Mourir comme des rats !
Bachar al-Assad aurait tort de ne pas se méfier. Car le sort réservé aux chefs d’État arabes aux prises avec les révoltes aujourd’hui (ou à Saddam Hussein, hier) est identique : fuite et traque, tunnels et grottes, espoir insensé d’une victoire jusqu’à la dernière minute, jamais de mea-culpa. Même aveuglement, même défaite, mêmes images exhibées aux yeux du monde entier de corps extraits de terre et de membres sanguinolents. Dernier en date, Kadhafi. Les chefs d’État arabes se succèdent et se ressemblent. Quand ils ne fuient pas comme des lapins, on les attrape comme des rats. Le prochain, le Yéménite Ali Abdallah Saleh, est déjà sur la liste. Il a subi le pire mais ne lâche pas prise, en attendant le même dénouement probable pour le président syrien.
Par conséquent, nous avons le droit de nous interroger : pourquoi ces messieurs se comportent-ils de cette façon s’ils ne sont pas sujets à un déni de réalité, comme certaines femmes souffrent de déni de grossesse ? La rébellion gronde, la déroute pointe – quand elle n’a pas déjà eu lieu. Ils savent très bien qu’ils n’ont plus de crédibilité à l’échelle nationale, ni de soutien à l’international. Ils n’ont plus que quelques branches de tribus auxquelles se raccrocher, aucun espoir de s’en sortir. Ils savent que les Américains ont appris la devise de leur ancêtre Tariq Ibn Ziyad, lequel fonçait sur l’armée adverse en criant : « Votre heure a sonné, la mer est derrière vous et devant vous l’ennemi ! » Pourtant ils ne cèdent pas.
Pour les combattre, leurs ennemis peuvent compter sur les opposants, mais aussi sur les grandes puissances, au premier rang desquelles l’Amérique, et sur les organisations internationales, à commencer par l’ONU et l’Otan ; l’Occident s’invite volontiers au milieu d’une nuée de drones et de mirages, de robots armés jusqu’aux dents, et il parraine les chabab et autres rebelles nourris d’idéaux quelquefois chevillés à des envies de dictature. Nos chefs pensent malgré tout qu’ils vont s’en sortir, persuadés qu’ils sont invincibles et qu’ils reprendront le pouvoir en un tournemain. Croient-ils au miracle alors qu’ils n’ont ni l’aura ni la vertu des prophètes ?
En plus du « déni de réalité », ils ont chopé un « déni d’Histoire » : ils se battent encore à coups d’épée et de torture, ils dénient au monde le droit de demander des comptes sur leurs exactions, ils brandissent leurs poignards au ciel en criant Allah akbar !, oubliant que Dieu est censé soutenir les justes et non les bourreaux, les faibles et non les puissants.
Le destin des chefs d’État arabes est-il de régner comme des tyrans et de mourir dans des trous ? Moi, j’aurais tellement voulu qu’ils s’en aillent dignement, tout dictateurs qu’ils fussent. Qu’ils s’administrent un poison comme les rois et les césars, qu’ils se tirent un coup de revolver comme pour un dernier baroud d’honneur ! Au moins, ils nous garderaient la face propre à l’occasion de leur mort pour nous l’avoir salie de leur vivant. Au lieu de cela, ils refusent de jeter l’éponge, sèment le chaos, poussent aux excès et dressent des tranches de leur société les unes contre les autres. Ils ouvrent la porte de la violence et de l’inconnu par laquelle risquent fortement de s’engouffrer des ogres plus gloutons et plus tyranniques encore. Et tout recommencera à l’identique…
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