Photographie : le Marocain Khalil Nemmaoui dessine avec la lumière
Le Marocain Khalil Nemmaoui a remporté le prix de la Francophonie des Rencontres de Bamako, organisées par le ministère de la Culture du Mali et l’Institut français. Rencontre.
Et soudain, malgré la chaleur de ce début d’après-midi, Khalil Nemmaoui se lève pour mimer la séance de photos que Mohammed VI lui a accordée en 1999. Il avance, recule, décrit l’enceinte du riad et le monarque souriant entre les deux femmes venues le saluer… « Ce moment a changé ma façon de faire des portraits et de communiquer, explique le photographe. Trois de mes boîtiers sont tombés en panne – enfin… je ne savais plus les utiliser. Heureusement, mon vieux Hasselblad a amusé le roi et j’ai réussi à faire une trentaine de photos… » Aujourd’hui âgé de 44 ans, l’enfant de Beni Mellal (Moyen Atlas, Maroc), qui se dit « de plus en plus en paix avec [lui]-même », a fait du chemin. Dans une famille d’agriculteurs où « la notion d’art était quasi absente et la consommation d’images réduite », il aurait dû devenir ingénieur ou pharmacien. Pourtant, même s’il s’est rendu à Paris après le bac pour « la liberté, l’indépendance, les filles, la musique » et, accessoirement, les études, Khalil Nemmaoui n’a jamais choisi un métier. « Pendant longtemps, cela m’a posé un problème. Aujourd’hui, je considère que c’est une chance. J’ai progressivement éliminé ce que je ne voulais pas faire… »
Envie
De retour au pays au bout de trois ans, Nemmaoui est recruté par une boîte de communication (McCann Erickson), qu’il quitte très vite. « J’ai fait du rédactionnel, du traitement de l’image, mais à un certain moment cela m’a rebuté, raconte-t-il. Tu passes ta journée à mentir aux gens pour vendre… Je me sentais isolé. » « Qu’as-tu envie de faire, idéalement ? » lui demande alors un ami. « De la photo », répond celui qui possède un appareil depuis ses 12 ans et qui, tout jeune, fabriquait ses propres sténopés… « Fais-le ! »
Ainsi soit-il. Il démissionne, prend son appareil, puis part en reportage à Essaouira. Quand il propose son travail à Maisons du Maroc (groupe Caractères), le patron lui répond : « Je ne prends pas le reportage, mais je te prends, toi. » Pendant deux ans, en bossant sept jours sur sept, Nemmaoui apprend son métier… et reconnaît ses faiblesses. « Je n’ai jamais réussi à saisir l’instant décisif, dit-il. J’ai toujours besoin de temps. Je préfère patienter et dessiner avec la lumière. L’idée de reportage est quasi insupportable pour moi. » C’est l’époque des débuts de la presse libre ; les Marocains ont soif d’images. En 1996, il s’établit comme photographe indépendant, répond principalement à des commandes d’entreprises et mène en parallèle ses recherches artistiques. L’année suivante, il expose sa série Fragments d’imaginaire à l’Institut français de Casablanca, superposant des images de la ville et d’autres vues à la télévision. Pour l’Année du Maroc en France, en 1999, il couvre la reconstitution, sur la place de la Concorde, de la porte Bab Mansour de Meknès. Puis, en 2000, il travaille sur les bars européens de Casablanca pour Revue noire…
Terre
2001-2005 : période de doutes qui ne prend fin qu’avec la création du Festival de Casablanca, venu à temps pour « revaloriser la création ». Nemmaoui se lance dans une série de photos humanistes, Scènes de vie. Puis il rejoint de nouveau la France, pour deux ans, « pour des raisons personnelles » que l’on comprend difficiles. Ce séjour marquera un tournant. À son retour, il renoue avec la terre de son enfance et, encouragé par la commissaire d’exposition Mouna Mekouar, réalise sa série La Maison de l’arbre, qui pose un regard dénué de tout exotisme sur la banlieue de Casablanca… Désormais représenté par la galerie Shart, Nemmaoui travaille aujourd’hui sur La Ville affranchie, une série de photographies urbaines réalisées à l’heure de la rupture du jeûne, pendant le mois de ramadan, lorsque même les rues les plus animées se vident. Quant à cette fameuse photo de Mohammed VI réalisée en 1999, il la garde pour lui : « Le jour où elle sortira, elle ne m’appartiendra plus. »
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Par Nicolas Michel, envoyé spécial à Bamako
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