Crise de la dette : l’Europe sans tête

Angela Merkel et Nicolas Sarkozy font ce qu’ils peuvent pour combler l’absence d’un vrai leadership politique et économique, mais n’arrêtent pas de se chamailler. Du coup, les marchés perdent patience. Et la zone euro est au bord du gouffre.

Angela Merkel, Georges Papandréou et Nicolas Sarkozy. © Eric Feferberg/AFP

Angela Merkel, Georges Papandréou et Nicolas Sarkozy. © Eric Feferberg/AFP

ProfilAuteur_AlainFaujas

Publié le 17 novembre 2011 Lecture : 5 minutes.

Au printemps 2009, à Washington, Jim Flaherty, le ministre canadien des Finances, n’y allait pas par quatre chemins : « Aujourd’hui, la crise est financière ; demain, elle sera économique ; et après-demain, sociale. Elle débouchera sur des turbulences politiques graves. » Nous y sommes.

En Grèce, Georges Papandréou, le Premier ministre, a été contraint de s’effacer le 7 novembre pour permettre la formation d’un gouvernement d’union nationale que dirigera Lucas Papademos (64 ans), ancien vice-président de la Banque centrale européenne. En Italie, l’agonie politique de Silvio Berlusconi s’éternise. En Espagne, José Luis Zapatero cédera sa place le 21 novembre à Mariano Rajoy, son adversaire conservateur, à l’issue d’élections législatives perdues d’avance.

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Incapable de faire face à la crise de sa dette, l’Europe est malade. Et le monde tremble qu’elle ne lui transmette son virus : son absence de crédibilité politique et économique. De sommet en sommet, elle consacre des dizaines de milliards de dollars à venir en aide – du moins le croit-elle – aux pays de sa périphérie (Grèce, Irlande, Portugal et Espagne) dans lesquels les marchés n’ont plus confiance. En vain.

Les deux dernières semaines ont illustré jusqu’à la caricature cette impuissance. L’accord conclu par les chefs d’État à Bruxelles, le 27 octobre, était censé tout remettre d’aplomb en obligeant les banques à se recapitaliser pour leur permettre de supporter la faillite de certains pays. Le « paquet » prévoyait aussi une réduction de moitié de la dette grecque détenue par les banques, un second plan de sauvetage de la Grèce de 130 milliards d’euros en échange d’un nouveau tour de vis budgétaire, et la multiplication par trois ou quatre des réserves du Fonds européen de stabilité financière (FESF), jusque-là fixées à 440 milliards d’euros.

Panique

Euphoriques, les Bourses avaient salué cet impressionnant dispositif. Jusqu’à ce que Papandréou flanque tout par terre en annonçant le 31 octobre la tenue d’un référendum. Son objectif était de tenter de clouer le bec aux « indignés » d’Athènes comme à ses adversaires de droite, qui capitalisent sur la colère des Grecs face aux plans d’austérité à répétition. Mais la crainte d’un « non » a semé la panique et cannibalisé le sommet des chefs d’État et de gouvernement du G20 (Cannes, 3-4 novembre).

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Nicolas Sarkozy et Angela Merkel ont d’abord convoqué Papandréou, le 2 novembre, pour désamorcer la bombe en sommant la Grèce de se prononcer une fois pour toutes pour ou contre son appartenance à l’Europe. Dans le premier cas, l’argent promis serait versé. Dans le second, elle n’aurait « pas un centime », ont-ils prévenu en chœur – elle pouvait donc se préparer à la faillite. Il n’y avait pas d’autre choix pour sauver l’euro, parce que, comme le dit Sarkozy, « l’euro, c’est le cœur de l’Europe, et l’Europe, c’est le cœur de la France ». Exit le référendum, exit Papandréou.

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Dette publique grecque, en pourcentage du PIB.

 

Le cas grec supposé réglé, les Vingt pouvaient se soucier des affaires du monde et chercher à en atténuer les désordres. À leur menu pantagruélique : la taxe sur les transactions financières pour financer le développement, la stabilisation des prix agricoles, la priorité à l’agriculture, la sécurisation des vingt-neuf plus grandes banques du monde, la lutte contre la spéculation, la place du yuan dans la réforme du système monétaire international, la mise en place d’un socle minimum de protection sociale, la condamnation du protectionnisme, l’élaboration d’une liste de onze projets d’infrastructures transnationales dans les pays pauvres (lire p. 58).

Mais ce beau programme est passé inaperçu. Parce que les marchés se sont dit que, si l’Europe était incapable de gérer les 350 milliards d’euros de la dette grecque, elle serait encore moins efficace avec les 1 900 milliards de l’italienne. Du coup, le taux des emprunts à dix ans imposé à ce pays est monté à plus de 7 %, quand celui de l’Allemagne descendait à 1,8 %. À ce prix-là, impossible pour Rome de rembourser sa dette.

Pour ne pas répéter la tragédie grecque, il a fallu de toute urgence empêcher la spéculation de se déchaîner contre l’Italie. Le 3 novembre, le FMI a donc annoncé à coups de trompe qu’il soumettait le budget et les réformes de ce pays à une stricte surveillance. En fait, la pagaille européenne s’est poursuivie pendant et après le G20.

La Grèce ? La droite, qui a de fortes chances d’y remporter les législatives (annoncées pour l’an prochain), se fait tirer l’oreille pour approuver la rigueur – très impopulaire, on l’imagine – sans laquelle la « troïka » (FMI-UE-BCE) ne versera pas à Athènes les 8 milliards d’euros salvateurs.

L’Italie ? Tant que Berlusconi n’aura pas démissionné, personne n’aura confiance dans la solidité de ses finances. Le président du Conseil a promis de le faire vers la mi-novembre, mais rien n’est sûr.

Les outils pour éviter la contagion au reste de la zone euro ? Le couple franco-allemand se chamaille sur la façon d’installer un « pare-feu » à la crise financière. Les Français veulent que la BCE puisse racheter sans limites de la dette italienne ou espagnole et souhaiteraient qu’une partie des 750 milliards d’euros promis au FESF vienne des droits de tirage spéciaux (DTS) émis par le FMI. Les Allemands s’y opposent au nom de l’orthodoxie financière.

Dettes publiques en 2011

 

Critiques tous azimuts

Autant dire que l’inquiétude est générale sur l’avenir d’une zone euro au bord du gouffre, en l’absence d’une gouvernance digne de ce nom. David Cameron, le Premier ministre britannique, a avoué à la presse, le 4 novembre à Cannes, que son gouvernement « préparait des plans » pour le cas où la monnaie européenne disparaîtrait !

Face à ces errements, le reste du monde est unanime dans la critique. Le Chinois Hu Jintao, le Russe Dmitri Medvedev, la Brésilienne Dilma Rousseff et même l’Américain Barack Obama ont dit à Cannes que l’UE devait se ressaisir et qu’elle avait les moyens de maîtriser la crise de sa dette.

Sur le principe, tous ont affirmé qu’ils étaient prêts à l’aider. En réalité, Hu et Obama estiment qu’elle est assez riche pour s’aider elle-même. Rousseff et Felipe Calderón, son homologue mexicain, veulent bien apporter des fonds, mais via le FMI, où leur argent est en sécurité, et pas directement au FESF, qui ne leur inspire qu’une confiance limitée.

Derrière les promesses des pays émergents perce leur volonté d’affirmer leur pouvoir au FMI. Le 8 novembre, par exemple, il était clair que la Russie de Vladimir Poutine n’envisagerait d’apporter quelque 8 milliards de dollars pour la Grèce qu’en échange d’un renforcement de son poids au sein du FMI. Même exigence de la part de Pékin et de Brasília.

Après un G20 dont il enrageait de voir les conclusions occultées par la crise de la zone euro, Sarkozy a eu une petite consolation, le 9 novembre : un sondage CSA l’a crédité de 25 % d’intentions de vote au premier tour de la prochaine présidentielle, contre 23 % en octobre.

Un frémissement insuffisant pour lui éviter d’être défait au second tour, par 39 % contre 61 % à François Hollande. Mais d’autres sondages portant cette fois sur sa cote de popularité confirment sa timide remontée.

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