Thierry de Montbrial : « La poussée islamiste était prévisible »

Les enjeux de gouvernance liés aux bouleversements en Afrique du Nord ont été les principaux thèmes de la 4e édition de la World Policy Conference, qui s’est tenue à Vienne (Autriche) du 9 au 11 décembre. Entretien avec son initiateur Thierry de Montbrial, directeur de l’Institut français des relations internationales (Ifri).

Thierry de Montbrial, directeur général de l’Institut français des relations internationales. © Vincent Fournier pour JA

Thierry de Montbrial, directeur général de l’Institut français des relations internationales. © Vincent Fournier pour JA

Publié le 14 décembre 2011 Lecture : 2 minutes.

Jeune Afrique : Lorsque la World Policy Conference de Marrakech s’est terminée, en octobre 2010, on était loin de se douter que le monde arabe entrerait en ébullition…

Thierry de Montbrial : Peut-on prévoir un tremblement de terre, même cinq minutes avant qu’il ne se produise ? Non. En politique, c’est exactement la même chose. Si vous reprenez la séquence du Printemps arabe – un malheureux s’immole par le feu au fin fond de la Tunisie, ce qui conduit, par effet de contagion, à la mort de Kadhafi et à une suite d’événements tout aussi improbables –, cet enchaînement était totalement imprévisible.

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La comparaison avec l’effondrement du bloc soviétique est-elle opportune ?

Non, car nous étions dans un contexte de guerre froide et ces événements ont été précipités par les décisions de Mikhaïl Gorbatchev. La comparaison appropriée est celle du « printemps des peuples » de 1848, en Europe, qui s’est achevé un peu partout par des contre-révolutions.

Le monde arabe n’est-il pas sous la menace d’une contre-révolution islamiste ?

Cette poussée islamiste était, elle, parfaitement prévisible. Les Occidentaux ont une attitude contradictoire – ils veulent la démocratie mais en refusent souvent les conséquences – et sont naïfs, puisque son implantation demande du temps. Cela dit, je ne pense pas que les islamistes, au Maghreb, cherchent la confrontation. Ils voudront avoir de bonnes relations avec l’Occident tout en essayant de transformer la société en douceur, par la pression sociale.

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L’Algérie peut-elle rester indéfiniment à l’abri ?

Sûrement pas. Mais elle présente deux singularités : le traumatisme de la guerre civile des années 1990 et un régime qui n’offre pas de prise, puisqu’on a du mal à identifier ceux qui détiennent la réalité du pouvoir. Au Maroc, en revanche, Mohammed VI a eu les bons réflexes au bon moment. La contestation n’a pas disparu, mais le souverain a une stratégie de mouvement. Et puis, la monarchie marocaine transcende tout, y compris le parti islamiste PJD. Cela étant, même les légitimités les plus ancrées dans l’Histoire peuvent être fragilisées. Au début de l’année 1789, la monarchie capétienne était infiniment légitime, mais elle a multiplié les erreurs

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L’Occident aura été intraitable avec la Libye et attentiste avec la Syrie…

La diplomatie est par nature à géométrie variable. L’intervention en Libye s’appuyait sur une résolution de l’ONU, après le feu vert de la Ligue arabe. S’agissant de la Syrie, nous n’avons à ce jour aucun de ces éléments. Et pour avoir la moindre chance de succès, une opération militaire devrait être de tout autre ampleur que celle menée en Libye

Se dirige-t-on vers de profondes modifications de la gouvernance mondiale aux dépens de l’Occident ?

La montée des nations émergentes est en train de transformer le monde. Pour autant, la Chine n’a guère d’expérience diplomatique à l’échelle mondiale, et Pékin ne va pas se précipiter pour se substituer aux États-Unis comme première puissance de la planète. C’est donc toujours aux Occidentaux d’assurer le leadership. Mais il est vital d’élargir le cercle, d’où la nécessité de remettre de l’ordre dans nos affaires. À défaut, il y a risque de désordre, de guerres. Ce qui est en jeu en Europe aujourd’hui, au-delà de l’euro, c’est la paix. 

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Propos recueillis par Philippe Perdrix

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