Présidentielle gambienne : Jammeh guéri ?
De nouveau candidat à sa propre succession, le 24 novembre, le chef de l’État Gambien Yahya Jammeh tente de lisser l’image d’autocrate ubuesque qui lui colle à la peau. Mais a toujours du mal à s’accommoder du respect des droits de l’homme.
Pour souhaiter la bienvenue à Banjul, exhorter les automobilistes gambiens à la prudence ou mettre en garde la population contre la corruption, Yahya Jammeh, 46 ans, affiche un sourire bienveillant. Au diable les accusations de charlatanisme, de violation des droits de l’homme et des libertés individuelles : le président gambien, dont les portraits réalisés à l’occasion de la célébration de son anniversaire, le 25 mai dernier, bordent encore les grandes artères de la capitale et de ses environs, ne s’émeut point des critiques. Candidat à sa propre succession sous la bannière de l’Alliance for Patriotic Reorientation and Construction (APRC), le 24 novembre prochain, l’ancien lieutenant qui, le 22 juillet 1994, renversa sans effusion de sang le premier président de la Gambie, Dawda Jawara, règne en maître absolu sur son petit pays (11 300 km2 et 1,8 million d’habitants).
« Son action est basée sur la patience et la persévérance. Il dit souvent que la reconnaissance [internationale] viendra ensuite », assure Mamadou Tangara, son ministre des Affaires étrangères, tandis que près de 800 000 Gambiens sont appelés aux urnes. « Sa seule préoccupation est son peuple, qu’il veut sortir de la pauvreté et de l’ignorance. Quand il a pris le pouvoir, il n’y avait ni université ni télévision. Ses résultats sont visibles », ajoute, enthousiaste, un autre membre du gouvernement.
L’opposition lui reproche d’avoir placé des proches à tous les postes clés.
Près de 59 % de la population vit encore au-dessous du seuil de pauvreté, mais ce paradis pour touristes occidentaux (140 000 Suédois, Britanniques ou Danois se prélassent chaque année sur ses plages) affiche des performances économiques inégalées dans la sous-région, avec un taux de croissance supérieur à 6 % en 2010 et de 5,5 % en 2011, selon le Fonds monétaire international (FMI) – dynamisme porté par les services, l’agriculture et l’industrie. Des chiffres qui ne font pas oublier qu’en matière de droits de l’homme et de liberté d’expression la Gambie a encore des progrès à faire.
Le chaud et le froid
Fait inédit cette année, la radio d’État a été autorisée à recevoir, avant le démarrage de la campagne électorale fixé au 12 novembre (et en direct de surcroît), les principaux opposants au président gambien, Ousainou Darboe, Hamat Bah et Halifa Sallah, qui ont enfin pu s’exprimer librement. En mars dernier, Yahya Jammeh avait aussi rencontré, pour la première fois, quelques patrons de presse. Interpellé sur la nécessité de revoir les lois sur la presse, qui prévoient des amendes de 1 à 5 millions de dalasis (de 24 000 à 120 000 euros) et des peines d’emprisonnement allant jusqu’à deux ans pour diffusion de fausses nouvelles et qui fixent les conditions de création d’un journal, il n’a toutefois pas réagi, préférant rappeler aux journalistes l’importance de la vérification des informations avant publication… Le régime gambien est ainsi. Il souffle le chaud et le froid.
Le 31 octobre, Saikou Ceesay, un journaliste du quotidien progouvernemental Daily News, a été arrêté et interrogé sur ses relations avec un de ses confrères en exil, puis relâché quelques jours plus tard tandis que s’ouvrait le procès pour « trahison » d’Amadou Scattred Janneh, ancien ministre de l’Information. Dans un rapport daté du mois de juillet 2011, l’Observatoire pour la protection des défenseurs des droits de l’homme (indépendant), tout en soulignant la diminution des cas de violence physique, dénonce les intimidations et les arrestations dont sont victimes les acteurs de la société civile. On se souvient qu’en 2009 Yahya Jammeh avait choqué l’opinion publique internationale en menaçant de mort les « ennemis du régime » et les homosexuels.
Selon ses proches, évidemment, le chef de l’État ne brime personne. « L’ordre et la discipline lui sont tout simplement chers. La Gambie est un pays sûr. C’est pourquoi il y a beaucoup de touristes et de conférences », affirme l’un d’eux. Il est vrai que les agressions et les actes de grand banditisme à Banjul et dans ses environs sont rares. Mais cela ne suffit pas pour ses adversaires politiques.
« Il a placé à tous les postes stratégiques des personnes de son choix sans aucune concertation, déplore Halifa Sallah, de la People’s Democratic Organisation for Independence and Socialism (PDOIS), candidat malheureux à la présidentielle de 2006 avec moins de 6 % des suffrages. Yahya Jammeh contrôle tout : le gouvernement, la justice, les forces de sécurité… Il démet qui il veut quand il veut. » Quant à Ousainou Darboe (26,69 % des voix en 2006), il s’inquiète de la mainmise du chef de l’État sur l’économie. Selon le leader du United Democratic Party (UDP), en lice pour la prochaine élection, le jeune officier sans le sou arrivé aux commandes il y a dix-sept ans en promettant de développer le pays et d’assurer un partage équitable des richesses est devenu multimillionnaire. « Alors que les Gambiens peinent à trouver de quoi se nourrir, le président possède tous les business du pays, que ce soit dans le tourisme, l’agriculture ou le bâtiment », accuse l’opposant.
Guérisseur, "médecin" ayant percé le mystère du sida, de l’obésité et de l’érection, Yahya Jammeh a tout du dictateur délirant, imprévisible et violent. Il a promis de couper la tête aux homosexuels pour nettoyer la société gambienne. Paranoïaque, il se dit prêt à tuer quiconque chercherait à déstabiliser le pays, en premier lieu les défenseurs des droits de l’homme et les journalistes, ces empêcheurs de tourner en rond.
Reporters sans frontières, Mai 2011
Jammeh, un autocrate trop gourmand ? « Non, protestent ses collaborateurs. Nous demandons aux populations de respecter les règles. Mais c’est difficile, car elles sont encore peu éduquées et pas toujours conscientes de leurs devoirs. La première université de Gambie a été construite en 1998 et, bien que de nombreuses écoles aient été bâties, le pays manque encore d’enseignants qualifiés. » Pour eux, on ne peut pas non plus reprocher au président de placer des personnes de confiance aux postes stratégiques ou de s’approprier toutes les bonnes affaires. « Partout les chefs s’entourent de personnes de confiance. Pourquoi pas ici ? » s’interroge Yancouba Colley, directeur de campagne de Yahya Jammeh, tandis qu’un autre proche du pouvoir soutient que son implication dans l’agriculture est bénéfique : « Grâce à la ferme de Kanilai, créée dans son village natal après la prise du pouvoir, il y a sur le marché des produits frais de qualité à de très bons prix », dit-il.
Il dit souvent que la reconnaissance (internationale) viendra ensuite.
Mamadou Tangara, ministre des Affaires étrangères
Le président gambien, également ministre de l’Agriculture, est issu d’une famille de cultivateurs diola. « C’est un homme simple », jurent ses admirateurs, qui, convaincus qu’il détient des pouvoirs mystiques, citent des cas de guérison du sida ou de fractures remises instantanément grâce à des incantations. Mais les miraculés ne sont pas faciles à trouver, et Jammeh, même s’il affirme toujours pouvoir soigner les personnes souffrant de diabète, d’impuissance ou du VIH, est devenu plus discret sur sa pratique de la médecine traditionnelle.
Une image qui colle à la peau
En 2007, les images du président gambien enduisant d’onguents mystérieux des malades du sida avaient fait le tour du monde, mais ses collaborateurs préfèrent aujourd’hui vanter son sérieux et sa bonne connaissance des dossiers. « Il assiste aux réunions du Conseil des ministres et interpelle les participants sur les questions sensibles. Il arrive même qu’il fasse des visites impromptues dans les bureaux », affirme un cadre du ministère de l’Économie et des Finances.
Il faudra encore du temps et beaucoup de changements pour que la réputation de la Gambie et de son dirigeant s’améliore. Comme Kadhafi avant lui, Jammeh aura du mal à se départir de cette image de dirigeant excentrique et autoritaire. Les points communs, affirme-t-on à Banjul, s’arrêtent là. Selon son entourage, le président gambien avait d’ailleurs annoncé, dès la fin de l’année 2010, la chute du « Guide » libyen. Il a également été le premier pays africain, devant le Sénégal, à reconnaître la légitimité du Conseil national de transition (CNT).
___
Cécile Sow, envoyée spéciale à Banjul
La Matinale.
Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.
Consultez notre politique de gestion des données personnelles
Les plus lus
- Au Mali, le Premier ministre Choguel Maïga limogé après ses propos critiques contr...
- CAF : entre Patrice Motsepe et New World TV, un bras de fer à plusieurs millions d...
- Lutte antiterroriste en Côte d’Ivoire : avec qui Alassane Ouattara a-t-il passé de...
- Au Nigeria, la famille du tycoon Mohammed Indimi se déchire pour quelques centaine...
- Sexe, pouvoir et vidéos : de quoi l’affaire Baltasar est-elle le nom ?