Algérie : elles ne font pas (encore) la loi
Imposer aux partis de compter un tiers de candidates sur leurs listes aux élections législatives et locales n’est pas du goût de tous… Ni de toutes. Retour sur un projet de loi qui divise.
L’Algérie va-t-elle vraiment changer ?
Tayeb Belaïz est furieux. Le ministre de la Justice fait face à une véritable fronde des députés depuis la modification, en profondeur, du projet de loi relatif à la participation des femmes dans les assemblées élues. Le texte, qui traduit une disposition introduite dans la Constitution en 2008, impose aux partis politiques de réserver un quota aux femmes au sein des listes. Initialement fixé à 33 %, ce taux a été revu à 20 % par la commission des Affaires juridiques, administratives et des Libertés de l’Assemblée populaire nationale (APN) sous la pression du groupe parlementaire du Front de libération nationale (FLN) et des partis islamistes. Jeudi 3 septembre, une majorité absolue a voté ce texte à main levée et a approuvé ce qui ressemble bien à une réforme avortée.
La religion, la culture, voire la sociologie de certaines régions d’Algérie… les députés ont usé d’une batterie d’arguments pour contrer ce projet de loi. Certains estiment que les partis politiques seront dans l’incapacité de présenter des listes parce qu’il y a peu de femmes engagées en politique. C’est le cas des élus de la région de Ghardaïa, dans le sud du pays, qui sont montés au créneau pour exiger le retrait de l’article qui impose le quota.
Pour le Parti des travailleurs (PT), cette question a été définitivement tranchée. La formation dirigée par Louisa Hanoune s’oppose à ce système. Nadia Chouitem, députée PT de la capitale, explique qu’« une femme imposée sur une liste perd de sa crédibilité une fois arrivée à l’Assemblée. Elle se trouve automatiquement dans une situation de fragilité et de vulnérabilité. Elle devient alors redevable envers ceux qui l’ont désignée ». Pour sa part, Farida Illimi, élue du FLN à Alger, considère que l’application de ce texte risque de créer des situations de blocage au sein même des partis politiques. « Une disposition prévoit de ne pas prendre en considération le classement défini par la liste et de partager les sièges équitablement entre candidats des deux sexes. Je suis contre cette mesure, car elle va à l’encontre de la volonté populaire. Les électeurs votent pour une personne, mais celle-ci perd son mandat sous la force de la loi », précise-t-elle.
Sous embargo
En fait, l’APN a déjà connu une tentative pour renforcer la présence des femmes au sein des assemblées élues. En 2004, une proposition d’amendement du code électoral initiée par Samia Moualfi, alors jeune députée du FLN, prévoyait de donner l’une (ou plus) des trois premières places des listes à une femme. « Par sa simplicité, ce mécanisme aurait pu être facilement accepté par les acteurs politiques et la société. Cet amendement aurait permis d’atteindre une représentativité féminine dans les assemblées comprise entre 10 % et 20 % », indique-t-elle. Finalement, la proposition de loi est restée dans les tiroirs de l’APN et n’a jamais été présentée au gouvernement. Cette mise sous embargo semble due au fait que Samia Moualfi ait choisi de soutenir Ali Benflis lors de la présidentielle de 2004.
Chalabia Mahdjoubi, présidente du Mouvement pour la jeunesse et la démocratie (MJD) et première femme à avoir tenté de se porter candidate à la magistrature suprême en 1995, constate le manque d’engagement des pouvoirs publics en matière de promotion de la gent féminine. « Il n’y a pas assez de femmes aux postes à responsabilités. Il suffit de voir le gouvernement, il y a tout juste une femme ministre [Khalida Toumi, à la Culture, NDLR] et deux secrétaires d’État. Nous sommes encore loin des normes internationales. » Pour la petite histoire, Chalabia Mahdjoubi avait tenté de présenter une liste exclusivement féminine dans une wilaya de l’intérieur du pays. « Nous n’avions eu aucune réaction négative de la part de la population. Mais la liste a finalement été bloquée par l’administration locale, qui avait alors exigé qu’elle compte au moins un homme. » Une anecdote qui explique à elle seule la problématique de la participation des femmes à la vie politique.
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