Totems et tabous
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François Soudan
Directeur de la rédaction de Jeune Afrique.
Publié le 31 octobre 2011 Lecture : 3 minutes.
Jours de grand convent à Brazzaville, en cette fin d’octobre. Les « frères de lumière» d’Afrique centrale sont réunis autour des présidents Sassou Nguesso et Bozizé pour une parenthèse enchantée dans ce monde de brutes. Mines graves de rigueur, cérémonies nocturnes jusqu’à l’aube, rituels secrets: nul n’est plus heureux qu’un maçon entre Congo, Ogooué et Oubangui, nouvelle terre d’élection de tout ce qui porte tablier, triangle et compas. Ironie interdite, cependant, sauf à passer à côté de l’essentiel.
La franc-maçonnerie en Afrique n’est en effet que la partie émergée, et somme toute rationnelle, dicible, d’un iceberg tabou d’occultisme et de pratiques traditionnelles dont la reconnaissance est indispensable pour qui veut comprendre les ressorts profonds de la politique africaine. Journalistes occidentaux, experts de la Banque mondiale, diplomates en poste, analystes, ONG, tous ou presque négligent, faute de détenir les clés nécessaires pour accéder à ce monde opaque, cette dimension fondamentale. Au risque évident de voir leurs articles, rapports ou télégrammes n’aborder que la réalité pelliculaire, politiquement correcte et compatible des choses.
Il est vrai que leurs interlocuteurs ne leur facilitent guère la compréhension. Pour tout chef d’État, ministre, haut fonctionnaire, prélat ou intellectuel africain, cela fait partie du jeu, qui a ses règles et son omerta,que de nier cette réalité-là. Qu’un Européen de passage ose la question et il obtiendra toujours la même réponse: «Les féticheurs, les marabouts, la sorcellerie, connais pas. Mon voisin peut-être. Mais moi, je ne mange pas de ce pain. » Et pourtant… Même si aucun d’entre eux, à l’époque de la bonne gouvernance, n’a le culot d’un Mobutu ou d’un Eyadéma, qui tâtait du spiritisme à visage quasi découvert, tous les responsables politiques et économiques, tous les chefs d’État d’Afrique du Centre, de l’Ouest et de l’Est, les plus jeunes comme les dinosaures, les plus occidentalisés comme les plus traditionnels, les civils profilés FMI comme les militaires issus des écoles d’enfants de troupe, ont leur part, souvent envahissante, d’occultisme.
Bien sûr, tous prétendront le contraire, mais si vous aviez accès à leur chambre, à leurs toilettes, à leurs valises, aux petits sacs que portent leurs aides de camp, vous y feriez bien des découvertes étranges. Combien de décisions, de nominations, de révocations, de déplacements annulés, de cérémonies ajournées, toutes choses que les observateurs étrangers s’acharnent à expliquer rationnellement, relèvent du simple conseil de ces manipulateurs inconnus et essentiels de la politique africaine, le plus souvent analphabètes mais incroyablement doués pour la suggestion, que sont les marabouts et féticheurs ! Et que de temps perdu par chacun à se « blinder », se défendre et se soigner contre le mauvais sort qu’il s’agit de retourner prestement à l’envoyeur, lequel a passé des nuits entières à le concocter pour mieux vous terrasser !
Alors qu’en période électorale le côté agressif de ces pratiques redouble d’intensité et de férocité, avec l’entrée en jeu des sorciers et des envoûteurs, des boeufs enterrés vivants et des albinos sacrifiés, la facilité serait de dire avec Axelle Kabou,dont c’est le titre d’un livre célèbre : « Et si l’Afrique refusait le développement ? » ou plutôt : cette Afrique-là est-elle anti développement ? Oui, car c’est autant de temps pris sur le progrès et de retardsur la mondialisation. Non, car la croyance en un monde parallèle transcende cultures, races et continents. François Mitterrand avait Elizabeth Teissier, et Jacques Chirac, le mage de Tozeur…
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