Livre : vive la France nègre !

Amplement et magnifiquement illustrée, une somme historique dirigée par Pascal Blanchard, « La France noire », vient rétablir quelques vérités et rendre un hommage appuyé aux Noirs de l’Hexagone.

Clarisse

Publié le 28 novembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Qu’est-ce qui symbolise le mieux la France noire ? Le Code noir qui régit, à partir du XVIIe siècle, le statut des esclaves venus d’Afrique, ou le chevalier de Saint-George, brillant violoniste et compositeur, maître de musique de la reine Marie-Antoinette ? La France inégalitaire des colonies, ou celle de Joséphine Baker et de la négritude, plus ouverte en apparence, et dont se réclamaient nombre d’Africains-Américains ? La France « black, blanc, beur » championne du monde de football en 1998, ou plutôt celle des quotas dans l’équipe de football de Laurent Blanc ?

Pour la vingtaine d’auteurs de La France noire, publiée aux éditions La Découverte sous la direction de l’historien Pascal Blanchard, c’est tout cela à la fois. « Être noir dans l’Hexagone, quel que soit le pays, le département ou la colonie d’où l’on vient, c’est s’inscrire dans un récit peuplé de héros, de lieux de mémoire, de mythes, de combats, de rêves et d’échecs, mais c’est s’inscrire aujourd’hui dans ces identités multiples qui font partie de la France du XXIe siècle. » Spécialistes venus d’horizons divers, les chercheurs ont croisé leurs savoirs et leurs regards pour peindre, en quelque 350 pages, la longue fresque – trois siècles ! – d’une histoire oubliée. C’est-à-dire l’histoire des Noirs de France et celle des Noirs en France. Mais aussi l’histoire des liens entre Blancs et Noirs dans les domaines juridique, politique, culturel, intellectuel… et dans le regard que les uns portent sur les autres.

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Diversité

Ainsi découvre-t-on que l’Hexagone a inventé, bien avant les autres, une société de la diversité, bien entendu percluse d’ambiguïtés et écartelée entre fascination et répulsion. Contrairement aux États-Unis, où l’acceptation des Noirs s’est faite par étapes, le pays a vécu trois siècles de flux et de reflux. Le rejet, la plupart du temps, était provoqué par la peur. Peur du métissage qui pousse Napoléon à expulser les Noirs en 1802. Peur de l’envahissement au début du XIXe siècle. Peur de l’immigration et de la dilution de l’« identité nationale » sous le président Nicolas Sarkozy.

L’ouvrage La France noire démontre par ailleurs que l’Hexagone est l’un des rares pays à avoir digéré les cultures noires dans le théâtre, le cinéma, la musique, le sport… Si les intellectuels, les sportifs et les écrivains des États-Unis y venaient dans les années 1940 et 1950, c’est parce qu’il était perçu comme le deuxième pays noir après les États-Unis, le seul où un Africain pouvait s’asseoir à la terrasse d’un café avec une femme blanche, devenir champion du monde de boxe ou obtenir un prix Goncourt, à l’instar du Guyanais René Maran en 1921. Un pays paradoxal, qui se referme aujourd’hui sur lui-même et désigne l’ex-joueur de tennis Yannick Noah comme sa « personnalité préférée ».

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Et comme elle n’est pas à une contradiction près, la France noire, c’est quelque vingt générations occultées par les historiens. Pour Elikia M’Bokolo, « depuis le milieu du XIXe siècle, tous parlent de la France comme s’il n’y avait que des Flamands, des Bretons ou des Marseillais. Or avec 25 000 Noirs en France en 1789, c’est la première grande communauté non française d’origine dans l’Hexagone ». L’histoire de cette présence a tant été escamotée que, aujourd’hui encore, nombre de jeunes Français cultivés ignorent que le Noir n’est pas seulement balayeur et qu’il y a eu, par le passé, des réussites et des destins exceptionnels.

Réussites

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Ainsi, à la fin du XVIIIe siècle, l’un des hommes les plus brillants de la cour, Joseph Bologne, plus connu sous le nom de chevalier de Saint-George, était issu de l’union entre une esclave noire et un planteur. Dans le domaine de la culture, on a oublié que, dès le milieu du XIXe, des acteurs noirs jouaient le rôle d’Othello à Paris. Dans les années 1920, le Malien d’origine Habib Benglia est le premier acteur noir à tenir un rôle dans un théâtre national. Il jouera dans plus de 40 films et 60 pièces de théâtre.

Si tous les Français connaissent Jean Jaurès, grand homme politique socialiste, ils sont en revanche peu nombreux à savoir qu’en 1904 la vice-présidence de la Chambre des députés lui a échappé au profit d’un Guadeloupéen, Gaston Gerville-Réache… En 1940, lors de l’invasion allemande, le premier parlementaire à attaquer de front Joseph Goebbels et Hitler n’était autre que Galandou Diouf, député du Sénégal.

Certains ont choisi des chemins plus ambigus. Le député antillais Henry Lémery, qui décida de soutenir Vichy en 1940, occupera même la fonction de ministre des Colonies, avant d’être évincé par les Allemands. Et puis il y a ceux que l’on oublie toujours et qui, par leur travail, ont su s’imposer : les dockers du port de Marseille, les ouvriers de Citroën arrivés en 1956 et 1960, les travailleurs maliens et sénégalais des années 1960… Le plus long mouvement social qu’ait connu le pays (1969-1974), pour l’accession à de meilleures conditions de vie, trouve son origine dans les foyers pour travailleurs sénégalais, mauritaniens et maliens.

Mal-aimés

Au-delà de ces précisions nécessaires, les auteurs de La France noire fournissent des clés pour mieux comprendre cette histoire qui se répète dans un schéma de régression-progression. Comment se fait-il que les députés et sénateurs noirs se comptent aujourd’hui sur les cinq doigts de la main ? « Nous sommes probablement dans la période où le choc est le plus violent. Toute une génération de Noirs a le sentiment de ne pas être aimée. Il faut lui raconter cette histoire, lui rappeler que sa présence sur le territoire est légitime, lui rendre cette fierté… et retravailler le lien. »

De nos jours, on ne se révolte pas en tant que Noir, mais en tant que Noir de France, pour rendre le pays conforme à ce qu’il prétend être, notamment en matière de répartition des richesses et de visibilité. La colère longtemps contenue doit permettre la transformation de la société française. Pour ressusciter la fierté d’appartenir à celle-ci, il va falloir montrer et enseigner cette histoire positive dans les écoles. Occulter le passé ne peut que provoquer des ravages chez les Français blancs comme chez les Français noirs.

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