Mali : bizutage mortel

La mort de cinq élèves officiers au Mali, en octobre, a ravivé la polémique, mais la justice tarde à faire connaître ses premières conclusions. Enquête sur un tabou qui a la peau dure.

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Publié le 29 novembre 2011 Lecture : 3 minutes.

Révolté, le président sénégalais avait soigneusement choisi ses mots. Peu après l’annonce de son décès, Abdoulaye Wade avait fait de l’élève officier sénégalaise, Fatou Seck Gningue, 22 ans, « la première femme martyre de l’armée nationale ». Les semaines ont passé. En Afrique de l’Ouest, Fatou est devenue le symbole des dérives mortelles du bizutage, mais l’enquête, elle, ne progresse que lentement. Les premières conclusions de la justice malienne ne sont pas attendues avant le 15 décembre.

Pour Fatou et quatre autres élèves officiers (maliens) de l’École militaire interarmes (Emia) de Koulikoro, au Mali, la vie s’est arrêtée brutalement, le 3 octobre. À l’Emia, où sont formés des élèves officiers de plusieurs pays, le bizutage s’appelle « bahutage » et fait partie des « usages et traditions ». Ce jour-là, il est presque 2 heures du matin. Des élèves de troisième année surprennent des éléments de deuxième année et les obligent à se rendre, au pas de course, sous une pluie de coups de bottes et de matraques, à Tientienbougou, à une quinzaine de kilomètres de Koulikoro. Là, encadrés par des instructeurs de l’école, ils infligent de terribles sévices à leurs cadets – une heure au bout de laquelle le pire se produit.

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Natié Pléah, ministre malien de la Défense et des Anciens Combattants, commence par évoquer un « exercice militaire », avant de se raviser quand le président Amadou Toumani Touré, lui-même ancien de l’Emia, exige de connaître la vérité. Pour la première fois en Afrique de l’Ouest, un gouvernement prend des sanctions. Les colonels Ousmane Garango et Soungalo Coulibaly, à la tête de l’Emia et du centre d’instruction, sont relevés de leurs fonctions. Les instructeurs présents au moment des faits sont mis aux arrêts et vingt-quatre élèves sont radiés et mis à la disposition de la justice.

Mauviette

« Il est clair que ce bizutage au Mali est la partie émergée de l’iceberg, regrette Aminatou Sar, directrice du projet EDH Afrique (Éducation aux droits humains en Afrique) d’Amnesty International. Les sorties de certains officiers supérieurs sénégalais, tendant à tolérer, voire à justifier le bizutage, montrent que la pratique est courante et que les drames qui surviennent sont souvent mis sur le compte du suicide ou de l’accident. »

Une question demeure : pourquoi des bizuts supportent-ils ces sévices ? Un début de réponse se trouve au Prytanée militaire de Kati (près de Bamako), une école qui prépare des élèves de l’enseignement secondaire à une carrière militaire et par laquelle de nombreux pensionnaires de l’Emia sont passés. À Kati, le bizutage est réputé moins sévère qu’à Koulikoro. Mais la formule sacramentelle du bizut est à la limite de la dévotion : « Dieu, donnez-moi la souffrance ! Donnez-moi la force ! Donnez-moi la gloire de recevoir tous les ordres venant de mes supérieurs pour le bien de tout le Mali ! »

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Pour les bizuts, « abdiquer est signe de déshonneur, de faiblesse et de manque de virilité », explique un avocat ivoirien qui avait suivi, en 2008, le dossier d’un élève policier gravement blessé après un bizutage qui avait mal tourné à l’École de gendarmerie de Toroguhé (centre ouest de la Côte d’Ivoire). « À la limite, la victime passe pour une mauviette et ses proches préfèrent se taire. »

À Toroguhé, des instructeurs militaires avaient obligé des élèves policiers en formation à sauter du haut d’un arbre. Plusieurs éléments en sont sortis avec des membres fracturés, contraints du coup de renoncer à intégrer la police ivoirienne. La seule mesure prise par le gouvernement a été de ne plus confier à des militaires la formation d’élèves policiers.

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« La fréquence des cas de torture ou de traitements inhumains perpétrés par les militaires ou les forces de sécurité, y compris dans certains cas contre des civils non armés, conclut Aminatou Sar, résulte en grande partie de l’ignorance des principes de base des droits humains. » Ces deux dernières années, plusieurs incidents sur des campus universitaires ont été signalés en RD Congo, au Gabon et en Afrique du Sud. Preuve qu’en Afrique aussi le milieu militaire n’est pas le seul concerné par le bizutage.

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