Affaire « Charlie Hebdo »  : une provocation inutile

Anthropologue des religions, traducteur du Coran chez Fayard

Publié le 17 novembre 2011 Lecture : 2 minutes.

Dans la récente affaire de Charlie Hebdo, on est souvent tombés de Charybde en Scylla. En effet, quand un hebdomadaire satirique consacre un dossier au Prophète au nom de la liberté d’expression, ce pilier régalien de la République, il considère que l’islam a la même maturité que le catholicisme ou le judaïsme, le même degré de sécularisation et la même teneur sociologique. Erreur ! L’islam en France en est encore aux balbutiements. Il y a certes des musulmans instruits, qui ont voyagé, qui arrivent à se détacher de la foi elle-même et, plus encore, du dogme. Mais il y en a d’autres, la majorité, qui estiment que le blasphème est une injure aux croyants et un mauvais coup porté à l’islam lui-même, puisque le Prophète a partie liée avec le Coran et avec Allah. Cette trilogie Allah-Coran-Prophète est indissociable. L’islam en France, et notamment celui des banlieues, échappe à peine à l’emprise des prédicateurs salafistes et djihadistes, qui l’ont pris en charge et instrumentalisé durant deux décennies. D’un côté, les tourbillons de la provocation, c’est Charybde ; de l’autre, la violence, c’est Scylla.

Au moment où j’écris, nous ne savons pas encore quelles mains criminelles ont jeté des cocktails Molotov dans les locaux du journal. Il faut donc se méfier des manipulations et des surenchères. Mais ce que nous savons d’ores et déjà, c’est la manière dont le venin de la division est inoculé et à quelles doses. Alors que les musulmans français étaient sur le point de réussir leur mutation, à travers notamment leur intégration économique, des oiseaux de mauvais augure sont venus, tard dans la nuit, leur rappeler leurs pratiques exogènes qui ne cadrent pas avec le moule dans lequel ils sont censés se fondre.

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À l’inverse, on peut dire que l’illusion de la « pureté » de l’un a entraîné mécaniquement une souillure et une « impureté » de l’autre, deux monstres sacrés du religieux qui se combattent sans cesse et plus que jamais dans les confrontations homériques du périurbain. De fait, alors qu’on pensait que tout allait pour le mieux dans le pays des droits de l’homme, voilà que l’irruption du religieux dans la sphère publique est devenue visible et prégnante. L’erreur de tout cela est d’avoir volontairement amalgamé la pluralité des musulmans dans une seule et même identité religieuse, en faisant fi de leurs singularités étonnantes. Or, on le sait maintenant, il n’y a pas un musulman qui soit identique à un autre.

Certains musulmans ont fait la part des choses, et les caricatures les laissent de marbre ; d’autres sont mal à l’aise avec ces remises en question, qu’ils jugent brutales. Depuis dix ans, nous ressemblons à Sisyphe, ce roi grec de Corinthe qui, dans les Enfers, fut condamné à pousser sur une pente une grosse pierre qui retombe toujours avant d’atteindre le sommet et qu’il est obligé de faire rouler de nouveau sans jamais s’arrêter. De fait, on a beau expliquer quels sont les points de fracture de l’islam et ses points névralgiques, il y a encore des citoyens de ce pays qui voient en cette religion une négation de la laïcité, un dévoiement de la République et presque un kyste qu’il faut soigner. Sisyphe, que de chemin à parcourir encore avant d’atteindre le sommet de la montagne !

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