Audiovisuel algérien : on peut encore rattraper le temps perdu
Sid Ahmed Bedjaoui est conseiller auprès du ministère de la Culture algérien.
L’Algérie va-t-elle vraiment changer ?
Nous sommes en 1989 et un vent de réformes souffle sur une Algérie encore secouée par les émeutes d’octobre 1988. Après la promulgation de la loi de l’information, datée du 7 avril 1990, le gouvernement Hamrouche autorise les journalistes de la presse écrite à créer des titres indépendants et met en place un Conseil national de l’audiovisuel (CNAV, dont j’ai fait partie à l’époque), chargé de préparer la libération du champ audiovisuel national.
Le cahier des charges est prêt, et les affichages commencent lorsque Mouloud Hamrouche est remplacé par Sid Ahmed Ghozali à la tête du gouvernement. Les options demeurent pourtant intactes jusqu’à ce que les élections soient annulées et que Bélaïd Abdesselam vienne mettre un terme à ce rêve en dissolvant le CNAV et en renvoyant les réformateurs à leurs chères études. Et dire que l’Algérie a failli être le premier pays africain et arabe à octroyer des fréquences de radiodiffusion visuelle et sonore à des groupes privés !
Plus de vingt ans après, où en est-on ? La presse écrite a échappé au « redressement » en réussissant à pérenniser des médias libres, mais les caciques sont parvenus à sauver le symbole fort et dérisoire (comme le montrera l’avenir) de la radio-télévision d’État, plombant pour un temps l’image du pays dans le monde. Lorsque, le 31 mars 2010, le président mauritanien a annoncé la libéralisation de l’audiovisuel dans les trois mois, l’Algérie est passée du rang d’ex-pionnier potentiel à celui de dernier pays africain à accepter l’existence de télévisions privées.
À tel point que le magazine TéléDz n’a pas hésité à lancer, l’année dernière, un canular. « Le président de la République lui-même souhaite désormais que l’audiovisuel soit rapidement ouvert au privé », affirmait la publication, ajoutant : « Cette ouverture permettra la création de nouvelles chaînes qui dynamiseront le secteur de la production et détourneront les Algériens des chaînes étrangères. » Il s’agissait, certes, d’une blague, mais la situation du secteur n’était-elle pas arrivée dans une telle impasse que la question de l’ouverture se posait bel et bien en termes d’urgence vitale ?
Pendant que notre télévision d’État ronronne, Nessma TV ou Medi 1 Sat affichent des ambitions maghrébines.
Mais au fait, qui a dit que le champ audiovisuel était fermé ? En réalité, les Algériens ont à leur disposition, selon l’Arab States Broadcasting Union, des centaines de chaînes satellitaires arabes, publiques et privées, sans oublier les canaux d’expression française qui leur sont familiers. Mieux encore, pendant que notre télévision d’État ronronne, à l’est et à l’ouest de nos frontières, des chaînes affichent des ambitions maghrébines. C’est le cas de Nessma TV et de Medi 1 Sat, qui grignotent encore un peu plus l’audience de l’ENTV.
Les avancées technologiques elles-mêmes rendent l’isolement presque risible. Alors que les télévisions privées sont toujours interdites, Algérie Télécom annonce qu’il diffusera sur le territoire le bouquet Canal+ Maghreb et ART via son offre internet. En somme, conclut Amira Soltane dans le quotidien algérien L’Expression, « l’Algérie préfère diffuser des chaînes étrangères plutôt que d’ouvrir le champ audiovisuel aux initiatives privées algériennes ».
En fin de compte, l’ouverture prochaine des fréquences de radiodiffusion à des opérateurs privés a été officiellement annoncée. Retour à la case départ. Peu importe : il est encore temps de positiver et de rattraper le temps perdu. Une nouvelle loi est en préparation.
Sous quelle forme ? Les textes restent pour le moment assez flous, et il faudra attendre la discussion législative pour en savoir plus. Certes, l’avènement du numérique va permettre la multiplication des canaux. Mais n’est-ce pas là un palliatif de plus à l’archaïsme médiatique ? Sur un blog de itMag consacré au sujet, un jeune téléspectateur commente très justement : « La télé en Algérie sera numérisée tôt ou tard. Mais la priorité n’est pas dans la transmission ! La priorité, c’est le programme offert. Je connais pas mal de compatriotes qui ne regardent jamais l’ex-Mehtouma parce que ses grilles les déçoivent. Le contenu doit être corrigé avant la numérisation. »
Tout le monde s’accorde à présent pour dire que c’est la qualité de la production qui, demain, fera la différence entre le public et le privé. Surtout si la télévision d’État décidait soudain de devenir un véritable service public.
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