Maya Angelou : une rencontre avec l’Afrique

Grande dame de la lutte pour les droits civiques, l’Américaine Maya Angelou raconte, dans le cinquième tome de son autobiographie, l’étape africaine de son parcours : sa vie au Ghana, au début des années 1960. Un regard touchant de sincérité.

Maya Angelou et Oprah Winfrey. © Reuters

Maya Angelou et Oprah Winfrey. © Reuters

ProfilAuteur_TshitengeLubabu

Publié le 21 novembre 2011 Lecture : 5 minutes.

En 1962, Maya Angelou débarque à Accra, capitale du Ghana. Elle vient du Caire, où elle est arrivée deux ans plus tôt au bras du Sud-Africain Vusumzi Make, militant antiapartheid et représentant du Pan Africanist Congress (PAC) en Égypte. L’échec de son mariage pousse la jeune femme de 34 ans à changer de cap. Plutôt que de rentrer aux États-Unis, où elle est connue comme chanteuse, danseuse (dans l’opéra de Gershwin Porgy and Bess), actrice (Les Nègres, de Jean Genêt) et militante des droits civiques, elle décide de rester sur le continent, d’autant qu’elle a reçu une promesse d’embauche au ministère de l’Information du Liberia. En route, elle doit passer par Accra afin d’inscrire son fils à l’université. Mais, une fois sur place, elle tombe sous le charme du pays et décide d’y rester. Elle devient ainsi « l’un des quelque deux cents Africains-Américains de Saint-Louis, New York, Washington, Los Angeles, Atlanta et Dallas désireux d’accomplir le récit biblique » – c’est-à-dire le retour en Afrique – et établis depuis quelque temps au pays du populaire et charismatique Kwame Nkrumah. Formé aux États-Unis, ce dernier a ouvert les portes de son pays aux Africains-Américains. Il en a même invité un certain nombre à titre personnel. C’est le cas de William Edward Burghart Du Bois, l’un des pères du panafricanisme, à qui il a non seulement accordé la nationalité ghanéenne mais, surtout, confié le projet de rédaction d’une encyclopédie africaine.

Je savais à présent que mon peuple n’avait jamais tout à fait quitté l’Afrique.

La petite communauté africaine-américaine que Maya Angelou a rencontrée au Ghana était loin d’être homogène. Il y avait des familles d’instituteurs et d’agriculteurs installées à la campagne « dans l’espoir de se fondre dans le paysage ancestral ». Il y avait aussi des membres des Peace Corps et de l’USAid. Ceux-ci « inspiraient de la méfiance aux Ghanéens, et les Africains-Américains les évitaient aussi [car] trop souvent ils imitaient les manières de leurs anciens maîtres et traitaient les Africains comme les Blancs les avaient traités eux. Ils fréquentaient des Européens et des Blancs américains, leur léchaient les bottes avec une repoussante obséquiosité ». Il y avait aussi quelques hommes d’affaires et, enfin, « des émigrés politiques passionnés et volatils, voués corps et âme à l’Afrique et aux Africains, chez eux comme à l’étranger ». C’est à ce dernier groupe que l’auteure s’identifie.

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Mais ces Africains-Américains du Ghana souffrent moralement. Leur mal-être s’est installé à cause de l’indifférence des Ghanéens à leur égard. Ils auraient aimé être reçus de façon solennelle à l’instant où ils foulaient le sol africain. Cela ne s’étant pas produit, les Africains-Américains en ont conclu que leur retour aux sources n’était qu’un acte banal et que leur présence au pays de l’Osagyefo (« le Rédempteur ») Kwame Nkrumah n’avait eu aucun impact sur les autochtones. Maya Angelou l’avoue : « Nous tolérions mal d’être ainsi ignorés. » Cela ne l’empêchait pas d’admirer le Ghana, dirigé par des Noirs, « de la même façon qu’une jeune fille tombe amoureuse, pleine d’insouciance et ne cherchant pas à être payée de retour ».

En dépit de cette frustration qui les ronge, les Africains-Américains ne vont pas jusqu’à penser que la population leur est hostile. Ils n’assimilent pas cette « indifférence » à la ségrégation institutionnalisée dont leur communauté souffre aux États-Unis. Au Ghana, les Africains-Américains sont simplement des hommes et des femmes libres. Le problème majeur auquel ils sont confrontés est celui de la communication. Pour parler avec les Ghanéens, il aurait fallu connaître les langues locales ! Ce n’était pas le cas. Maya Angelou le reconnaît lorsqu’elle écrit : « Ils ne sont pas méchants, […] jamais méchants, seulement un peu distants, pour la plupart. Notre incapacité à parler leur langue pose un problème, évidemment. Sans langue commune, il est très difficile de communiquer. » Au cours des deux années qu’elle passe au Ghana, elle apprend donc le fanti… Grâce aux membres de l’élite locale qu’elle fréquente, elle obtient un poste d’assistante administrative adjointe à l’université du Ghana. La seule fois où les choses vont mal, c’est lorsque Nkrumah échappe à une tentative d’assassinat (il y en aura trois au cours de son règne). Après avoir accusé tous les impérialismes du monde, le pouvoir ghanéen se focalise sur celui des États-Unis et décrète que Washington a utilisé ses ressortissants noirs établis au Ghana pour attenter à la vie de l’Osagyefo… Une mise à l’index qui, bien qu’elle n’ait pas de conséquence fâcheuse, n’en demeure pas moins une source d’inquiétude pour les Africains-Américains.

Racines

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Véritable mine d’informations sur les nantis ghanéens de l’époque qui vivent avec ostentation dans des maisons qui ressemblent à des châteaux et roulent en limousine avec chauffeur, les Mémoires de Maya Angelou évoquent aussi le voyage de Malcolm X, en 1964, reçu in extremis par Nkrumah sur intervention de la veuve de Du Bois, ou encore la réconciliation manquée entre Malcolm X et Mohammed Ali, qui se sont croisés dans la cour d’un hôtel d’Accra, le dernier reprochant au premier d’avoir rompu avec son père spirituel, Elijah Muhammad.

Maya Angelou est rentrée aux États-Unis en 1964 pour travailler avec Malcolm X sur le projet de création de l’Organization of Afro-American Unity (OAAU), interrompu par l’assassinat de Malcolm X, en février 1965… En quittant le Ghana, elle écrivait : « Longtemps avant, on m’avait enlevée de force à l’Afrique. […] Ce second départ serait moins douloureux, car je savais à présent que mon peuple n’avait jamais tout à fait quitté l’Afrique. Nous avions chanté le continent dans nos blues, nous l’avions crié dans nos gospels, dansé dans nos breakdowns. En le transplantant à Philadelphie, à Boston et à Birmingham, nous avions changé sa couleur et modifié ses rythmes. Pourtant, c’était l’Afrique qui se pavanait dans nos hauts mollets bombés, se trémoussait dans nos derrières protubérants et crépitait dans notre rire ample et franc. »

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De retour aux États-Unis, elle continuera de se battre aux côtés de Martin Luther King et, poussée et encouragée par son ami écrivain James Baldwin, se lancera dans l’écriture. Aujourd’hui âgée de 83 ans, elle a donné naissance à une œuvre riche et variée de poète, de romancière, d’essayiste, de scénariste, d’actrice. Enseignée dans les écoles de son pays, plusieurs fois primée, invitée à travers le monde pour lire ses textes, Maya Angelou est une grande voix de l’Amérique. 

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