Macky Sall : « À son âge, Wade mérite de prendre sa retraite »
Candidat à la présidentielle de février 2012 au Sénégal, le leader de l’Alliance pour la République Macky Sall estime qu’il est temps que le chef de l’État quitte le pouvoir. Entretien avec un homme qui fut longtemps un fidèle d’Abdoulaye Wade… et qui est aujourd’hui l’un de ses plus solides adversaires.
Wade, c’est peut-être la meilleure chose qui lui soit arrivée. Il ne le dira pas comme ça, bien sûr, mais c’est bien avec puis contre le chef de l’État que Macky Sall s’est forgé en politique. C’est Wade qui lui a donné sa chance au sein du Parti démocratique sénégalais (PDS). C’est lui qui l’a nommé ministre des Mines et de l’Énergie, au début des années 2000, avant de lui confier l’Intérieur puis, en avril 2004, la primature et enfin la direction de sa campagne pour la présidentielle de 2007. Aujourd’hui encore, alors même qu’il est passé à l’opposition, Macky Sall détient le record de longévité pour un Premier ministre de Wade.
La meilleure des choses aussi parce que le chef de l’État a fini par le prendre en grippe. Tout juste réélu, Wade refuse de reconduire son chef du gouvernement, pourtant reconnu pour son sérieux et sa fidélité. Il réduit ensuite la durée de son mandat à la tête de l’Assemblée nationale et lui retire le poste de numéro deux du PDS. Pour Macky Sall, c’en est trop. Wade, les humiliations, c’est terminé. Il claque la porte du parti et crée, en décembre 2008, l’Alliance pour la République (APR), la formation dont il portera les couleurs à la présidentielle du 26 février. Des regrets ? Jamais, assure l’intéressé. « Je rends grâce à Dieu de ma disgrâce. » Interview.
Jeune afrique : Un sondage paru dans Le Pays au quotidien, le 22 novembre, donne le président Wade vainqueur dès le premier tour avec 53 %. Vous seriez, quant à vous, troisième… Cela vous inquiète, à trois mois de la présidentielle ?
Macky Sall : Non, parce que si l’on parle de ce sondage, il faut mentionner aussi celui qui a été publié, le même jour, dans L’Observateur et qui me donne en tête devant Wade, avec 27,4 %. Il est évident qu’une enquête d’opinion qui donne une majorité absolue au président sortant dès le premier tour ne correspond à rien. Lors des élections locales de 2009, il a perdu Dakar, Thiès, Fatick, le Sine-Saloum… On ne peut pas perdre des régions et faire plus de 50 % au premier tour.
Voir l’interview vidéo de Macky Sall :
Votre parti, l’Alliance pour la République (APR), fait partie de la coalition Benno Siggil Sénégal. Benno ne peut choisir qui, de Moustapha Niasse ou d’Ousmane Tanor Dieng, portera ses couleurs en 2012. N’est-ce pas de mauvais augure pour l’opposition ?
Non. Je ne suis pas de ceux qui pensent qu’il faut à tout prix une candidature unique. Moi, l’unicité, je l’accepte en religion, pas en politique. Dans une élection à deux tours, la diversité des candidatures équivaut à une primaire. En revanche, les membres de Benno devront signer un pacte de soutien pour le second tour.
Travailler pour Karim Wade ? Impossible ! Mais il peut toujours rejoindre une équipe que je dirige…
C’est une manière de justifier le maintien de votre candidature ?
Je l’ai toujours dit : le maintien de ma candidature ne dépend pas de Benno. Benno ne se réduit pas à Tanor ou à Niasse, malgré tout le respect que j’ai pour eux.
Mais n’y a-t-il pas un risque que Wade l’emporte dès le premier tour ?
C’est impossible. Il y aura un second tour, si nous sommes dans chacun des 13 000 bureaux de vote.
Mettez-vous en doute la transparence du scrutin ?
La transparence, nous devons l’exiger. Nous devons déjà faire en sorte que la distribution des cartes d’électeur se déroule normalement et, le jour du scrutin, nous devrons nous mobiliser pour être présents sur le terrain. Il va falloir être très vigilant.
Et vous ne vous désisterez pas ?
Il n’en a jamais été question. Depuis que j’ai compris que je n’avais plus d’avenir au sein du PDS et que le projet que nous avions porté, le Sopi, avait été trahi, je me suis donné une nouvelle perspective. Je n’ai pas fait tout cela pour me retirer.
Quand avez-vous senti le vent tourner ?
En 2007, peu avant que je prenne la présidence de l’Assemblée nationale. Wade venait de remporter la présidentielle. Pour son entourage, j’étais devenu un obstacle qu’il fallait éliminer. Tout était fait pour qu’on aille vers une « dynastisation » du pouvoir. Évidemment, aujourd’hui, le projet est à l’eau, mais ça ne veut pas dire qu’il a été définitivement abandonné. Je continue à penser qu’il y a une possibilité pour que Wade ne soit pas le vrai candidat du PDS, malgré tout ce tintamarre autour des constitutionnalistes à qui l’on a demandé de valider sa candidature. Tout cela ne pourrait être qu’un grand coup de bluff.
Mais en faveur de qui ?
De son fils, peut-être, ou d’un autre, je ne sais pas…
Le Conseil constitutionnel doit se prononcer sur la candidature de Wade en janvier. Peut-il décider en toute indépendance ?
Je ne peux pas préjuger de leur attitude, mais les juges et le président du Conseil savent l’état de l’opinion. Ils connaissent les risques.
Voulez-vous dire que, s’ils validaient la candidature présidentielle, on irait au clash ?
C’est clair. Une telle décision pourrait plonger le pays dans l’instabilité politique alors que ce dont il a besoin, c’est d’élections apaisées. La meilleure chose que puisse faire Wade, c’est de quitter le pouvoir. Il mérite de prendre sa retraite, à son âge !
Également candidat, Idrissa Seck. Vous êtes tous deux d’anciens Premiers ministres de Wade, d’anciens déçus du PDS… Vos candidatures ne sont-elles pas redondantes ?
Non. Lui c’est lui, et moi c’est moi. Nous avons des parcours et des projets politiques différents. Je n’ai rien à dire de plus.
Si l’on en croit les câbles diplomatiques publiés par WikiLeaks, vous avez eu des propos très durs contre Seck en 2006, l’accusant de corruption et affirmant que sa place était en prison. Maintenez-vous ces accusations ?
Je n’ai jamais tenu de tels propos.
Les câbles sont erronés ?
Oui. Je n’ai rien dit de tout cela.
Pourriez-vous travailler avec Idrissa Seck ?
Pourquoi pas. Si demain je suis président, il pourra contribuer à la marche du Sénégal au sein d’une équipe plurielle.
Quelles sont vos relations avec Karim Wade ?
Ni hostiles ni cordiales : nous n’en avons pas. Il n’y a pas très longtemps, en revenant de Kaolack, il est allé chez moi, à Fatick. C’est gentil, mais j’étais à Dakar. Peut-être que la prochaine fois il me préviendra avant, pour que je sois là
Pourriez-vous envisager de travailler pour lui ?
[Rires] Non, c’est impossible.
Et avec lui ?
S’il est dans une équipe que je dirige, pourquoi pas. L’inverse est exclu.
Quand vous étiez au perchoir, vous aviez convoqué Karim Wade pour qu’il s’explique sur les comptes de l’Agence nationale de l’Organisation de la conférence islamique (Anoci). Pourquoi ne pas avoir d’abord prévenu son père ?
C’est un oubli. Cela ne me paraissait pas extraordinaire. Avant lui, on avait reçu d’autres ministres à l’Assemblée nationale : c’est normal dans une démocratie.
Et si c’était à refaire ?
Je le convoquerais de nouveau, mais je préviendrais le chef de l’État. Je l’aurais fait si j’avais pensé que c’était important. Toutefois, je ne regrette rien du parcours que j’ai eu. Je rends grâce à Dieu de ma disgrâce.
Dans le quartier de Sandaga, à Dakar, le 5 avril 2011.
© Émilie Régnier, pour J.A.
Faut-il redouter un regain de tension avant l’élection ?
Oui, et la solution est entre les mains du président. S’il veut des élections apaisées, il faut qu’il montre le chemin. S’il veut aller à la confrontation, alors nous irons à la confrontation.
Vous vous déplacez toujours avec des gardes du corps armés. L’année dernière, votre convoi a été attaqué… Craignez-vous pour votre sécurité ?
Oui. Je suis obligé de me protéger, sinon j’aurais été éliminé physiquement depuis longtemps par mes adversaires du PDS. Je ne mets pas en cause la hiérarchie ; les menaces dont je fais l’objet sont le fait d’illuminés.
En juillet, vous aviez accusé Wade de recruter des mercenaires… À l’époque, beaucoup avaient souri. Maintenez-vous vos accusations ?
On ne parle peut-être plus de mercenaires, mais il est sûr que des nervis ont été recrutés, qu’ils sont armés, qu’ils ont des chiens d’attaque et qu’ils n’appartiennent pas à la gendarmerie. Ils sont déjà venus devant le domicile de Tanor ou de Niasse, il y a quelques semaines… Quand on commence à recourir à des milices, je dis qu’il y a danger pour la démocratie.
Pourriez-vous rentrer dans le rang si Wade vous faisait une offre suffisamment généreuse ?
Wade ne peut me faire aucune offre, sinon dire qu’il se retire. Alors là, malgré son bilan, je le féliciterais publiquement.
Je suis obligé de me protéger, sinon j’aurais été éliminé physiquement depuis longtemps par mes adversaires du PDS.
Vous critiquez son bilan, mais en tant qu’ancien Premier ministre notamment, vous en êtes comptable…
C’est vrai, et j’assume tout ce que j’ai fait, mais ce n’est pas moi qui ai défini la politique de la nation. Cela dit, Wade a aussi fait de bonnes choses. Prenons le cas des infrastructures : il y a eu des réalisations, mais elles ont mis en évidence aussi une mauvaise gouvernance. Ce dont le Sénégal a besoin, c’est d’infrastructures de transports, de santé… pas de la plus belle corniche d’Afrique avec des palmiers et où 1 km aura coûté jusqu’à 5 ou 6 milliards de F CFA [7,6 à 9,1 millions d’euros].
L’APR a trois ans. Est-elle suffisamment implantée pour peser dans le scrutin ?
Notre parti est jeune, mais ses leaders ne le sont pas. Nous avons fait un travail de fond sur le terrain, et en 2009 nous avons aidé Benno à l’emporter dans plusieurs régions.
Mais avez-vous un électorat solide en dehors de Fatick, votre fief ?
Bien sûr ! À Matam et à Pikine, nous sommes très loin devant tous les autres. Il y a Tambacounda, Saint-Louis aussi dans une moindre mesure… Le maire, Cheikh Bamba Dièye, est un partenaire. La force d’un parti n’est pas corrélée à son âge. On a vu des partis qui avaient plus de 30 ans faire moins de 5 % à l’élection. Attendons le 26 février.
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Propos recueillis par Anne Kappès-Grangé
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