Tunisie : Tarak Ben Ammar, de Hollywood à Doha

Le Franco-Tunisien Tarak Ben Ammar a bâti un empire unique dans le monde arabe, entre films à grand spectacle et télévision. Alors que la santé financière de ses entreprises est mise en question, il lève le voile sur ses affaires.

Tarak Ben Ammar a bâti un empire audiovisuel dans le monde arabe. © AFP

Tarak Ben Ammar a bâti un empire audiovisuel dans le monde arabe. © AFP

Julien_Clemencot

Publié le 30 novembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Le 23 novembre, Tarak Ben Ammar, 62 ans, aura sans doute remisé pour quelques heures son attitude décontractée de capitaine d’industrie. À partir de 14 heures, le Franco-Tunisien connaîtra les premiers chiffres du démarrage en salles de sa dernière superproduction, Or noir, réalisée en Tunisie et au Qatar par Jean-Jacques Annaud. Un projet de plus de 55 millions de dollars (près de 41 millions d’euros) mettant en scène les débuts de l’exploitation pétrolière dans les années 1930 en Arabie saoudite, sur fond de rivalité tribale. Projeté en ouverture du festival de Doha-Tribeca en octobre, le film entame sa carrière en France. Suivront ensuite, sur sept mois, la Suisse, la Belgique, la Russie, la Chine, l’Italie, l’Espagne… En tout, plus de 5 000 salles dans le monde le mettront à l’affiche. « Quel que soit le succès du film, le risque est minime, affirme l’intéressé à Jeune Afrique, à quelques jours de la sortie. Je ne démarre pas un projet s’il n’est pas financé à 80 %. » Un budget bouclé grâce à la participation de l’Institut du film de Doha (30 %), mais aussi d’Universal et de Warner Bros.

Il n’a pas toujours bon goût, mais sans lui il n’y aurait pas d’industrie du cinéma dans notre pays.

Un réalisateur tunisien

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Une fête que Tarak Ben Ammar ne veut pas voir gâchée par un article de presse paru récemment et « cherchant à [lui] nuire » en mettant en relief les déboires de ses entreprises françaises de postproduction. Début novembre, LTC et Scanlab ont été placés en redressement judiciaire. « Cela va les protéger de leurs créanciers pendant six mois. Dans l’intervalle, grâce à l’État, qui aide les entreprises à numériser leurs films en prenant en charge 70 % du coût [500 millions d’euros ont été débloqués sur dix ans, NDLR], elles auront rempli leurs carnets de commandes », assure-t-il. L’appui des pouvoirs publics lui permettra en outre de valoriser son propre catalogue de 500 films qui lui rapporte déjà 20 millions d’euros par an.

Ami des milliardaires

Passé maître dans l’art du déminage médiatique, l’homme craint-il malgré tout les effets pernicieux des rumeurs ? Tarak Ben Ammar, producteur en son temps de Michael Jackson, ami des milliardaires, de Vincent Bolloré au prince Al-Walid Ibn Talal, se défend en tout cas mordicus d’être en difficulté : « Faire croire que mes affaires vont mal est un mensonge. Mon groupe est solide. Il réalise plus de 250 millions d’euros de chiffre d’affaires pour un bénéfice de 25 millions. Surtout, aucune de mes sociétés n’a d’endettement bancaire. D’importants fonds d’investissements me sollicitent d’ailleurs afin d’entrer dans mon capital. Pour répondre à leurs demandes, Quinta Communications [créé en 1989 avec Silvio Berlusconi et l’homme de médias allemand Leo Kirch, décédé en 2011] consolidera toutes mes activités à partir de la fin 2012. »

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Membre des conseils d’administration de Mediobanca et de Telecom Italia, Tarak Ben Ammar côtoie en Italie le gotha du patronat européen. C’est aussi là-bas qu’il possède ses activités les plus rentables. La péninsule est une seconde patrie pour ce fils de diplomate, ancien élève du Lycée catholique américain de Rome, intime de Berlusconi depuis leur rencontre en 1984. Partenaire exclusif de StudioCanal (groupe Canal +), sa société Eagle Pictures (69 millions d’euros de revenus en 2010) y distribue une vingtaine de films par an. Les succès sont inégaux, mais des réussites majeures comme Le Discours d’un roi (quatre oscars) la placent parmi les leaders du marché.

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Racines italiennes

C’est également du côté transalpin qu’il faut chercher en grande partie l’origine des fonds propres de Tarak Ben Ammar (145 millions d’euros pour sa maison mère). En 2002, sur ses conseils, Rupert Murdoch rachète Telepiù, le bouquet de chaînes de Canal + en Italie. L’affaire conclue, le magnat australo-américain des médias est contraint de céder deux fréquences hertziennes pour respecter les lois antitrust… et fait affaire, pour 110 millions d’euros, avec son ami et conseiller Tarak Ben Ammar, associé pour l’occasion à TF1. « Conformément à nos accords, j’ai ensuite racheté la part de TFI, puis revendu l’une des deux fréquences pour plus de 200 millions d’euros à un groupement d’entreprises du secteur des télécoms », explique-t-il. L’autre fréquence lui permet aujourd’hui d’exploiter le bouquet payant de télévision numérique terrestre (TNT) Dfree, qui compte près de 3 millions d’abonnés, pour un chiffre d’affaires d’environ 50 millions d’euros.

Devenu en Italie une personnalité du monde des affaires, Tarak Ben Ammar y est, plus encore qu’en France, sous le feu des médias. Au mois de mars dernier, l’homme a ainsi dû affronter les journalistes concernant la présence (10 %) dans le capital de son holding Quinta Communications du fonds souverain libyen Libyan Investment Authority. « Si cette participation devait être interprétée comme le signe d’un soutien de Kadhafi, il conviendrait de joindre à la liste des protégés du dictateur déchu les sociétés Vodafone, BP, Royal Dutch Shell, Pfizer, Alcatel, Lagardère, EDF, BNP Paribas, Nestlé… », plaide-t-il. Partenaire encombrant pour les uns, le fonds libyen est un allié idéal pour Tarak Ben Ammar, désireux désormais de faire la promotion de la culture arabe.

À preuve de son engagement, après avoir produit de nombreux films bibliques, il se consacre maintenant en priorité à des projets qui intéressent le monde musulman, comme Et maintenant on va où ? de Nadine Labaki ou Hors-la-Loi de Rachid Bouchareb. Il est également conseiller de l’Institut du film de Doha. « Si vous voulez jouer le jeu de Hollywood, ne les laissez pas vous voir comme un payeur de chèques, imposez vos propres histoires », lançait-il en 2010 aux élites du Golfe lors du festival d’Abou Dhabi.

Symbole

Pour asseoir sa crédibilité, l’homme n’hésite pas à étaler sa réussite en Tunisie. Propriétaire de deux studios dans son pays natal, il dirige aussi un prestataire technique de postproduction dont le service est « équivalent aux sociétés françaises ». En trente-cinq ans, il revendique surtout l’organisation de 65 tournages qui ont rapporté 650 millions d’euros en devises à la Tunisie. Parmi les grands noms du septième art passés par ses studios : Chabrol, Spielberg, Lucas, Polanski ou encore Zeffirelli. « Il n’a pas toujours bon goût, promet beaucoup, mais sans lui il n’y aurait pas d’industrie du cinéma dans notre pays », admet, un brin admiratif, un réalisateur tunisien.

Pourtant, l’investissement qui excite le plus son intérêt actuellement en Tunisie, c’est Nessma TV, dont il est actionnaire depuis 2009 aux côtés de Berlusconi et de Nabil et Ghazi Karoui. « En 2011, nous réaliserons notre meilleur résultat avec 15 millions d’euros de recettes. Et l’an prochain nous ferons des bénéfices, avec deux ans d’avance sur nos prévisions », assure Tarak Ben Ammar. Une montée en puissance illustrée par le carton plein réalisé lors du dernier ramadan et que la polémique avec les islamistes après la diffusion de Persepolis ne semble pas entraver.

Mais au-delà de ses performances, Nessma TV est surtout pour Tarak Ben Ammar un symbole. Celui de son engagement – récent – pour une Tunisie démocratique. Sous l’impulsion de ses actionnaires, la chaîne a été, dès le 30 décembre 2010, la première à médiatiser les événements de Sidi Bouzid. L’initiative avait d’ailleurs valu à Nessma TV une menace de fermeture. « À l’opposé d’une quelconque proximité avec Ben Ali, comme certains ont pu l’affirmer », souligne-t-il. Courageux, sans doute, mais surtout fin stratège. Ben Ali, déjà affaibli, pouvait-il véritablement s’en prendre à l’ami fidèle d’un certain Silvio Berlusconi ?

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