Constituante tunisienne : comme un parfum de troisième tour…

Ennahdha n’ayant pas obtenu la majorité absolue, gagnants et perdants mesurent leurs forces et envisagent des alliances. Objectif : le poste de Premier ministre et de président.

Des Tunisiens vote le 23 octobre à Tunis. © Féthi Belaid/AFP

Des Tunisiens vote le 23 octobre à Tunis. © Féthi Belaid/AFP

Publié le 29 octobre 2011 Lecture : 5 minutes.

Instinctivement, les Tunisiens ont compris qu’ils n’étaient pas face à une élection ordinaire et ont « voté utile », ce qui constitue un atout pour la transition démocratique. Le trio gagnant : Ennahdha (islamiste modéré) présidé par Rached Ghannouchi, le Congrès pour la République (CPR, gauche nationaliste) de Moncef Marzouki et Ettakatol (social-démocrate) dirigé par Mustapha Ben Jaafar font partie des rares mouvements à s’être frontalement opposés à Ben Ali durant ses vingt-trois années de règne et à avoir ensuite soutenu la révolution sans jamais perdre de vue leur objectif de rompre définitivement avec le système.

Parmi les déçus du scrutin, le Parti démocrate progressiste (PDP, centre gauche) d’Ahmed Nejib Chebbi, qui ambitionnait de talonner Ennahdha, a reconnu sa défaite. Ettajdid, ancien Parti communiste, qui s’est présenté sous l’étiquette Pôle démocratique moderniste (PDM), s’est effondré. Pratiquement aucune nouvelle formation n’a percé. Ainsi, la mystérieuse Union patriotique libre (UPL) de Slim Riahi, qui a dépensé au moins 3 millions de dollars (2,1 millions d’euros) dans cette campagne, ne compte aucun élu, pas même Chokri el-Ouaer, l’ancien gardien de l’équipe nationale de football. Ceux qui se présentaient en tant qu’« indépendants » (45 % des candidats) n’ont pas davantage créé la surprise : quasiment aucun de leurs ténors n’a été élu, pas même Abdelfattah Mourou, l’ex-dirigeant islamiste.

la suite après cette publicité

Encore présents dans les structures de l’État et parmi la centaine de partis en lice, les contre-révolutionnaires ont échoué. Les formations issues de l’ancien parti au pouvoir dissous n’ont, pour la plupart, aucun élu. C’est notamment le cas pour la quarantaine de mouvements qui s’étaient regroupés au sein de l’Alliance républicaine autour d’un projet de référendum destiné à limiter les pouvoirs de la Constituante et auquel Béji Caïd Essebsi (« BCE »), le Premier ministre, avait donné un certain crédit avant qu’il ne fasse long feu. C’est aussi le cas des partis dirigés par des personnalités ayant travaillé sous les ordres de Ben Ali, comme Mohamed Sahbi Basly et Mohamed Jegham. Seule El-Moubadara de Kamel Morjane a remporté cinq sièges grâce au vote des caciques de l’ancien régime dans la région du Sahel, mais, là aussi, les candidats d’Ennahdha sont arrivés en tête. Les seules surprises sont venues d’Al-Aridha Al-Chaabiya de Hachemi Hamdi et du CPR de Moncef Marzouki.

Marzouki, la deuxième surprise

Il a un passé glorieux de président de la Ligue tunisienne des droits de l’homme et de féroce opposant à Ben Ali. N’a-t-il pas été le premier à lui lancer, depuis son exil, un tonitruant « Dégage ! » ? De retour au pays, Moncef Marzouki a sorti de la clandestinité son Congrès pour la République (CPR, gauche nationaliste), fondé en 2001. Parce qu’il a pris la défense des prisonniers politiques islamistes – ce qui l’a rapproché d’Ennahdha –, ses détracteurs l’ont traité, bien à tort, de « crypto-islamiste ». Bien qu’il soit très populaire auprès d’une partie de la jeunesse révolutionnaire, qui a voté pour lui, beaucoup ont été surpris de voir son CPR devenir la deuxième force politique du pays.

Ennahdha n’a pas de majorité pour gouverner seule. Le poste de Premier ministre devrait toutefois lui revenir. Le mouvement envisage de présenter la candidature de Hamadi Jebali, son secrétaire général.

la suite après cette publicité

Quant au nouveau président de la République, il doit être élu par la Constituante. Difficile d’envisager que cela puisse se faire sans l’accord d’une majorité, et plus particulièrement d’Ennahdha, qui ne brigue pas ce poste et semble avoir deux fers au feu : nouer une alliance avec les deux autres partis arrivés en tête, ou jouer la carte Béji Caïd Essebsi.

Une alliance des islamistes avec le CPR et Ettakatol permettrait à ce trio de disposer d’une majorité confortable de 141 sièges sur les 217 sièges que compte la Constituante (voir l’infographie), en attendant de récupérer d’autres sièges après le retrait des 19 élus de la Pétition populaire. Les trois « gagnants » ont entamé des discussions et cherchent à rallier d’autres partis qui, comme eux, ont combattu Ben Ali. Objectif : tracer les contours des futurs pouvoirs publics dès que la Constituante entamera ses travaux, avant la mi-novembre. À J.A., qui lui demandait s’il briguerait la magistrature suprême, Mustapha Ben Jaafar a répondu, le 28 octobre : « C’est la Constituante qui décidera. Toutes les hypothèses sont ouvertes, y compris ma candidature. » Le secrétaire général d’Ettakatol appelle de ses vœux un gouvernement d’union nationale qui prenne des mesures d’urgence pour répondre aux attentes des citoyens, mais estime que chaque parti doit garder son indépendance lors de la rédaction de la future Constitution.

la suite après cette publicité

La carte "BCE"

Avant les élections, Ennahdha considérait déjà Ben Jaafar comme un présidentiable. Mais Jebali a aussi – certes une seule fois – cité le nom de Caïd Essebsi parmi les postulants possibles. Invité par J.A. à clarifier ses propos, le secrétaire général d’Ennahdha a précisé que « toute décision [serait] prise au sein de l’alliance entre les trois gagnants ».

La seconde option du parti islamiste serait en effet de jouer la carte « BCE ». Depuis plusieurs semaines, le Premier ministre a multiplié les contacts tous azimuts, notamment avec des dirigeants d’Ennahdha, rencontrés le jour de l’élection. Ces derniers ont toutefois précisé à J.A. que c’était pour leur donner des assurances qu’il n’y aurait pas de manipulations du scrutin contrairement à ce que Rached Ghannouchi craignait. Quoi qu’il en soit, Caïd Essebsi ne s’engagera certainement pas sans poser ses conditions : disposer de pouvoirs étendus et, s’il devait accepter Jebali comme Premier ministre, toute latitude pour choisir les ministres. Manière de dire que ce serait un gouvernement Caïd Essebsi, dont le premier des ministres serait Jebali…

Envoyer « BCE » au palais présidentiel pour succéder à un Foued Mebazaa sur le départ risque néanmoins d’être difficile à faire accepter à la Constituante, à moins qu’Ettakatol et le CPR ne s’y résignent, ce qui est loin d’être le cas. Du coup, l’ultime chance de Caïd Essebsi serait qu’il bénéficie d’une alliance contre-nature entre Ennahdha et des partis « perdants » anti-islamistes mais qui lui sont favorables, comme le PDP ou le PDM, ainsi que les restes de l’ex-parti au pouvoir. À suivre…  

La Matinale.

Chaque matin, recevez les 10 informations clés de l’actualité africaine.

Image

Contenus partenaires