Espagne : raz-de-marée électoral, flou politique

Lors des élections législatives du 20 novembre, le Parti populaire a remporté la majorité absolue des sièges aux Cortes. Une victoire sans bavure. Sera-t-elle sans lendemain pour l’Espagne ?

Mariano Rajoy et son épouse (à droite) après la proclamation des résultats, le 20 novembre. © Juan Medina/Reuters

Mariano Rajoy et son épouse (à droite) après la proclamation des résultats, le 20 novembre. © Juan Medina/Reuters

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 4 décembre 2011 Lecture : 4 minutes.

Le rejet du Parti socialiste ouvrier espagnol (PSOE) de José Luis Zapatero et de sa politique d’austérité, qui n’a pu épargner aux Espagnols un taux de chômage de 21,5 %, a dépassé toutes les prévisions. La droite s’adjuge la majorité absolue des sièges au Parlement (186 sur 350), tandis que les socialistes plongent à des profondeurs jusqu’ici inexplorées : de 169 à 110 sièges. Comme l’a reconnu Alfredo Pérez Rubalcaba, leur chef de file depuis que Zapatero a décidé de se retirer, « nous avons clairement perdu ». C’est un euphémisme. En réalité, le PSOE vient d’encaisser une gifle retentissante. Depuis le dernier scrutin (en 2008), il a laissé s’envoler qu­elque 4,3 millions de voix. Le Parti populaire (PP) en a gagné 500 000, et le reste est allé à une kyrielle de petits partis : treize d’entre eux siègent désormais aux Cortes.

D’emblée, les observateurs étrangers se sont déclarés plutôt satisfaits de cette majorité écrasante qui donne à Mariano Rajoy les coudées franches pour appliquer le programme de « changement » annoncé pendant la campagne et réclamé par les marchés. Au lendemain de sa victoire, ce catholique taiseux, supporteur du Real Madrid, amateur de cigares et, selon certains, passablement indécis, n’a pas fait dans le triomphalisme : « Il n’y aura pas de miracle et la tâche ne va pas être facile. » Devant la direction du PP, il a estimé que « la première chose à dire aux Espagnols c’est la vérité. La société est suffisamment mûre pour être informée absolument de tout ce qui se passe ».

Rajoy demande aux marchés une demi-heure de répit. En pure perte.

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Pas d’informations sur les mesures avant l’investiture

Le 22 novembre, on a appris que la mise en place des nouveaux députés et du nouveau gouvernement prendrait un mois en raison des délais constitutionnels à respecter. Il faudra donc attendre le 13 décembre pour la session constitutive du Parlement et le 21 décembre pour l’investiture de Rajoy comme président du gouvernement. Celui-ci ne se réunira donc pas avant le 23 décembre. Quant au budget destiné à pratiquer de nouvelles coupes dans les dépenses publiques, il sera adopté « au cours du premier semestre 2012 ». Paradoxe : ce sera donc Zapatero, le vaincu, qui représentera son pays au sommet européen du 8 décembre destiné − une fois de plus ! − à sauver l’euro.

On aurait pu penser que le vainqueur s’empresserait de révéler les grandes lignes de son programme et de fournir quelques indications sur les personnalités appelées à entrer au gouvernement. Histoire de montrer un cap et de rassurer les marchés. Eh bien, pas du tout : Rajoy s’est refusé à évoquer sa politique économique avant son investiture. Tout juste a-t-il fait savoir qu’il avait téléphoné à la chancelière allemande pour lui demander que l’Europe aide les pays méritants à résister aux attaques de la spéculation. C’est maigre.

Le flou est tel que les marchés financiers ne lui ont même pas accordé « la demi-heure » de répit qu’il réclamait afin de trouver le moyen d’économiser les 30 milliards d’euros nécessaires à la réduction du déficit, conformément aux promesses faites à Bruxelles et au FMI. Dès le lendemain de sa victoire, la Bourse de Madrid a chuté, tandis que les taux des emprunts à dix ans s’envolaient à des niveaux jugés insoutenables.

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Comme les anciens Premiers ministres grec et italien, Mariano Rajoy ne semble pas avoir compris l’exigence de transparence et la peur des investisseurs. Comme eux, il prétend imposer un tempo politique, alors que les décisions financières se prennent à la nanoseconde. Si une panique financière résultait de cette temporisation, il serait dans l’impossibilité de relever les trois redoutables défis auxquels l’Espagne est confrontée.

Appréciation maghrébines contrastées

Le Maroc doit-il craindre le retour aux affaires du Parti populaire (PP) ? La droite espagnole s’est toujours montrée plus ferme que la gauche sur les dossiers qui fâchent : statut du Sahara, Ceuta et Melilla… Mais, les sondages la donnant gagnante depuis près d’un an, le royaume s’est adapté. Dès mars, Ahmed Ould Souilem, son ambassadeur à Madrid, a rencontré Mariano Rajoy. En septembre, Nizar Baraka, le ministre délégué auprès du Premier ministre, a même assisté à la convention du PP à Malaga. « L’Espagne connaît une crise sans précédent. Le nouveau parti au pouvoir se doit de maintenir une relation privilégiée avec un pays qui absorbe 36 % des exportations et 75 % des investissements espagnols en Afrique », commente l’universitaire Bernabé López García.

À Alger, José Luis Zapatero, jugé trop favorable au Maroc, laisse peu de regrets. On n’oublie pas que c’est sous José María Áznar que fut signé un accord d’amitié et de coopération entre les deux pays et que fut lancé le projet Medgaz, qui approvisionne l’Espagne en gaz. C’était en 2002, l’année où le Maroc et l’Espagne faillirent entrer en guerre au sujet de l’îlot Leïla (Perejil en espagnol)…

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Avec quel argent ?

Le nouveau gouvernement devra d’abord remettre d’aplomb une économie mise à mal par la folle expansion de l’immobilier entre 1995 et 2005. Dans un premier temps, cette frénésie avait enrichi les Espagnols avant de les précipiter dans l’endettement et la misère : 20 % d’entre eux vivent aujourd’hui sous le seuil de pauvreté. Redonner du pouvoir d’achat suppose une reprise de la croissance après la récession. Comment ?

Il sera ensuite indispensable d’achever l’assainissement du système bancaire, sinistré par l’éclatement de la bulle immobilière et l’incapacité des ménages à rembourser leurs emprunts. Avec quel argent ?

Enfin, Rajoy n’atteindra pas son objectif de ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013 si les collectivités locales continuent leurs dépenses excessives. De leur fait, le déficit budgétaire ne sera pas cette année de 6 % comme prévu, mais d’au moins 8 %. Qui leur fera entendre raison ?

Si aucun discours mobilisateur n’accompagne le tour de vis qui s’annonce, « Los indignados » pourraient bientôt reprendre du service à la Puerta del Sol, à Madrid… 

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