Algérie : une Assemblée sens dessus dessous
Les premières réformes discutées au Parlement algérien suscitent des débats houleux. Face à la fronde des députés de sa majorité, le gouvernement trouve des soutiens inattendus dans l’opposition.
L’Algérie va-t-elle vraiment changer ?
Qui l’eût cru ? L’hémicycle du palais Zighoud-Youcef, abritant les sessions plénières de l’Assemblée populaire nationale (APN) et réputé pour sonner creux lors des séances de questions orales au gouvernement algérien, grouille d’activité ces dernières semaines. Mieux : souvent traitée de « caisse d’enregistrement », la Chambre basse du Parlement étonne par les violentes joutes qui marquent les travaux de ses différentes commissions, notamment celle des affaires juridiques et administratives et des libertés, que préside le député du Front de libération nationale (FLN) Cherif Nezzar. « C’est un rythme démentiel, raconte un élu de l’opposition trotskiste, un vrai marathon législatif. Toutes les commissions de l’Assemblée carburent à plein régime. » Le marathon en question ? L’adoption, avant la fin de l’année en cours, des réformes politiques annoncées par le président Abdelaziz Bouteflika le 15 avril.
Depuis le 4 septembre, date de l’ouverture de la session d’automne du Parlement, les services du secrétariat général du gouvernement inondent le palais Zighoud-Youcef de projets de loi organique. Après celui consacré à l’augmentation de la participation des femmes dans les instances élues, les députés auront eu droit à une batterie de textes censés consolider la pratique démocratique : réforme du régime électoral, lois sur les partis, incompatibilités avec le mandat de parlementaire, code de l’information, statut des associations…
Nomadisme
Autant de thèmes qui ont provoqué, par moments, des situations cocasses. Les textes élaborés par le gouvernement ont été mis à mal par la majorité dont il se réclame et défendus par l’opposition. Lors du débat de la loi organique sur le régime électoral, l’article 67, qui lutte contre le nomadisme politique, a ainsi donné lieu à une véritable guerre de tranchées. Ayant pour objectif de moraliser la pratique politique, cette disposition prévoit de déchoir de son mandat tout élu qui change de parti politique au cours de la législature. Cette mesure, qui s’inscrit dans la droite ligne des instructions données par le président Abdelaziz Bouteflika au cours d’un Conseil des ministres, a rencontré une forte opposition de… l’Alliance présidentielle, composée du FLN d’Abdelaziz Belkhadem, du Rassemblement national démocratique (RND) du Premier ministre Ahmed Ouyahia et du Mouvement de la société pour la paix (MSP, islamiste) de Bouguerra Soltani.
« L’élu est mandaté par le peuple et ne saurait être l’otage d’un parti », proclame le député FLN Hocine Khaldoun pour expliquer son refus. Mohamed Kacem Laïd, élu du RND, va plus loin. « Le parti politique n’est pour l’élu qu’un moyen pour se porter candidat », affirme-t-il sans rougir, avant de poursuivre avec un affligeant « même dans un couple, le divorce existe ». Et c’est le Parti des travailleurs (PT, opposition trotskiste) qui, par la voix de Ramdane Taazibt, monte au créneau et accuse les partis de la majorité de vouloir « vider les projets de réforme de leur substance ».
Congés forcés
Un autre bras de fer a opposé majorité et opposition au cours du débat de ce projet de loi, autour de l’article 93. Obligeant un membre du gouvernement postulant à la députation à démissionner de l’exécutif trois mois avant le scrutin, cette disposition a provoqué de vifs échanges et placé l’Alliance présidentielle dans l’inconfortable position de force conservatrice qui entrave la marche vers une réforme de la pratique politique. Cette règle, jusqu’alors non écrite, avait été mise en œuvre par le président Abdelaziz Bouteflika en 2007, quand, à l’occasion des législatives, il avait mis en congé ses ministres briguant un siège de député, à la veille de la campagne électorale. Quatre ans plus tard, il a décidé de codifier cette disposition dans le régime électoral et d’étendre la période concernée. Tollé au sein de la majorité présidentielle. Ahmed Issad, élu du MSP, poussera son hostilité à cette mesure jusqu’à mettre en doute sa constitutionnalité. La députée trotskiste Houaria Bousmaha ironise : « Voilà que la majorité, dont l’essentiel de l’équipe gouvernementale est issu, nous suggère que le Conseil des ministres nous bombarde de textes anticonstitutionnels ! »
Pour défendre les projets de loi devant les députés, le gouvernement a mandaté son ministre de l’Intérieur, Dahou Ould Kablia, flanqué de son collègue chargé des Relations avec le Parlement, Mahmoud Khouidri – incarnation de l’aile la plus conservatrice du FLN (il fait partie de ceux qui militent pour le retour du Front islamique du salut sur l’échiquier politique). Paradoxe de cette situation : le principal changement apporté au régime électoral est de confier la supervision des prochains scrutins à des magistrats, et non plus à l’administration, accusée de partialité par l’opposition. Or, en sa qualité de ministre de l’Intérieur, Ould Kablia symbolise la tutelle de cette administration dont la neutralité est mise en doute.
Cela ne l’a pas empêché de présenter les réformes comme un processus visant à créer les meilleures conditions pour les opérations de vote à venir (urnes transparentes, encre indélébile, supervision par des magistrats, présence d’observateurs étrangers et de scrutateurs nationaux…). « Le nouveau dispositif devra permettre au citoyen de participer avec efficacité à la prise en charge de ses préoccupations, a assuré Ould Kablia. En outre, les nouvelles dispositions introduites nous rapprochent des standards démocratiques internationaux. »
Prière d’agréer
Après ces vifs débats sur le régime électoral, l’APN a eu à étudier l’avant-projet de loi sur les partis. Principales innovations : l’administration (le ministère de l’Intérieur, encore) est désormais contrainte de motiver les refus d’agrément de nouveaux partis, et ces derniers peuvent déposer un recours auprès des tribunaux administratifs. Quant à l’attitude méprisante de l’administration, qui le plus souvent prenait tout son temps dans l’étude des dossiers d’agrément avant d’exprimer son refus (en avril, quarante-deux partis politiques attendaient, parfois depuis des années, le précieux sésame, selon une confidence de Dahou Ould Kablia), elle devrait bientôt appartenir au passé. Selon le nouveau texte, les autorités ont soixante jours pour se prononcer ; faute de réponse dans ce délai, le parti est automatiquement agréé.
Ces dispositions ont suscité moins d’échanges vigoureux, mais la passion qui a caractérisé les débats sur les réformes politiques a fait dire à un député de l’opposition : « Il m’arrive de regretter cette époque où le président Bouteflika légiférait par ordonnances entre deux sessions du Parlement. »
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