Mamadou Koulibaly : en Côte d’Ivoire, « le fait du prince est érigé en système »
« Ni Gbagbo ni Ouattara » est la ligne politique de celui qui fut un proche de l’ancien président ivoirien. Sans complaisance avec ses ex-camarades du FPI, le président sortant de l’Assemblée nationale, Mamadou Koulibaly, l’est également avec le nouveau pouvoir.
Progressivement écarté par l’ancien chef de l’État pour avoir dénoncé les excès du régime des refondateurs, exilé au Ghana pendant la crise postélectorale puis évincé, début juillet, du Front populaire ivoirien (FPI) après son retour au pays pour « trahison », le futur ex-président de l’Assemblée nationale a créé son parti, Liberté et Démocratie pour la République (Lider). Premier test : les législatives du 11 décembre. Horizon plus lointain, la présidentielle de 2015.
Jeune Afrique : Que pensez-vous du transfert de Laurent Gbagbo à la Cour pénale internationale (CPI) ?
Mamadou Koulibaly : Pourquoi juger et punir le seul Gbagbo ? La mission d’une classe politique n’est pas de conduire son pays à la guerre. Nous sommes tous, je dis bien tous, responsables de ce qui s’est passé. Mais là, nous sommes confrontés à la justice des vainqueurs, qui punit Gbagbo et les vaincus au nom des crimes qu’ils auraient commis et absout Ouattara et ses troupes au nom des crimes dont ils auraient été victimes. Or les deux camps ont commis des crimes. Il ne peut y avoir de réconciliation sans justice équitable…
Les deux camps ont commis des crimes. Pas de réconciliation sans justice équitable…
Six mois après l’arrivée au pouvoir d’Alassane Ouattara, quelle est votre perception de l’état général du pays ?
Le président Ouattara ne fait que violer les textes. Ainsi de notre loi fondamentale, lorsqu’il a pris un décret pour nommer le nouveau président du Conseil constitutionnel, Francis Wodié, en remplacement de Paul Yao N’dré, qui n’avait pourtant pas démissionné. Il a fait de même avec les membres de la Commission électorale, largement en sa faveur. Puis l’Assemblée nationale : notre Constitution précise que son mandat expire après les élections législatives. Ouattara, lui, a décrété que le mandat avait expiré en 2005… C’est d’autant plus ubuesque que, depuis cette date, le Parlement a voté une quarantaine de lois qui sont en vigueur et utilisées par le pouvoir. L’Assemblée serait donc illégale, mais les lois qu’elle a adoptées, non… Enfin, le président a décidé d’augmenter le nombre de députés, sans aucun critère précis, démographiques ou autres, et d’affecter ce surcroît à certaines circonscriptions sans explication ni justification. Comme il a supprimé, toujours sans la moindre consultation, le financement public des partis politiques. Le fait du prince est érigé en mode de gouvernance. C’est grave.
Quel était, selon vous, l’enjeu majeur des législatives du 11 décembre ?
Ces élections auraient dû permettre de poursuivre le processus de réconciliation. Compte tenu des comportements que je viens d’évoquer et du fait que toute la classe politique n’y a pas participé pas, je doute de l’intérêt de ce scrutin. On peut se demander d’ailleurs s’il n’aurait pas fallu inverser les priorités : la réconciliation et l’apaisement d’abord, les élections ensuite.
Et concernant Lider, votre formation politique, quels sont vos objectifs ?
Si nous avons un député à l’Assemblée, ce sera déjà bien…
Nous avons présenté douze candidats dans huit circonscriptions. Nous voulons poursuivre l’implantation nationale de notre parti créé il y a quatre mois, nous tester lors d’une campagne électorale, aguerrir nos candidats qui vivent là, pour la plupart, leur première expérience politique. Pour être franc, si nous avons un député à l’Assemblée, ce sera déjà bien…
Comment qualifieriez-vous votre formation ? De droite ? De gauche ?
Cette compartimentation n’a aucune valeur en Côte d’Ivoire. Gbagbo était de gauche. A-t-il mené une politique en adéquation avec ses principes ? Je pourrais dire la même chose de Bédié ou de Ouattara, censés être de droite. Dans la pratique, ils font tous pareil : ils obéissent au pacte colonial hérité des accords de coopération signés avec la France après l’indépendance. Nous, nous défendons l’économie de marché, la liberté d’entreprise et la propriété privée en refusant qu’un tuteur nous guide en fonction de ses intérêts sur la voie de la mondialisation.
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Propos recueillis à Abidjan par Marwane Ben Yahmed.
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