Pakistan : Imran Khan, du cricket à la politique
Ex-play-boy et ex-gendre d’un magnat franco-britannique de la presse, Imran Khan est aujourd’hui l’homme politique le plus populaire – et populiste – du Pakistan. Feu de paille ou lame de fond ?
Lahore, 30 octobre. Préalablement galvanisées par un concert de vedettes de la pop, plus de 100 000 personnes acclament leur champion. Des jeunes en majorité, tantôt vêtus à l’occidentale, tantôt en habit traditionnel, pour qui « il » est le recours contre un gouvernement corrompu et jugé inféodé aux Américains. Play-boy ultrabronzé de 59 ans, Imran Khan a des allures de vieille star. Il n’a jusqu’ici jamais fait d’étincelles en politique. Le Pakistan Tehreek-e-Insaf (PTI, Mouvement pakistanais pour la justice), qu’il a créé en 1996, n’a jamais eu qu’un seul élu au Parlement – lui-même, en 2002 – et n’a jamais pesé dans le débat, même au temps où il s’opposait avec virulence au très impopulaire président Pervez Musharraf.
Mais l’heure a peut-être enfin sonné pour celui dont la carrière sportive et l’action caritative sont connues de tous ses compatriotes. Ancienne gloire du cricket, le sport national, il mena l’équipe du Pakistan à la victoire lors de la Coupe du monde 1992. En mémoire de sa mère, emportée par un cancer, il a créé à Lahore un hôpital-centre de recherche spécialisé dans la lutte contre cette maladie. « C’est le seul hôpital du pays où les médecins ne savent pas lesquels de leurs patients paient leurs soins et lesquels sont soignés gratuitement », souligne-t-il.
Douteux nababs
Rejeton d’une famille aisée, Khan joue désormais sur la fibre populiste. Spéculant sur l’exaspération des Pakistanais, il renvoie dos à dos le président Zardari et son principal opposant, Nawaz Sharif, de la Ligue musulmane du Pakistan-Nawaz. « Publiez le montant détaillé de vos revenus ou apprêtez-vous à affronter la colère du peuple ! » tonne-t-il à l’adresse de ces douteux nababs. Un discours qui porte : le pays s’enfonce dans la crise, en proie à une inflation galopante, et l’antiaméricanisme y est de plus en plus virulent. Au risque d’être surnommé Taliban Khan, le tribun dénonce l’absurdité de la guerre menée dans les zones frontalières de l’Afghanistan, dans laquelle le gouvernement d’Islamabad se retrouve pieds et poings liés par les Américains. « Notre économie y a perdu 70 milliards de dollars, alors que l’aide atteint à peine 20 milliards, clame-t-il. Et plus de 35 000 personnes sont mortes, c’est une honte ! »
« Humiliation », « néocolonialisme »… L’ancien étudiant d’Oxford, dont les deux fils vivent à Londres auprès de Jemima Goldsmith, leur riche héritière de mère, n’a pas de mots assez durs pour fustiger l’asservissement de son pays aux intérêts américains. Résultat : selon un sondage du Pew Research Center, il était, en juin, la personnalité politique préférée des Pakistanais. Oubliés son soutien au coup d’État de Musharraf en 1999 ainsi que son boycott de la présidentielle de 2008 qui contribua à sa marginalisation. Oublié son prétendu « sionisme », étiquette que lui valut son mariage – aujourd’hui rompu – avec Jemima (protestante, elle s’était convertie à l’islam, mais son père, le milliardaire Jimmy Goldsmith, était d’ascendance juive).
Certains lui reprochent pourtant son absence de programme et d’équipe compétente. D’autres dénoncent sa complaisance envers les talibans – il préconise de les payer et de négocier avec eux pour les détacher d’Al-Qaïda – ou sa proximité avec l’armée pakistanaise, dont il ne critique jamais l’omniprésence. Son succès est-il un feu de paille ou une véritable lame de fond ? En attendant les législatives de 2013, tout est possible, dans l’instable Pakistan. Après avoir assisté à son raout de Lahore, Jennifer Robinson, une avocate britannique (qui défend notamment Julian Assange, le cofondateur de WikiLeaks), a suavement tweeté : « Yes, he Khan. » Décidément, Imran reste le chéri de ces dames…
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