Nucléaire iranien : la bombe à retardement

Le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique sur l’état du programme nucléaire iranien confirme l’inquiétude des Occidentaux. Au lendemain de l’annonce de Washington du lundi 21 novembre confirmant un renforcement des sanctions contre la république islamique, visant en particulier les secteurs bancaire et pétrolier, retour sur les moments clés d’un bras de fer dont il est difficile de deviner l’issue.

La centrale de Bushehr, dans le sud-ouest de l’Iran, a été construite par les Russes. © AFP

La centrale de Bushehr, dans le sud-ouest de l’Iran, a été construite par les Russes. © AFP

perez

Publié le 22 novembre 2011 Lecture : 6 minutes.

Le bras de fer qui oppose l’Iran à la communauté internationale a franchi un seuil critique. Attendu avec anxiété depuis le mois de septembre, le rapport de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur l’avancée du programme nucléaire iranien, publié seulement le 8 novembre, fait état de « sérieuses inquiétudes » quant aux intentions réelles du régime de Téhéran et évoque clairement « la possible dimension militaire » dudit programme. L’organisation onusienne se garde néanmoins de toute déduction hâtive. Avant de passer au réquisitoire, elle expose minutieusement ses méthodes de travail : correspondances, comptes rendus d’inspections, enquêtes financières, photographies satellites et vidéos… Des centaines de documents passés au crible, bien plus imposants que les vingt-cinq pages du rapport que l’AIEA s’est finalement résolue à transmettre à une trentaine de pays.

À défaut de preuves irréfutables, le « gendarme du nucléaire » énumère une série de faits troublants survenus depuis la fin de 2003. Ces éléments vont de la découverte d’un « réseau d’approvisionnement clandestin » fournissant des informations sur le développement des armes nucléaires à des tests d’engins ou de composants explosifs. « Après avoir examiné attentivement et de façon critique la masse d’informations à sa disposition, l’agence estime que ces informations sont, globalement, crédibles », affirme le rapport. Il conclut que si certaines activités peuvent avoir des applications aussi bien civiles que militaires, d’autres sont spécifiquement liées à la mise au point d’ogives nucléaires. Dans sa quête de transparence, l’AIEA dit s’être appuyée sur des dizaines de sources indépendantes, mais ne confirme pas avoir bénéficié de l’aide de plusieurs services de renseignements, dont ceux de la France, comme l’avancent certains diplomates proches du dossier.

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Jeu de dupes

Discréditée par des années de vaines discussions avec l’Iran concernant l’inspection de ses sites nucléaires, l’agence onusienne souhaite à l’évidence redorer son blason. Elle se trouve désormais suspectée de négligence. Après la publication du rapport, plusieurs responsables israéliens ont dénoncé l’attitude de Mohamed el-Baradei, l’ancien directeur de l’AIEA et Prix Nobel de la paix 2005, qualifié d’« agent iranien » pour s’être obstiné à défendre le caractère strictement civil du programme nucléaire de Téhéran. Le très conservateur quotidien britannique The Daily Telegraph va plus loin : « L’AIEA savait depuis des années que l’Iran cherchait à fabriquer une bombe atomique, mais a toujours eu des réticences à l’admettre. Cela a rendu plus difficile la constitution d’un front uni contre cette menace. »

Les révélations tardives du rapport tendent aussi à prouver que Téhéran s’est livré à un véritable jeu de dupes vis-à-vis de la communauté internationale. Une reprise du dialogue paraît aujourd’hui d’autant plus compromise qu’une course contre la montre semble engagée. Pour nombre d’experts, le régime iranien disposerait des connaissances, de la technologie et des ressources suffisantes pour assembler une à deux ogives nucléaires en quelques mois. Une hypothèse confirmée par l’AIEA, qui affirme que, depuis 2010, la République islamique poursuit sans relâche sa production d’uranium enrichi à 20 %. Avec ses milliers de centrifugeuses installées sur le site de Natanz, elle n’aurait théoriquement aucun mal à franchir le seuil des 90 % nécessaires à l’utilisation militaire de l’uranium. Sauf qu’à ce jour aucun pays n’ose avancer qu’un tel cap s’apprête à être franchi… à l’exception d’Israël.

Guerre clandestine

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Les services secrets de l’État hébreu indiquent que la fenêtre d’opportunité pour agir s’est considérablement rétrécie, et évoquent le printemps 2012 comme période butoir. Ils s’inquiètent en particulier du transfert progressif des centrifugeuses de Natanz vers un lieu fortifié souterrain, situé près de la ville sainte de Qom, dans le centre du pays. Cette nouvelle installation, à l’abri des attaques de missiles, empêcherait à terme tout contrôle sur le programme nucléaire. Fereydoun Abbas, le chef de l’agence atomique iranienne, a déjà averti que les inspecteurs de l’AIEA ne seraient pas autorisés à s’y rendre. Au sein de l’appareil sécuritaire israélien, la situation se résume à cette alternative : la bombe iranienne ou la confrontation militaire.

En attendant, les conclusions de l’AIEA confortent la thèse d’Israël qui, depuis nombre d’années, répète que le régime des mollahs ne nourrit qu’une seule et même ambition : développer l’arme suprême. « Ce rapport démontre que la communauté internationale doit arrêter la course à l’arme nucléaire de l’Iran, qui menace la paix au Moyen-Orient et dans le monde », a déclaré Benyamin Netanyahou, le Premier ministre israélien. Mais, derrière ce discours policé, l’État hébreu a déjà prouvé qu’il ne comptait plus sur l’intervention des grandes puissances. Ces dernières années, le Mossad a engagé une véritable guerre clandestine pour enrayer le programme nucléaire iranien : assassinats ou enlèvements de scientifiques, mystérieuses explosions dans des bases de missiles appartenant aux Pasdarans… La liste des opérations attribuées aux renseignements israéliens est longue. Le dernier épisode marquant remonte à l’été 2010 : un ver informatique baptisé Stuxnet avait pénétré les systèmes informatiques de la centrale de Bushehr, entraînant la destruction de plusieurs centaines de centrifugeuses.

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Culte du secret

À présent, Israël envisage ouvertement de recourir à des frappes préventives. « Nous sommes plus proches d’une attaque que d’une option diplomatique », a déclaré le président Shimon Pérès. Dans un pays habitué au culte du secret militaire, ce changement de ton interpelle. De fait, depuis une quinzaine de jours, Israël donne l’impression de se préparer au pire des scénarios : manœuvres aériennes dans une base de l’Otan en Sardaigne, tir d’essai d’un missile balistique, gigantesque exercice de défense passive à Tel-Aviv. Dans cette apparente démonstration de force, liée en partie à la guerre psychologique à laquelle se livrent constamment Israël et l’Iran, la presse semble aussi faire monter les enchères. Le 1er novembre, le quotidien israélien Haaretz révélait que Benyamin Netanyahou, soutenu par Ehoud Barak, son ministre de la Défense, tentait de rallier une majorité au sein de son cabinet en vue d’attaquer l’Iran.

Des frappes israéliennes à Noël ?

À en croire le Daily Mail, qui, le 10 novembre, citait des sources au Foreign Office, les responsables britanniques s’attendraient à une attaque israélienne contre l’Iran dans les deux mois à venir, très probablement entre Noël et le nouvel an. Plus tôt dans la semaine, un autre quotidien britannique, The Guardian, évoquait d’autres rumeurs liées au déploiement de bombardiers stratégiques anglais sur l’île de Diego Garcia, dans l’océan Indien. M.P. 

Poussée dans ses derniers retranchements, la communauté internationale veut encore éviter une guerre aux conséquences dévastatrices. Car l’Iran promet de « punir » Israël et les États-Unis en cas de frappes contre ses installations nucléaires, et assure que sa riposte ne se limitera pas au Proche-Orient. Sommé de rendre des comptes après le dernier rapport de l’AIEA, le régime iranien campe sur ses positions : « Nous ne reculerons pas d’un iota », affirme le président Mahmoud Ahmadinejad, tout en répétant que son pays ne cherche pas à fabriquer la bombe. Par la voix d’Alain Juppé, son ministre des Affaires étrangères, la France souhaite une convocation urgente du Conseil de sécurité. Elle plaide pour des sanctions « sans précédent » contre Téhéran. Pendant ce temps, et avant la réunion des gouverneurs de l’AIEA prévue le 17 novembre, les Occidentaux tentent de venir à bout des réticences de Pékin et de Moscou, fermement opposés à de nouvelles sanctions contre l’Iran.

Et pour cause : la Chine, dont les besoins énergétiques sont énormes, est très dépendante du pétrole iranien ; quant à la Russie, qui a construit la première centrale nucléaire iranienne à Bushehr, elle espère remporter d’autres contrats du même type. Les discussions s’annoncent donc houleuses et pourraient prendre de longues semaines. Mais reste-t-il encore assez de temps pour cela ?

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