France : Nicolas Sarkozy ou le syndrome Giscard
L’ancien président français rêvait de moderniser la démocratie et d’imposer un style de gouvernement en rupture complète avec celui de ses prédécesseurs : en 1981, il échoua à obtenir un second mandat. À certains égards, son aventure n’est pas sans évoquer celle de Nicolas Sarkozy…
Il aura suffi que Jean-Pierre Chevènement annonce sans surprise sa candidature à la présidentielle pour réveiller la crainte à gauche, et l’éventualité dans les médias, d’une finale de 2002 à l’envers, avec Nicolas Sarkozy dans le rôle de Lionel Jospin. Conjecture aventureuse. Si Marine Le Pen demeure à un niveau jamais atteint par son père, elle ne progresse plus et perd même des points dans certaines enquêtes. Quant à Chevènement, peu assuré de retrouver le million et demi de voix qui priva les socialistes de second tour, le PS ne désespère pas de le récupérer, comme Nicolas Sarkozy l’a fait avec Jean-Louis Borloo.
Une autre comparaison semble plus actuelle, en tout cas plus riche d’enseignements : celle du septennat de Valéry Giscard d’Estaing (1974-1981) et de la défaite du leader de la droite libérale « avancée » face à l’union de la gauche requinquée, comme aujourd’hui, par ses victoires locales et sénatoriales.
Le programme
Giscard et Sarkozy accèdent au pouvoir sur la même promesse non seulement de changer la politique, banalité de toute campagne, mais aussi de moderniser la démocratie. « Décrisper, pacifier, transcender les clivages par le dialogue républicain » sont les maîtres mots de VGE. Quitte à passer pour « un incorrigible idéaliste », selon ses propres termes, il entrouvre les portes de l’Élysée à l’opposition en invitant les dirigeants socialistes et communistes à s’entretenir avec lui des grandes affaires du moment. Et il est le premier chef d’État à faire entrer au gouvernement des personnalités de la société civile (Jean-Jacques Servan-Schreiber, Françoise Giroud) connues pour leur sensibilité de centre gauche. Sarko confesse lui aussi sa « détestation de la haine en politique », promet « écoute, concertation, débat, pédagogie », accentue la féminisation du gouvernement commencée sous Giscard, et va beaucoup plus loin dans l’ouverture – « le débauchage », selon le PS – en réservant d’importants portefeuilles à des socialistes.
Les pouvoirs
Les deux hommes se rejoignent également dans leur pratique de la gouvernance, malgré des différences de conception qu’estomperont très vite les difficultés de l’action quotidienne. Giscard attache une telle importance au choix du Premier ministre qu’il le compare à « l’engagement d’une opération militaire ». Après le départ de Matignon de Jacques Chirac, il désigne Raymond Barre pour « mettre de l’ordre dans les finances », selon la formule de Colbert.
On ne reviendra pas ici sur la doctrine sarkozienne de la redistribution des pouvoirs, qui allait installer à l’Élysée une hyperprésidence officiellement reconnue sans être institutionnellement validée. Dans les faits, l’évolution ne change guère le fonctionnement du régime. VGE est à peine installé à l’Élysée que toute une partie de sa majorité gaulliste retourne contre lui l’accusation d’exercice solitaire du pouvoir qu’il avait lancée contre de Gaulle. Chirac démissionnera en expliquant rageusement à la télévision qu’il n’a jamais disposé des moyens de gouverner.
L’autonomie laissée à Barre ne changera rien à ce procès de fond, pas plus, à l’inverse, que les prérogatives qui seront retirées par Sarkozy à François Fillon. Quelle que soit la configuration des pouvoirs, le chef de l’État, sous la Ve République, est tenu pour seul responsable, par l’opposition comme par l’opinion, des résultats de la politique qu’il incarne et assume. Une différence majeure, toutefois : Sarkozy a pu compter à tout moment sur l’appui d’un Premier ministre qui réussit cette performance de rester plus populaire que lui tout en appliquant loyalement sa politique. Barre n’a cessé au contraire de tirer Giscard vers le bas en se targuant de son impopularité et en s’employant à l’aggraver, qu’il fustige « les porteurs de pancartes » pendant les grèves ou dénonce les revendications des « nantis » de la fonction publique.
En vain Giscard le met-il en garde contre ses prophéties alarmistes : « Vous risquez de pousser les électeurs au mauvais choix. » Barre n’en a cure, annonce à cinq mois encore de l’élection « les années les plus dures pour la France depuis la Seconde Guerre mondiale », assure à son interlocuteur qu’il sera réélu mais avec une majorité réduite, tout en lui conseillant d’utiliser la campagne pour dire la vérité aux électeurs sur l’urgence du redressement financier. Cœur à gauche, portefeuille à droite… Trente ans après, le dilemme est plus actuel que jamais.
Le style
Si dissemblables soient-ils dans leur personne et leur personnage, VGE et Sarkozy ont en commun d’avoir compris l’importance du style pour à la fois se démarquer de leurs prédécesseurs et se singulariser aux yeux de l’opinion. Rien n’est assurément plus opposé que la façon dont ils s’y prennent, quand par exemple Giscard tend la main aux détenus d’une prison lyonnaise et que Sarko tend le poing à un pêcheur en colère du Guilvinec, défié d’en découdre avec lui dans l’instant. Mais l’intention est la même : aller sur le terrain pour retrouver la proximité des gens. Et le résultat l’est aussi, malheureusement : Sarkozy ne sera pas moins critiqué pour la vulgarité de ses manières et son manque de dimension présidentielle que Giscard l’avait été pour la superficialité de ses gadgets et la dérive aristocratique de ses comportements. « Il a fait perdre nos idées sur sa personne », écrira cruellement Jean d’Ormesson. De quoi faire siffler les oreilles de Sarko.
Les sondages
Giscard a été battu alors que le nombre de Français satisfaits de son action l’emportait largement depuis le début de son septennat sur celui des mécontents (baromètre Ifop). À la fin de 1980, 51 % d’entre eux déclarent faire confiance à un « assez bon président » dont le bilan est jugé par 43 % « plutôt positif ». Il faudra attendre le soixante-quinzième mois de son règne élyséen pour que la situation se renverse d’un coup, avec 1 point de plus de mécontents. Elle ne cessera de se détériorer jusqu’à la veille de l’élection, malgré une trompeuse remontée-rémission de 5 points en avril dans une fourchette toujours négative qui achève cependant de le rassurer. Car pas plus que Sarko aujourd’hui il n’a douté de sa réélection.
Ce dernier présente au contraire un cas d’impopularité unique dans l’histoire de la Ve : son état de grâce postélectoral n’aura duré que sept mois. Dès janvier 2008, les mécontents l’emportent sur les satisfaits avec une soudaineté littéralement renversante, puisque le ratio passe d’un coup de 52,47 % à 47,52 %. S’ensuivront, autre phénomène inédit, quarante-six mois de dégringolade dans les sondages, avec traduction automatique dans les intentions de vote, qui le donnent perdant quel que soit son adversaire socialiste, jusqu’à son déficit record de 14 (Ifop) à 22 points (BVA) face à François Hollande.
Malchance
En dépit des reproches qui peuvent leur être légitimement adressés, force est de reconnaître que ni Giscard ni Sarkozy n’ont été servis par les circonstances : leur action à la tête de l’État a très vite été plombée par des crises économiques planétaires.
Le premier encaissa de plein fouet les conséquences de deux chocs pétroliers – augmentation des prix et contingentement de la production – qui se traduisirent par une spectaculaire envolée du nombre des chômeurs dits « structurels » : 1 million en 1977, 2 millions en 1982, 3 millions en 1993…
Dès l’automne 2008, le second fut pris dans la tourmente d’une crise financière à rebondissements qui rendit vain tout espoir de relèvement du pouvoir d’achat, qu’il était pourtant résolu à arracher « avec les dents ». On appelle ça la déveine, la poisse, le guignon… À l’inverse, Lionel Jospin bénéficia à Matignon de 1997 à 2002, lors de la troisième cohabitation, d’une forte relance de la croissance venue des États-Unis. S’il n’en tira pas le profit électoral escompté, la malchance n’y est pour rien.
C’est d’ailleurs une sorte de loi du régime que seuls les présidents victimes d’une cohabitation – Mitterrand d’abord, Chirac ensuite – en aient paradoxalement bénéficié pour se faire réélire. Une exception peut-elle chasser l’autre, et la crise de l’euro, par un autre paradoxe, va-t-elle sauver Sarkozy grâce au sévère programme de redressement qui devrait logiquement achever de l’abattre ?
Qu’on se rappelle les contorsions de langage des chefs de la droite pour éviter les mots diaboliques de « rigueur » ou d’« austérité » malgré les pressions des médias pour les leur arracher. Or voilà que le chef de l’État en revendique soudain l’inévitable urgence et demande aux Français d’en partager avec lui l’indispensable courage, au nom de la bonne vieille stratégie du capitaine dans la tempête. Et parce que de toute façon ils n’ont, pas plus que lui, d’autre choix. « Merci les Grecs ! » s’exclame un ministre à la pensée que la fameuse épée de Damoclès, rebaptisée « agences de notation », n’a jamais mieux justifié son emploi.
Conscient de la « violence » du désir de changement, VGE s’accordait une ultime chance de gagner s’il réussissait à lui substituer dans l’esprit des Français un désir non moins impérieux de « mouvement ». Il n’y parviendra pas, fragilisé par les séquelles de la lamentable affaire des diamants, affaibli surtout par l’opposition déclarée de Chirac et le lâchage de quelque 20 % d’électeurs gaullistes dûment incités à voter pour son rival.
Sarkozy n’a pas à redouter une aussi mortelle division de son camp. Tardivement bénéficiaire de la métamorphose de son style et de son image – que n’a-t-il toujours été ce qu’il est enfin devenu ! –, dopé par sa surexposition médiatique tout au long du G20 et son duo de congratulations réciproques avec Barack Obama, il opère dans les sondages une remontée de faible ampleur (+ 1 %), mais encourageante par ses motifs (+ 4 pour la défense des intérêts de la France à l’étranger) sans toutefois déloger Hollande de sa position en tête. Son pari est autrement plus audacieux et incertain que celui de Giscard en 1981 : faire d’une obligation nationale de sacrifices un devoir de morale politique pour le chef de l’État afin d’en obtenir un ultime bénéfice électoral ; et empêcher surtout qu’après quatre années de constant rejet l’opposition anti-Sarko - pro-Sarko ne prenne le pas sur l’affrontement gauche-droite. C’est tout l’enjeu de ce risque calculé, à supposer qu’il y ait encore une place pour le calcul dans cette période hors normes, sans perspectives ni repères, où tout peut être à tout moment remis en question.
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