Islamistes et nationalistes algériens : alliés d’hier, rivaux de demain

Coalisés depuis plus de dix ans en algérie, islamistes et nationalistes s’entredéchirent aujourd’hui dans la perspective des élections législatives de mai 2012… et de l’après-Bouteflika.

De g. à dr. : Abdelaziz Belkhadem (FLN), Bouguerra Soltani (MSP) et Ahmed Ouyahia (RND). © Samir Sid pour J.A

De g. à dr. : Abdelaziz Belkhadem (FLN), Bouguerra Soltani (MSP) et Ahmed Ouyahia (RND). © Samir Sid pour J.A

Publié le 29 novembre 2011 Lecture : 4 minutes.

Le Printemps arabe semble avoir fait une victime collatérale en Algérie : l’Alliance présidentielle. Créée en février 2004, cette coalition islamo-nationaliste, qui détient une confortable majorité à l’Assemblée populaire nationale (APN), est en voie d’implosion. De sérieuses divergences de fond à propos des réformes politiques préconisées par le président Abdelaziz Bouteflika en matière de gouvernance et de pratique démocratique ont eu raison de cet improbable attelage. Selon le règlement intérieur de l’Alliance, les leaders des trois formations qui la composent doivent se réunir en sommet tous les trois mois, avec une présidence tournante à un rythme également trimestriel. Mais le dernier sommet remonte à décembre 2010, et Abdelaziz Belkhadem, secrétaire général du Front de libération nationale (FLN), en assure depuis la présidence en exercice. « Cela rappelle la moribonde Union du Maghreb arabe [UMA, NDLR], ironise un député islamiste. Kadhafi n’était-il pas président en exercice de l’UMA depuis plus de dix ans, date du dernier sommet de l’organisation régionale ? »

Tour à tour, les élus édulcorent les réformes lancées par le président.

Composée des islamistes du Mouvement de la société pour la paix (MSP, de Bouguerra Soltani) et des nationalistes du FLN et du Rassemblement national démocratique (RND, du Premier ministre Ahmed Ouyahia), cette coalition est antérieure à l’arrivée au pouvoir de Bouteflika, en avril 1999. Elle avait déjà servi de base politique à son prédécesseur, le général Liamine Zéroual (1995-1999). À l’époque, elle comprenait, outre le trio FLN-RND-MSP, les laïques du Rassemblement pour la culture et la démocratie (RCD, de Saïd Sadi, aujourd’hui dans l’opposition) et les réformistes du Parti du renouveau algérien (PRA, de Noureddine Boukrouh). En février 2004, la coalition devient une Alliance dont l’objectif est de faire réélire Bouteflika, « menacé » par une fronde au sein du FLN, qui avait investi son secrétaire général, Ali Benflis, à la présidentielle d’avril 2004. Benflis est alors débarqué par un « mouvement de redressement » emmené par Abdelaziz Belkhadem, et le FLN est neutralisé par sa « dilution » au sein d’une coalition sous contrôle. Depuis, l’Alliance a prospéré, fournissant la quasi-totalité des membres de l’exécutif, servant de porte-voix à la présidence et militant pour une révision de la Constitution en novembre 2008 pour permettre à Bouteflika de briguer un troisième mandat et de « parachever son œuvre », dixit Bouguerra Soltani. Pourquoi cet alliage islamo-conservateur n’a-t-il pas résisté au Printemps arabe ?

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L’intrusion des révolutions tunisienne et égyptienne dans l’actualité mondiale a bouleversé l’agenda politique en Algérie. Pour répondre aux demandes insistantes de changement, Bouteflika a annoncé, le 15 avril dernier, son intention d’introduire des « réformes politiques profondes ». Et le bel unanimisme qui caractérisait jusque-là l’Alliance de voler en éclats. En Conseil des ministres, les discussions autour des projets de loi sur les partis, les élections ou la participation des femmes dans la vie politique tournent à l’affrontement idéologique entre alliés. Pis : les débats parlementaires aggravent la fracture, au point que les députés de l’Alliance affichent leur hostilité aux réformes de Bouteflika. « Il n’y a plus d’“alliance”, s’amuse un député du Parti des travailleurs (PT, de Louisa Hanoune), quant à “présidentielle”, l’adjectif est de moins en moins approprié. » En effet, tour à tour, les élus de l’Alliance édulcorent les textes soumis par le président au Parlement. L’obligation faite aux ministres qui se présentent à la députation de démissionner trois mois avant le scrutin ? Elle est purement et simplement rejetée par les groupes parlementaires du FLN et du RND. Le quota de 30 % de femmes sur les listes électorales lors des législatives ou des municipales ? Les islamistes du MSP réussissent à le ramener à 20 %. L’interdiction du nomadisme politique ? Les trois groupes parlementaires se donnent en spectacle en affichant leurs divergences, parfois entre élus du même bord. Bref, une image affligeante.

Guerre des ego

L’Alliance pâtit aussi de la proximité des législatives de mai 2012. Rivaux chassant sur les mêmes terres, les trois alliés sont amenés à s’entredéchirer, la logique électorale les conduisant à se dénigrer les uns les autres. Convaincus d’être la première force politique du pays – victime de fraudes lors des dernières législatives –, les Frères musulmans du MSP, sur un nuage depuis la victoire d’Ennahdha en Tunisie et l’avènement du Conseil national de transition (CNT) en Libye, multiplient les sorties hostiles à l’égard de leurs partenaires. Pour masquer la dissidence qui mine le FLN, Belkhadem attaque volontiers le RND en s’en prenant ouvertement au gouvernement que dirige Ahmed Ouyahia et dont il est lui-même membre (certes à la tête d’un maroquin spécial de représentant personnel du président de la République). Mais plus encore que les divergences idéologiques (les lignes de séparation étant si ténues) et les rivalités électorales, ce sont les ego et les ambitions des trois leaders qui ont conduit à l’implosion de l’Alliance.

Autre conséquence du Printemps arabe : Abdelaziz Bouteflika ne briguera sans doute pas un quatrième mandat en 2014. D’autant qu’au nouveau contexte régional est venu s’ajouter l’état de santé précaire du président, révélé au grand jour le 15 avril lors de son adresse à la nation. Le chef de l’État y était apparu très affaibli. Dès lors, aux yeux des patrons de l’Alliance, sa succession était ouverte. Les alliés d’hier ont pris conscience qu’ils sont devenus les rivaux de demain.

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