Art contemporain : vitrines marocaines

Avec un marché en plein essor, les galeries du royaume marocain cherchent à promouvoir leurs artistes à l’international. Un pari rendu difficile par l’absence de structures et de mesures adaptées.

Marrakech accueille tous les ans Marrakech Art Fair, haut lieu de l’art contemporain. © Marie Villacèque pour Jeune Afrique

Marrakech accueille tous les ans Marrakech Art Fair, haut lieu de l’art contemporain. © Marie Villacèque pour Jeune Afrique

Publié le 13 décembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Galerie 127,sur l’avenue Mohammed-V, à Marrakech. Ce lieu ouvert en 2006 par Nathalie Locatelli est la première galerie maghrébine spécialisée en photographie contemporaine. Y sont présentées des images d’artistes venus de tous horizons, jeunes ou confirmés : l’Espagnol Toni Catany, les Français Sarah Moon et Denis Dailleux, la Marocaine Deborah Benzaquen… « Beaucoup d’artistes viennent prendre des photos au Maroc puis rentrent chez eux, explique Nathalie Locatelli. Mon but est de faire revenir ces images et de les faire entrer dans le patrimoine privé et institutionnel du pays. »

Autre ville, autre numéro : bienvenue à l’Atelier 21, rue Abou-Mahassine-Arrouyani, à Casablanca. Fondée en 2008, cette galerie a choisi une ligne moderne et contemporaine. Elle expose les artistes les plus en vogue, comme Mohamed El Baz, héritier de Warhol et de Dalí, le peintre Mahi Binebine, célèbre pour ses toiles aux silhouettes anonymes, Fouad Bellamine ou encore Chourouk Hriech, connue pour son graphisme pointu aux lignes fluides et à la perspective troublante. « C’est nous qui allons chercher les artistes, explique Aïcha Amor, codirectrice. Ils sont exclusivement marocains, la plupart établis à l’étranger. Ils apportent un regard neuf et une acuité de création. Le marché marocain n’est pas encore mûr pour accueillir des artistes étrangers. »

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Explosion

La Galerie 127 et l’Atelier 21 ne sont que deux exemples parmi d’autres. Ces dernières années, le royaume a vu fleurir les galeries – elles sont une soixantaine aujourd’hui – ainsi que cinq maisons de ventes aux enchères. Parmi celles-ci, la Compagnie marocaine des œuvres et objets d’art (Cmooa), fondée par Hicham Daoudi à Rabat en avril 2002 et aujourd’hui installée à Casablanca, a ouvert deux ans plus tard un espace consacré à des expositions. Elle y présente des artistes déjà confirmés sur la scène internationale, mais n’exclut pas de soutenir des talents en devenir.

Car au Maroc, le rôle des galeries reste fondamental pour aider les artistes à trouver leur place sur un marché de l’art en pleine explosion, estimé entre 50 millions et 60 millions d’euros par an. Depuis le début des années 2000, les toiles marocaines les plus prisées ont vu leur cote multipliée par neuf selon le baromètre d’Artprice, la banque de données sur la cotation et les indices de l’art. Le peintre et romancier Mahi Binebine a battu tous les records en vendant une toile pour 1,8 million de dirhams (160 214 euros).

Sur ce marché émergent, les galeries peuvent offrir aux artistes une véritable reconnaissance… à condition de défendre leur vision de l’art. « Les galeries d’art contemporain doivent combattre un goût artistique dominé par notre tradition architecturale, constate ainsi Hicham Daoudi. La nouvelle scène artistique est écrasée par le poids de ce patrimoine. »

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Séduire

En 2010, le fondateur de la Cmooa, infatigable entrepreneur, a créé un événement de référence, la Marrakech Art Fair, devenue une véritable vitrine pour les artistes nationaux encore peu reconnus à l’étranger. Du 30 septembre au 3 octobre dernier, Nathalie Locatelli y a participé pour la seconde fois, afin de renouer avec une clientèle clairsemée. « Pendant les six mois qui ont suivi l’attentat de Marrakech, je n’ai vu quasiment personne dans mes locaux, raconte-t-elle. Ce n’est pas tant d’être galeriste qui est compliqué, c’est la situation géopolitique qui est difficile. Ces dernières années, l’art était une valeur refuge au Maroc, mais aujourd’hui ce n’est plus tellement le cas. Avec le Printemps arabe et la crise, on est dans une situation de souffrance. » Bien que cette année 60 % des achats à la Marrakech Art Fair aient été consacrés à la photographie, Nathalie Locatelli affirme devoir séduire un public encore peu enclin à acheter ce type d’œuvres d’art.

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La Galerie 127 se targue tout de même de conserver une fidèle clientèle depuis ses débuts. « La moitié de mes acheteurs sont marocains », souligne Nathalie Locatelli. Pour acquérir l’une des photographies qu’elle expose, les visiteurs peuvent laisser jusqu’à 80 000 ou 90 000 dirhams, les prix des œuvres les moins chères démarrant à 1 600 dirhams. Carolle Benitah, une Marocaine vivant à Marseille et dont les photographies en noir et blanc constellées de tâches rouges sont exposées à la Galerie 127, commente : « J’ai affaire à des collectionneurs qui ont un vrai pouvoir d’achat, ils dépensent facilement car ils savent ce qu’ils veulent. Mais c’est vrai que mon travail est un peu “violent”, il faut vouloir l’accrocher dans son salon ! »

Les tarifs de la Matisse Art Gallery, à Marrakech également, oscillent quant à eux entre 12 000 et 500 000 dirhams. On y trouve les clichés du Marocain Hassan Hajjaj, connu pour photographier avec humour des femmes en niqab. L’Atelier 21, à Casablanca, compte pour sa part de nombreux acheteurs prêts à débourser entre 19 000 et 240 000 dirhams, le galeriste s’octroyant 50 % du fruit de la vente. « Les acheteurs sont majoritairement des Marocains. Ils ont l’œil et ne se trompent pas », relève Aïcha Amor.

Obstacles

Des artistes marocains de plus en plus reconnus, des acheteurs de plus en plus intéressés… Mais pour que les arts plastiques du pays puissent maintenant rayonner en dehors du royaume, un certain nombre d’obstacles restent à abattre. Une baisse des taxes sur les ventes à l’étranger serait ainsi plus que nécessaire, la TVA culturelle s’élevant actuellement à 23,5 %. « Les autorités pensent que les tableaux sont des produits de luxe, donc elles les taxent fortement, se lamente Mahi Binebine. Il y a une certaine peur que le patrimoine national quitte le pays. Mais prenons Picasso, par exemple, c’est une très bonne chose qu’il ne soit pas exposé qu’en Espagne ! »

Les restrictions fiscales ne constituent pas la seule difficulté rencontrée par les galeries marocaines. Elles regrettent aussi l’absence de structures et du soutien, privé ou public, qui pourraient donner une visibilité internationale aux artistes. Faute d’en avoir sur le territoire national, elles sont contraintes de faire office de musées. Ainsi, la ville de Rabat attend toujours son musée d’art contemporain. Depuis que les travaux ont débuté, en 2006, le projet demeure en suspens.

Mécènes

Ailleurs au Maghreb, même son de cloche. « Il faut être convaincu de ce qu’on fait quand on est galeriste. Il n’y a ni argent ni structures », déplore Lilia Ben Salah, de la Galerie El Marsa, à Tunis. Hicham Daoudi confirme : « Les politiques ne considèrent pas les musées comme quelque chose d’utile. » Le directeur de la Marrakech Art Fair s’est d’ailleurs engagé à donner, via des mécènes locaux et grâce au bénéfice de ses activités, 450 000 euros sur trois ans au Centre Pompidou (Paris) pour l’acquisition d’œuvres d’artistes maghrébins.

« Avec le Printemps arabe, les regards se tournent plus vers nous, mais est-ce que les choses vont changer ? Je l’espère. Les artistes réagissent et produisent, souligne Lilia Ben Salah. Mais le plus important reste à venir. »

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Par Marie Villacèque, envoyée spéciale à Marrakech

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