Présidentielle au Sénégal : Tanor et Niasse, les meilleurs ennemis
Leurs dernières négociations ont été sanctionnées par un nouvel échec, jeudi 1er décembre au soir. Parce que Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse ne s’entendent pas, la coalition de l’opposition Benno Siggil Senegal n’aura sans doute pas de candidat pour la présidentielle sénégalaise. Une voie royale pour Abdoulaye Wade ?
Officiellement, c’est l’entente cordiale. Lorsque l’un se rend chez l’autre pour tenter de trouver un accord, comme ce fut le cas le 15 novembre, ils se livrent à un échange feutré d’amabilités. Pas d’attaque personnelle. Aucun mot de travers. Des compliments, même – « C’est un grand responsable, qui mérite autant que moi d’être le candidat de l’opposition », dit l’un sur l’autre, et vice versa. Dans un pays habitué aux joutes verbales et aux divorces politiques fracassants, le match que se livrent Ousmane Tanor Dieng et Moustapha Niasse pour représenter la coalition de l’opposition Benno Siggil Senegal (BSS) à l’élection présidentielle défie toutes les lois du genre. Mais la réalité de leur relation est moins lisse qu’ils ne veulent le faire croire. Les deux hommes aux caractères si différents – Tanor est un technocrate froid qui s’est éveillé à la politique dans un parti devenu démocratique, Niasse est un animal politique qui a grandi avec le parti unique – se combattent depuis trop longtemps pour s’entendre.
Depuis plusieurs semaines, le duel entre le secrétaire général du Parti socialiste sénégalais (PS) et le président-fondateur de l’Alliance des forces de progrès (AFP) traîne en longueur. La quarantaine de partis qui constituent le Benno s’était donné jusqu’au 31 octobre pour choisir lequel des deux les représenterait devant les électeurs, le 26 février prochain. Mais aucun ne compte baisser les armes. Sous l’œil amusé des partisans du président, Abdoulaye Wade, la date butoir est sans cesse reportée et les médiations se multiplient. En vain. « On essaie toujours d’aboutir à un consensus, explique l’un des cinq médiateurs, qui n’en dira pas plus. C’est très délicat, je ne veux pas que mes propos soient mal interprétés. »
Élection de la dernière chance
Le processus élaboré en début d’année stipule que toutes les composantes du Benno ont leur mot à dire. Certains ont d’ores et déjà annoncé qu’ils feraient candidature à part – c’est notamment le cas de Macky Sall et de Cheikh Bamba Dièye. Les autres ont choisi leur camp. Selon plusieurs sources, Niasse serait arrivé en tête, mais le PS, l’un des partis les mieux structurés du pays avec le Parti démocratique sénégalais (PDS) d’Abdoulaye Wade, ne l’entend pas de cette oreille. « Niasse a été malin, il s’est rapproché des petites entités du Benno, alors que le PS a compté sur sa seule force. Il a aussi joué sur son âge, comme une assurance qu’il ne se représenterait pas. Mais on ne peut pas s’arrêter sur ce seul argument », soutient un proche de Tanor.
« Tout est bloqué. Aucun des deux n’est prêt à se ranger derrière l’autre », indique un ancien médiateur, proche du Benno. Il faut y voir des raisons objectives : « Niasse a 72 ans, c’est sa dernière chance d’être élu à la présidence, chose à laquelle il s’est toujours destiné. Tanor, lui, est plus jeune [64 ans, NDLR], mais il a déjà perdu une fois en 2007 et, dans son parti, on n’acceptera pas une nouvelle défaite. Surtout qu’il y a derrière des jeunes pleins d’ambition qui n’attendent qu’une chose : prendre la relève. Pour Tanor aussi, c’est donc la dernière chance. »
Mais, si les discussions n’aboutissent pas, c’est surtout parce que l’enjeu dépasse le cadre politique. « On est dans l’affectif », reconnaît un médiateur. Tanor et Niasse, c’est l’histoire d’une vieille rivalité mal digérée de part et d’autre. Des ennemis de trente ans, en somme.
Protégé de Senghor
La première fois que Niasse croise Tanor, au milieu des années 1970, il est déjà un cacique du PS. Il a derrière lui vingt ans de militantisme (« Je me suis engagé à l’âge de 17 ans, avant même l’indépendance », aime-t-il rappeler) et dirige depuis six ans le cabinet du chef de l’État, Léopold Sédar Senghor. Il est alors considéré comme le numéro trois du parti, juste derrière le protégé de Senghor, Abdou Diouf, et ambitionne, un jour, de prendre la relève. « Niasse s’est toujours rêvé en président », dit de lui un ami.
Tanor, lui, n’est qu’un tout jeune diplômé de l’École nationale d’administration et de magistrature (Enam), option diplomatie, et vient d’intégrer le ministère des Affaires étrangères, auquel il a emprunté les codes – mesure et discrétion. Surtout, il n’est pas encore encarté.
Ce n’est qu’en 1981, à l’âge de 34 ans, que Tanor entre au PS. Un peu tardif, pense Niasse. Surtout au vu de son ascension fulgurante : en 1988, Tanor est nommé directeur de cabinet de Diouf. En 1996, à l’issue d’un congrès sans débat boudé par Niasse, il prend la direction du parti. Le début de la fin. Les historiques acceptent difficilement. Djibo Kâ est le premier à partir, en 1998. Niasse l’imite un an plus tard. Frustré et revanchard. « Il n’y a jamais eu de clash. Les rapports entre les deux hommes ont toujours été très feutrés. Mais dans l’esprit de Niasse, Tanor lui a volé son destin », explique leur ami commun.
La suite est connue. En 2000, arrivé en troisième position de la présidentielle avec plus de 16 % des suffrages, Niasse donne ses voix à Wade au second tour et participe à la défaite des socialistes. « Wade a fait ce que Diouf a refusé de faire. Il s’est servi de lui », explique un socialiste. La preuve ? Il ne le gardera que onze mois à la primature, avant de pousser Niasse à rejoindre l’opposition.
Mais si Tanor l’a accueilli sans rancune, la plupart des socialistes ne lui ont toujours pas pardonné. Tanor le sait : jamais les socialistes n’accepteront de marcher derrière Niasse. « Il leur a fait trop de mal », estime le juriste Babacar Gueye, proche du Benno. Au sein du parti, personne n’a oublié sa volte-face de l’an 2000. Et tout le monde garde en travers de la gorge son discours d’investiture à la primature quelques jours plus tard – « un véritable réquisitoire contre le PS », peste un cadre socialiste. Ils sont nombreux, aussi, à lui rappeler son piètre score de 2007. Niasse avait recueilli moins de 6 % des suffrages. Tanor, plus du double (13,5 %).
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