Algérie : révolution sur les ondes

L’ouverture de l’audiovisuel algérien permettra la création de télévisions privées nationales. La fin d’un monopole d’État devenu ubuesque face aux centaines de chaînes satellitaires.

Des Algériens suivent un discours du président Abdelaziz Bouteflika, le 15 avril 2011. © Farouk Batiche/AFP

Des Algériens suivent un discours du président Abdelaziz Bouteflika, le 15 avril 2011. © Farouk Batiche/AFP

Publié le 16 novembre 2011 Lecture : 3 minutes.

L’Algérie va-t-elle vraiment changer ?
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L’Algérie va-t-elle vraiment changer ?

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On a la révolution qu’on peut. Si l’on devait me­surer les effets à Alger des révoltes populaires qui, en Tunisie et en Égypte, ont emporté des régimes dictatoriaux, on pourrait les résumer à la levée de l’état d’urgence, en vigueur depuis près de vingt ans, et aux promesses d’ouverture de l’audiovisuel aux investisseurs privés. Ailleurs, ce dernier engagement ne paierait pas de mine ; ici, il s’agit d’un bouleversement majeur.

Depuis un demi-siècle – soit l’âge de l’Algérie indépendante –, radios et télévisions, qualifiées de « médias lourds », relèvent d’un monopole d’État. De tout temps, dans le choix des dirigeants de ces entreprises publiques, l’allégeance a primé sur la compétence, la docilité à l’égard du puissant sur l’esprit d’initiative, la flagornerie sur la créativité. Les velléités de libéralisation de la fin des années 1980 ont très vite tourné court. Le pouvoir a, à tort ou à raison, estimé que l’impact d’une télévision libre constituait une menace sur sa pérennité.

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Paraboles

Le problème ne tient aujourd’hui pas à la pluralité de l’offre. Depuis l’intrusion des chaînes satellitaires, puis la révolution numérique, le paysage audiovisuel algérien est des plus variés, et le téléspectateur dispose, grâce aux antennes paraboliques qui enlaidissent toitures et façades des immeubles des villes et des villages, de centaines de canaux arabes ou occidentaux (pour l’essentiel français). En revanche, il n’a jamais eu la possibilité de « zapper algérien », même si l’offre nationale est aujourd’hui plurielle (il existe un bouquet de cinq chaînes, mais parfaitement jumelles, proposant des programmes identiques). Pourquoi le pouvoir avait-il si peur d’une télé libre ?

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Boualem est retraité de la Radiodiffusion télévision algérienne (RTA, ancêtre de l’actuelle Entreprise nationale de télévision, ENTV). Ancien syndicaliste, il explique l’obsession du contrôle des programmes par les gouvernants. « C’est lié à l’histoire de ce pays. La légitimation du pouvoir part de la guerre de libération. Au début des années 1960, la télévision algérienne était une sorte de filiale de l’ORTF [Office de radiodiffusion télévision française, NDLR], institution télévisuelle de la puissance coloniale. À la veille de l’indépendance, tous les cadres et techniciens français ont quitté l’Algérie en catastrophe. Et c’est le personnel algérien, non qualifié, qui a pris la relève. Le cadreur est devenu réalisateur, l’accessoiriste, chef d’antenne, et le menuisier de décor, opérateur du télécinéma [appareil d’un autre âge qui convertissait les films cinématographiques en signal vidéo]. Ce fut laborieux, mais cela a marché. C’est dans ces conditions qu’est née la RTA, devenue fierté nationale et instrument de souveraineté. »

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Mais cet argument historique n’explique pas, à lui seul, la volonté de mainmise sur l’image et le son produits localement. La circulation des idées dans la sphère médiatique ne semble pourtant pas gêner outre mesure les pouvoirs publics. En matière de presse écrite, la libéralisation est ainsi effective depuis deux décennies, avec des résultats impressionnants : 180 titres, un tirage quotidien de plus de 3 millions d’exemplaires (un record pour le monde arabe, Égypte comprise) et des salles de rédaction échappant à tout contrôle de l’État.

Indéboulonnable

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L’explication tient sans doute au vecteur de transmission lui-même. Malgré l’anémie de ses grilles de programmes, l’indigence de ses informations et la médiocrité de son habillage, la télévision publique a résisté à la concurrence des chaînes étrangères venant du ciel. Tous les sondages de médiamétrie réalisés ces dernières années le confirment : le journal télévisé de 20 heures d’ENTV est indéboulonnable et bat tous les records d’audience. C’est pourquoi les gouvernants ont toujours rechigné à laisser ce formidable instrument de communication leur échapper. Le Printemps arabe a bousculé cette donne.

Entrant dans le cadre des réformes annoncées par Abdelaziz Bouteflika, l’ouverture de l’audiovisuel prendra la forme d’une distribution de fréquences au profit exclusif de sociétés de droit algérien remplissant un cahier des charges (en cours d’élaboration) et après un avis favorable d’un Conseil supérieur de l’audiovisuel (CSA) dont les contours, prérogatives et composantes devraient être définis au terme d’une concertation entre le gouvernement et la corporation. Mais c’est l’administration qui, en dernière instance, délivrera l’autorisation d’émettre. On n’est jamais trop prudent.

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