Mali : les Diarra, une famille en or

De brillantes carrières à New York ou Bamako, et peut-être même, pour deux des cinq frères Diarra, un avenir en politique. Portrait d’un clan qui veut peser sur le destin du Mali.

De g. à dr. : Cheick Sidi, Cheick Modibo et Sidi Sosso. © UN Photo/Cyril Bailleul/Vincent Fournier pour J.A.

De g. à dr. : Cheick Sidi, Cheick Modibo et Sidi Sosso. © UN Photo/Cyril Bailleul/Vincent Fournier pour J.A.

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© Vincent Fournier pour JA

Publié le 18 novembre 2011 Lecture : 6 minutes.

Ils sont cinq. Sidi Sosso, l’aîné de la fratrie, est un brillant expert-comptable, Cheick Modibo, le cadet, un scientifique célèbre. Il y a aussi Boubacar, l’agriculteur qui s’occupe de la maison familiale à Ségou, Cheick Sidi, le conseiller spécial pour l’Afrique de Ban Ki-moon aux Nations unies, et enfin le benjamin, Cheick Hamallah, urbaniste à la mairie de New York. Au Mali, le nom des Diarra est connu et deux des frères ont bien l’intention de profiter de leur notoriété pour se faire une place en politique.

Au nom du père

Commis de l’administration coloniale et syndicaliste proche du Parti progressiste soudanais de Fily Dabo Sissoko, Moussa Diarra est accusé de régionalisme par le régime de Modibo Keita. Pour étouffer « ses velléités sécessionnistes », on l’arrête en 1962 ; il est déporté à Kidal (Nord), tandis que ses frères sont transférés au bagne de Taoudenni, à la limite du Sahara. Du jour au lendemain, Sidi Sosso, 16 ans, devient adulte. « Mon père absent, je me devais de transmettre à mes frères les principes qu’il m’avait enseignés, je n’avais pas le droit d’échouer. » Pour « adoucir » la sanction du prisonnier Moussa Diarra, assigné à résidence, on l’autorise à partir de 1963 à garder ses deux derniers fils, Cheick Sidi et Cheick Hamallah, qui passeront à ses côtés les dix années de détention. M.G.-B.

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À commencer par Sidi Sosso, ex-vérificateur général de l’État (2004-2011). Les rapports annuels du « Vegal » – comme le surnommaient les Maliens – sur la gestion des fonds publics ont fait trembler jusqu’aux plus hauts niveaux de l’administration. Depuis qu’il a quitté ses fonctions, Sidi Sosso, la soixantaine pimpante – il est né en 1946 – est détendu. Il redécouvre le plaisir de sortir sans une armada de gardes du corps. Toutefois, ses déplacements restent prudents : les nombreuses menaces de mort qu’il a reçues, après avoir dénoncé des détournements de fonds dans plusieurs administrations, ont laissé des traces.

Sidi Sosso Diarra a ouvert un cabinet d’audit et de conseil, la Panafricaine d’audit (Panaudit), à Bamako, tout en songeant à donner une nouvelle orientation à sa carrière. Pourquoi pas député dans sa région de Ségou ? Ou encore sénateur, si la chambre est créée ? « Quand on a occupé le poste de vérificateur général, on n’a pas d’autre choix que de s’impliquer en politique », déclare celui que la presse malienne a surnommé « l’incorruptible ».

Comme si le virus de la politique s’était propagé dans la famille. Avant lui, son frère cadet, Cheick Modibo Diarra, 59 ans, premier Africain à avoir travaillé pour la Nasa et patron de Microsoft Afrique, avait ouvertement déclaré qu’il convoitait le palais de Koulouba pour 2012. Son cheval de bataille : l’éducation et la lutte contre le chômage. Aussi volubile que son aîné est calme, il tient un discours digne d’un vieux routard de la politique. « J’ai travaillé auprès des populations maliennes, par le biais de ma fondation [Pathfinder Foundation, NDLR]. J’ai vu trop de misère. Les sollicitations des paysans, des femmes, des étudiants ont fini par me convaincre », lance-t-il à ses détracteurs, qui lui reprochent d’être déconnecté du Mali d’en bas.

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Laissés sur le carreau

Parmi les propositions du Rassemblement pour le développement du Mali (RPDM), le parti qu’il a lancé en mars 2011, l’école gratuite et obligatoire jusqu’à l’âge de 15 ans. Dans un pays où plus de 50 % de la population a moins de 25 ans, et où les jeunes diplômés sont laissés sur le carreau en raison de la faiblesse de leur niveau, le sujet fait mouche.

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Reste que le candidat, nouveau venu sur le terrain, peine à convaincre les observateurs de la vie politique malienne. « Il n’a jamais concouru dans aucune élection auparavant. Son parti est jeune, donc il n’a pas encore d’assises dans tout le pays… Il ne pourra surfer que sur sa popularité d’astrophysicien de la Nasa », analyse Adam Thiam, éditorialiste malien. Autre « petit » handicap : Cheick Modibo Diarra est le gendre de l’ancien président Moussa Traoré, qui le soutient au détriment de son propre fils, Cheick Boucadry Traoré, également candidat à la succession d’Amadou Toumani Touré (ATT). Pas sûr que cela soit un avantage quand on sait que c’est un soulèvement populaire qui a contraint l’ex-chef de l’État malien à quitter le pouvoir en 1991. « Avec un peu de chance, il pourra faire des scores honorables à Bamako et à Ségou, ce qui lui permettrait déjà, dans un premier temps, de se positionner sur l’échiquier politique », commente un journaliste local.

L’élection de 2012, à laquelle Modibo est candidat, place la fratrie sous les feux de la rampe.

Quoi qu’il en soit, Cheick Modibo Diarra y croit et, dans son entourage, on affirme que cela fait longtemps qu’il mûrissait l’idée. « Ce n’est pas une décision prise à la légère, témoigne Cheick Sidi, appelé Tidiane, 54 ans et sans doute le plus discret des frères Diarra. À l’époque, quand il nous a confié ses ambitions, je lui ai juste suggéré une chose : patienter. Par respect pour mon employeur », en l’occurrence le président ATT.

Remis sur les rails

Diplomate, président du Groupe de pays en développement sans littoral à New York, Tidiane a été, à l’âge de 23 ans, le plus jeune conseiller juridique de la présidence du Mali. « Mes fonctions m’interdisent d’intervenir de quelque façon que ce soit dans la politique d’un pays, explique-t-il quand on lui demande le rôle qu’il tiendra dans les campagnes à venir. Mais ce sont mes frères et je les soutiendrai toujours. » L’anecdote illustre bien les relations dans la fratrie. Des liens de sang, certes, mais aussi des liens forgés dans l’adversité, quand feu Moussa Diarra, leur père, est emprisonné au début des années 1960 (lire l’encadré ci-dessus).

Meurtri, révolté contre le système, Sidi Sosso prend sa revanche sur les bancs de l’école, toujours en tête du classement pour que « jamais les enfants de grands types », ces oligarques qui ont fait emprisonner son père, ne soient meilleurs que lui. Il prend sous son aile Cheick Modibo, de six ans son cadet, qui a constamment besoin d’être remis sur les rails. Turbulent, « il fallait le forcer pour aller à l’école, témoigne Sidi Sosso. Il ne pensait qu’à s’amuser ».

D’ailleurs, Sidi Sosso a longtemps cru avoir échoué avec Cheick Modibo-le-distrait, qui a démonté la nouvelle moto de leur père sans avoir la moindre idée de la façon dont il allait la remettre en marche. « Mon père sortait de prison et c’était l’une de ses premières acquisitions. Il a failli s’étouffer de rage », se souvient Sidi Sosso en riant. Et quand Cheick Modibo lui a annoncé son intention d’étudier la physique et la mécanique spatiale à l’université Pierre-et-Marie-Curie, en France, il eut une réaction dont il se rappelle encore. « Pour faire quoi dans la vie ? lui ai-je demandé. Puis, un soir au village, nous avons passé des heures assis dehors. Modibo m’a parlé du ciel et des étoiles. J’ai vu dans ses yeux que je ne pourrais jamais le faire changer d’avis et que c’était son rêve. »

Sidi Sosso vit à Bamako, Cheick Modibo entre la capitale malienne et Johannesburg, Boubacar à Ségou, Cheick Sidi et Cheick Hamallah à New York. Il y a bien longtemps qu’ils ne se sont pas retrouvés tous ensemble. « La dernière fois, c’était en 2002 ou 2003, lors des funérailles de la mère de Modibo, Binta, explique Sidi Sosso. On s’écrit de temps en temps ou on s’appelle… » La distance, jurent-ils, n’altère en rien les liens qui les unissent. Ni l’ordre hiérarchique dans la famille : « C’est moi le grand frère, je suis intraitable sur ce point », plaisante Sidi Sosso. Et la perspective des échéances électorales, affirment-ils, ne fera que les rapprocher. Cette solidarité leur réussira-t-elle en politique ? Réponse en 2012.

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Malika Groga-Bada et Stéphane Ballong

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