Mali : Soumaïla Cissé en course pour la présidentielle
Au Mali, ils seront nombreux à se disputer la succession du chef de l’État, le 29 avril 2012. Parmi les favoris, Soumaïla Cissé, l’ex-patron de l’UEMOA, convaincu que cette nouvelle tentative sera la bonne.
Rarement élection présidentielle au Mali n’aura aiguisé autant d’appétits. En 2007, conscients de ne pas peser bien lourd face au président sortant, beaucoup avaient jeté l’éponge. Au premier tour, ils n’avaient été « que » huit à prendre le risque d’affronter Amadou Toumani Touré (ATT) dans les urnes. Le 29 avril 2012, il en sera tout autrement tant les candidatures – déjà officialisées ou attendues – sont nombreuses depuis que le chef de l’État a confirmé qu’il ne tenterait pas d’aller au-delà de deux mandats. « Grands » ou « petits » candidats, ils devraient être une vingtaine à se lancer dans la bataille.
Parmi eux, Soumaïla Cissé, 61 ans. Jusqu’en mars dernier, il présidait la Commission de l’Union économique et monétaire ouest-africaine (UEMOA). En 2002, lâché par son parti de l’époque, l’Alliance pour la démocratie au Mali (Adema), il avait dû s’incliner face à ATT au second tour. Cette fois-ci, il portera les couleurs de l’Union pour la République et la démocratie (URD) – une formation qu’il a créée en 2003.
Jeune Afrique : Vos fonctions à l’UEMOA vous ont éloigné du Mali pendant huit ans. N’est-ce pas un handicap quand on brigue la magistrature suprême ?
Soumaïla Cissé : Pas du tout ! J’ai acquis une expérience internationale et j’ai eu des contacts riches et variés dans tous les pays que j’ai sillonnés. Pour diriger le Mali, il faut bien connaître les peuples qui nous entourent et leurs dirigeants. De toute façon, je suis resté proche du Mali et des défis auxquels il est confronté.
Vous êtes le candidat de l’URD. Pouvez-vous compter sur sa fidélité ? En 2002, si vous aviez échoué, c’est aussi parce que votre parti de l’époque ne vous avait pas suffisamment soutenu…
Nous avons connu des crises au sein de l’URD, mais nous les avons surmontées. Notre parti est aujourd’hui la deuxième force politique du Mali [derrière l’Adema, NDLR]. Il est bien structuré et dynamique. C’est vrai que l’on n’est jamais à l’abri de surprises, mais il n’y a qu’à voir la façon dont ma candidature a été proposée et acceptée à l’unanimité par le bureau exécutif et par l’ensemble des sections et des militants pour être optimiste.
Que diriez-vous du bilan d’ATT ?
Qu’il est globalement positif. On peut mettre au crédit du président d’avoir su préserver la paix sociale et développé les infrastructures. Toutefois, il y a eu un certain nombre d’affaires de détournement de fonds et il y a des progrès à faire en matière de gouvernance publique. La justice s’est saisie de la plupart des dossiers, mais elle tarde à conclure. Il faut faire en sorte que les enquêtes ouvertes soient traitées avec diligence. On peut aussi regretter que, pendant ces dix dernières années, il n’y ait pas vraiment eu de débats contradictoires à l’Assemblée nationale.
Les performances économiques du Mali sont-elles satisfaisantes ?
Le pays affiche depuis quelques années un taux de croissance supérieur à la moyenne ouest-africaine [environ 5 % par an], mais il ne permet pas de réduire significativement la pauvreté. Il nous faudrait au moins 7 % de croissance, et nous pouvons le faire en investissant davantage et en exploitant mieux nos ressources. Dans l’agriculture, par exemple, nous devons attirer plus d’investissements privés dans l’Office du Niger pour faire du Mali le grenier de la sous-région, mais ce doit être fait en préservant les intérêts des populations locales. Le développement du secteur, combiné au développement du secteur des services et à une amélioration de la gouvernance économique, nous permettra de créer des emplois.
La présence d’Aqmi (Al-Qaïda au Maghreb islamique) dans le nord du Mali n’est-elle pas un échec d’ATT ?
Je ne pense pas. Les régions sahéliennes sont très vastes et aucun des pays concernés n’a les moyens de faire face seul à la menace terroriste. Je comprends que le président veuille fédérer tout le monde autour d’une solution : partir en guerre demande des moyens humains et techniques que nous n’avons pas forcément.
Êtes-vous de ceux qui affirment que le prochain président du Mali sera le candidat qui aura le soutien d’ATT ?
De fait, on peut présumer que son engagement pourrait orienter des votes. Mais je pense qu’il va rester équidistant des candidats, parce qu’il a un rôle d’arbitre et qu’il va s’efforcer d’organiser des élections le plus transparentes possible. C’est dans cette démarche-là que nous devons le soutenir, au lieu de l’inclure dans des petits calculs politiciens !
Vous l’aviez soutenu en 2007. N’attendez-vous pas qu’il fasse de même ?
Je n’attends rien. Je l’ai soutenu parce que j’estimais qu’il fallait l’aider à continuer le travail qu’il avait commencé.
On vous reproche d’être un technocrate coupé des réalités des Maliens. Que répondez-vous à cela ?
Ce n’est pas juste ! Je pense pouvoir dire que je suis un de ceux qui connaissent le mieux le Mali. J’ai commencé ma carrière à la CMDT [Compagnie malienne pour le développement des textiles]. J’ai été, pendant une dizaine d’années, directement en contact avec le monde rural. Je connais ses problèmes. En tant que ministre des Finances puis de l’Équipement, je ne me suis pas contenté d’aller à Paris ou à New York, j’ai sillonné le pays en entier à la rencontre des populations.
Un cadre de votre parti, l’ancien ministre de la Santé Oumar Ibrahima Touré, est inculpé dans une affaire de détournement de fonds. Quelle est votre position par rapport à cette affaire ?
Inculpé ne veut pas dire coupable. Il y a une présomption d’innocence qu’il faut respecter. Nous faisons confiance à la justice, mais nous donnons aussi crédit à la bonne foi de notre camarade.
Dans le passé, vos relations avec Dioncounda Traoré, de l’Adema, et Ibrahim Boubacar Keïta, également candidats à cette présidentielle, ont souvent été conflictuelles. Qu’en est-il aujourd’hui ?
Nous entretenons de bons rapports. Nous nous parlons très souvent et nous nous voyons en cas de besoin. Cela dit, nous restons des concurrents, et chacun va fourbir ses arguments pour essayer de conquérir le maximum d’électeurs. Mais tout cela n’empêchera pas la courtoisie, car, après, nous serons amenés à travailler ensemble.
Comment voyez-vous les relations entre la nouvelle Libye et le Mali ?
Il faut savoir que les investissements libyens sont nombreux au Mali. Ils ont permis de financer des projets qui sont soit achevés, soit sur le point de l’être. Pour ce qui est des projets dont les financements n’avaient pas encore été débloqués, nous engagerons des négociations avec les nouvelles autorités libyennes et, en cas de difficultés, nous pourrons être amenés à chercher d’autres sources de financement. Mais la question la plus importante concerne les Maliens de Libye. Certains ont acquis la nationalité libyenne et se sont engagés dans l’armée de ce pays. Aujourd’hui, ils reviennent au Mali avec, parfois, des armes très sophistiquées. Ceux-là, il faut trouver un moyen de les aider à reprendre une nouvelle vie pour que la paix ne soit pas menacée. Pour ceux qui travaillent et vivent en Libye, nous devons veiller à ce qu’ils soient bien traités.
Vous avez travaillé pendant plusieurs années avec les présidents des États de l’UEMOA. Certains vous ont-ils apporté leur soutien ?
Il ne s’agit pas de me faire adouber, mais on peut dire que je n’ai pas senti d’hostilité particulière lorsque je leur ai annoncé mes ambitions, et c’est ce qui compte.
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Propos recueillis à Bamako par Stéphane Ballong
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