvoir dans la région.
Mais les attentats du 11 Septembre et la guerre contre le terrorisme ont laissé des traces dans les esprits, et les commentateurs semblent avoir du mal à croire qu’on puisse être à la fois islamiste et respectueux des règles de la démocratie. Dans le National Review, un magazine conservateur très influent, la visite du responsable tunisien est traitée avec une ironie mordante. « Oui, vous avez bien lu : le Muslim Public Affairs Council (MPAC) a manœuvré pour recevoir Rached Ghannouchi dans le quartier de Capitole Hill ! » commente Andrew McCarthy, s’empressant de rappeler que le MPAC a des liens avec les Frères musulmans d’Égypte et surtout avec le Hezbollah libanais.
Double langage
Mais c’est surtout la question israélienne qui obsède les journalistes conservateurs. Plusieurs d’entre eux ont exhumé des propos qu’aurait tenus Ghannouchi à un quotidien arabophone et dans lequel il sous-entendrait que l’élimination de l’État hébreu pourrait intervenir plus vite qu’on ne le croit. De là à suggérer que le leader d’Ennahdha manie le double langage, il n’y a qu’un pas, que le Weekly Standard n’hésite pas à franchir. Dans un article intitulé « L’islamiste tunisien qui regardait vers le futur », ce magazine proche des néoconservateurs insiste sur les contradictions de Ghannouchi. Certes, ce dernier « a surpris en déclarant que chacun était libre de quitter une religion et d’en changer. […] Mais son patron, Youssef al-Qaradawi, président de l’Union internationale des savants musulmans, a une conception bien plus traditionnelle de l’apostasie », commente le magazine.
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