Tunisie : ce que Rached Ghannouchi a dit à J.A. en 1990

Il y a plus de vingt ans, Rached Ghannouchi, le chef du parti islamiste tunisien Ennahdha, avait accordé une longue interview à Jeune Afrique. Florilège.

Rached Ghannouchi, leader d’Ennahdha. © Leon Neal/AFP

Rached Ghannouchi, leader d’Ennahdha. © Leon Neal/AFP

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Publié le 25 novembre 2011 Lecture : 3 minutes.

Rached Ghannouchi a donné plusieurs interviews à Jeune Afrique dans les années 1990. L’une d’elles, accordée à notre collaborateur Hamid Barrada et publiée en janvier 1990 (J.A. Plus no 4) sous le titre « Si j’étais au pouvoir… », permet d’éclairer notre lanterne sur ce que pensait à l’époque le leader d’Ennahdha sur des sujets toujours (si ce n’est plus) d’actualité tournant autour de la démocratie, de la religion et de la vie quotidienne : laïcité, code du statut personnel, école, voile, influence de l’Occident, Iran, Arabie saoudite… Rached Ghannouchi, prédicateur, idéologue et chef du parti islamiste, a répondu à toutes les questions, y compris les plus embarrassantes, avec intelligence, diplomatie et sens de la nuance. En toile de fond : la volonté de « changer la vie » des Tunisiens. Extraits.

Sa vision de l’Occident :

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« L’islam considère que la famille offre le lieu idéal pour que la triple fonction de la sexualité, naturelle (satisfaction d’un besoin), sociale (procréation et développement de ladite société) et psychologique (assurer une certaine sécurité intérieure), soit remplie. Alors qu’en Occident, parce que la liberté est érigée au rang de valeur suprême, on assiste à la dissolution grandissante de la famille, et les trois fonctions de la sexualité se trouvent perturbées. On se marie moins, on divorce à tour de bras, on entretient une vie sexuelle en dehors du mariage, on fait moins d’enfants, on abandonne les personnes âgées à la solitude des hospices… »

L’islam a-t-il un problème avec les femmes ?

« Nous avons un problème de civilisation. La société dans laquelle nous vivons est bâtarde : ni occidentale ni musulmane. D’où le malaise, pour nos sociétés qui s’ingénient à singer l’Occident… »

Si le problème vient de l’Occident, les sociétés musulmanes une fois totalement islamisées connaîtraient-elles alors l’harmonie et le bien-être ? « Pas tout à fait. Quand l’Occident les a conquises, elles étaient déjà malades. Il a ajouté, ce faisant, ses propres maux aux nôtres. […] Tout n’est pas mauvais en Occident. Nous nous en prenons essentiellement au matérialisme, aux valeurs et aux comportements qu’il inspire. […] Le profit et la jouissance ne sont pas le but de l’existence. »

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L’Arabie saoudite, l’Iran :

« Ils ne représentent pas à mes yeux un modèle. »

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La laïcité :

« Elle commande le respect des autres, de leurs opinions et de leurs croyances, mais il faut croire [en France] qu’elle connaît des exceptions dès qu’il s’agit des musulmans. »

Code du statut personnel :

« Ses dispositions ne sont pas en général incompatibles avec l’islam. Il n’y a donc pas lieu de revenir sur l’interdiction de la polygamie. »

Les bars, la consommation d’alcool :

« Les bars fermeront quand ils n’auront plus de clients. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, ce sera peut-être même l’affaire d’une génération. Une certaine souplesse est de mise aujourd’hui. L’objectif n’est pas tant l’interdiction que la suppression de la demande. […] Libre à [c]eux [qui continueraient de boire de l’alcool] d’apprécier ce qu’ils veulent. L’État musulman n’a pas à s’immiscer dans la vie privée des gens. »

La plage, les seins nus :

« L’islam est une religion de tolérance. Cela dit, ce n’est pas parce que nous sommes tolérants que nous devons accepter les atteintes à la dignité de nos peuples. Il pourrait y avoir des plages réservées aux touristes. » Les Tunisiens et Tunisiennes pourront y aller ? Réponse : « Pourquoi pas ? »

Le hijab :

« Il représente l’une des expressions de la société musulmane. L’État musulman l’encouragera. »

La minijupe :

« Je n’hésite pas : elle sera interdite, mais en fin de parcours, si les mesures pédagogiques n’ont pas porté leurs fruits. »

L’école :

« L’État devrait réduire ses interventions : il n’a plus à jouer le rôle qu’a joué naguère l’Église en Europe pour imposer une certaine culture à la société. »

Le bilinguisme :

« Plus nous parlerons de langues, plus nous serons libres. […] L’ouverture à l’égard des langues étrangères ne doit pas se faire au détriment de la langue nationale. Je dis bien la langue nationale et non l’arabe. […] L’islam ne s’est jamais donné pour mission d’arabiser la planète et l’arabe est loin d’être aujourd’hui la première langue utilisée par les musulmans. »

La mixité :

« Il est naturel que garçons et filles soient ensemble à l’école comme ailleurs. Le rôle de l’islam n’est pas de s’opposer à ce qui est naturel mais de l’éduquer. […] La participation des femmes aux côtés des hommes dans toutes les activités, sociales, culturelles, politiques, me paraît nécessaire et souhaitable. »

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